II. Susanoo
Mythologie japonaise
Dieu des tempêtes
lundi 12 mai
Une foule d'élèves se rua hors des bâtiments. La cloche venait de sonner, libérant les adolescents de leurs cours, du moins pour une quinzaine de minutes. Le silence de la cour du lycée fut remplacé par un brouhaha incompréhensible, mêlant prochaines soirées, inquiétudes à propos du bac, et divers potins sur qui trainait avec qui.
Théo ferma les yeux. La caresse du soleil le réchauffa. Il glissa ses mains derrière son cou et s'étira. Il était resté trop longtemps dans la même position, concentré sur ses fiches de révision. Le bac approchait, et même s'il n'avait jamais été un bourreau de travail, il voulait au moins être prêt pour le grand jour.
Son groupe d'amis commença à discuter de la soirée de samedi : une des dernières avant la fin de l'année scolaire, afin de décompresser avant les épreuves. Théo les écouta d'une oreille, observant les élèves autour de lui. Il repéra une jeune fille vêtue de noir, installée sur un muret, les jambes pendant dans le vide. Sa capuche vissée sur sa tête laissait passer quelques mèches argentées.
Tout sourire, le lycéen se dirigea vers elle. Discrètement, il arriva par derrière et appuya sur ses épaules d'un coup, la faisant sursauter. Elle lui jeta un regard furibond alors qu'il s'installait à côté d'elle, se retenant de rire.
— Hehe, laissa-t-il tout de même échapper.
— Ta gueule.
Elle détourna le regard mais lui fit quand même l'honneur de retirer un écouteur, signe qu'elle acceptait sa présence.
— Qu'est-ce que tu gribouilles, ma petite Elsa ?
Elle le laissa jeter un œil sur son carnet. Un humain à tête de cerf y était représenté, ses orbites vides tranchant avec sa silhouette sombre.
— Toujours aussi glauque.
Le carnet d'Elsa était envahi de dessins à l'encre noire, peuplé de créatures cauchemardesques. Elle utilisait le plus souvent un simple crayon bille, mais elle s'était déjà essayée à l'encre calligraphique, au fusain et à l'aquarelle – noire, bien évidemment.
— Faut croire que j'aime ça, dit-elle en haussant les épaules.
— Faut croire que moi aussi.
Elsa, c'était une ado fuyait chaque humain qu'elle croisait. Avec ses longs sweats noirs et ses chaussures compensées, elle affichait clairement son intention de rester seule. Les rares touches de couleurs qu'elle abordait se cantonnaient à son rouge à lèvre bordeaux et ses ongles rouge sang.
Lorsqu'il l'avait croisée au détour d'un couloir, quelques mois plus tôt, Théo avait eu une étrange intuition. Comme si cette lycéenne allait être l'un des êtres humains les plus intéressants qu'il allait rencontrer dans sa vie.
Avenant, il lui avait parlé sans attendre, mais Elsa n'avait pas daigné lui répondre. Théo avait alors multiplié les approches, discutant de tout et de rien. Les repas servis au self, le soleil qui revenait peu à peu, les examens de fin d'année. Et puis il y avait ce carnet noir qu'elle gribouillait sans cesse. Il avait aperçu ses croquis un jour, et avait fini par comprendre que c'était la porte d'entrée, le bon sujet pour l'apprivoiser.
— Solène n'est pas là ?
Cette ado était l'un des rares êtres humains qu'Elsa tolérait. Les deux élèves étaient comme le soleil et la lune : si Elsa se drapait dans des vêtements noirs et affichait constamment un air énervé, Solène, assez réservée, était un véritable ange quand elle était à l'aise avec quelqu'un.
— Elle est en train de finir un devoir, elle n'a pas eu le temps hier soir.
Tout en répondant à Théo, Elsa continuait à ajouter des détails dans son carnet. L'humanoïde à tête de cerf se baladait à présent sous la lune, au milieu d'une forêt qui prenait forme. Elsa avait cette facilité de visualiser l'entièreté de son dessin avant même de poser le premier trait. L'œuvre finale était souvent la retranscription parfaite de ce qu'elle imaginait.
— Ça se passe, tes révisions ?
Théo laissa un sourire se former sur ses lèvres. Il avait attendu longtemps avant qu'Elsa ne lui pose des questions. Ce n'était pas grand-chose pour d'autres personnes, mais de la part de l'adolescente, c'était affirmer qu'elle le considérait comme intéressant. Une grande marque de valeur de sa part.
— Ça va. Parfois relou, mais ça va.
Les maths étaient sa bête noire. Il avait passé l'heure précédente à étudier des formules, et il n'avait aucune envie d'y retourner. Tout était carré, enfermé dans des schémas qui se répétaient encore et encore. Aucune place pour la liberté qu'il aimait tant.
Il était beaucoup plus à l'aise en philo. Là, il pouvait laisser son esprit s'évader. Ce qu'on lui demandait, c'était de laisser ses pensées prendre le dessus et d'en dérouler le fil, jusqu'à arriver au bout de la pelote de laine. Fouiller, farfouiller dans ses connaissances, ses savoirs, analyser tout ce qui pouvait l'être. La philo était un hommage à la pensée libertaire, et il s'y retrouvait parfaitement.
Il la voyait comme une amie semblable à l'océan. Une force libre à laquelle on devait s'adapter au lieu de tenter de la contrôler.
— Tu stresses ?
Elsa enchaînait les questions en continuant son croquis, les yeux rivés sur son carnet.
— Pff, non. J'ai toujours été doué, affirma-t-il. Je l'aurais sans problème, ce bac.
— On en reparlera le jour des épreuves, pouffa Elsa.
Théo lui donna un petit coup dans le bras, faisant toutefois attention à ce que le crayon ne soit pas en contact du papier. Il avait déjà fait cette erreur une fois et il avait bien failli y laisser la vie.
Elle lui adressa un doigt et reprit son croquis. En voyant sa main gribouiller dans tous les sens, il se rendit compte que c'était pour la même raison qu'il appréciait cette ado. Nul ne pouvait maîtriser Elsa. Il fallait simplement s'accorder à elle.
Elsa, la philo, l'océan. Théo aimait les âmes libres. Il aimait ses semblables.
— Soit plutôt contente, protesta-t-il. Grâce à moi, t'as bientôt fini les cours.
Les secondes n'avaient plus que quelques jours de lycée, les dernières semaines étant dédiées aux révisions des premières et terminales. Les enseignants se focalisaient sur leurs classes de dernières années pour les accompagner au mieux avant les épreuves.
— Comme si, toi, particulièrement, tu influençais mes vacances...
— Ne dis pas le contraire !
Elsa leva les yeux pour lui adresser un regard blasé, qui traduisait parfaitement ce qu'elle pensait. Elle excellait avec brio dans la communication non verbale.
— J'ai hâte de partir d'ici, ça, je vais pas le nier, finit-elle par avouer.
— Parce que tu pourras passer toutes tes journées à sortir avec tes amis, bien évidemment.
— Bien évidemment.
Elle posa un dernier coup de crayon et referma son carnet. Son stylo vint se glisser sous l'élastique qui le maintenait.
— Je verrais Solène de temps en temps, elle m'aidera à supporter la solitude, plaisanta-t-elle. Mais sinon, je compte bien dormir jusqu'à 14h tous les jours. Voire être en décalage total et inverser les jours et les nuits.
Théo laissa un rire lui échapper. Ça, c'était une activité qu'il avait également hâte de pratiquer, ne serait-ce que les premiers jours d'été, pour rattraper ses soirées de révision. Après ça, il profiterait des vacances pour se faire un maximum de souvenirs. Passer du temps avec Gabriel et sa mère, et avec Elsa, si elle voulait bien de sa compagnie. Enchaîner les nuits blanches – parfois alcoolisées – à refaire le monde. Laisser la mer l'entourer, se plonger en son sein, profiter de sa douceur. Sentir le vent frapper sa peau et le soleil le réchauffer lors de ses balades en moto...
— T'as un truc de prévu samedi après-midi ? demanda-t-il, pensant à son deux-roues.
— Pourquoi tu demandes ?
Théo haussa les épaules. Il voulait garder secret sa raison, pour que la surprise soit encore plus belle.
— Ben pour savoir, tiens.
— Tu sais à quel point j'adore mes semblables, répondit-elle avec son sarcasme habituel. Alors évidemment que j'ai un truc de prévu.
— Hey, on sait jamais !
Second regard blasé.
— OK, OK, s'inclina Théo en levant les mains en signe de paix.
La sonnerie résonna dans la cour pour avertir les élèves de la fin de la pause. Les groupes d'adolescents commencèrent à se diviser pour rejoindre leurs salles de classe. Signes de la main, bises, les aurevoirs se multiplièrent. Théo se leva et s'étira, retardant son départ. Il voulait profiter d'un dernier rayon de soleil avant de s'enfermer à l'intérieur du bâtiment.
— Réserve-moi ton aprèm, alors. J'ai une surprise.
Elsa leva un sourcil suspicieux.
— Je file, à samedi ! lança Théo avant de partiren trottinant, ne lui laissant pas le temps de poser la moindre question.
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