XII - Dallan Von Umbra

Une heure, un jour, une éternité... Il ne sait plus combien de temps il a passé dans les dédales labyrinthiques des souterrains de la tour blanche. Raina l'a sauvé. C'est elle qui a découvert ce renforcement étrange et discret dans un couloir sombre, qui mène exactement à cet endroit, une longue et interminable allée creusée par la main d'un mortel profondément sous la terre, et qui se divise inlassablement en plusieurs branches. Si Dallan se laissait aller au désespoir, il avouerait la triste et pitoyable vérité. Il est égaré. Il ne retrouve plus son chemin, ni vers la surface, ni vers la lumière à l'intérieur même de son cœur.

Il s'est enfui. Il a abandonné Rehan, autant que celui-ci l'a abandonné à son sort et, le pire étant, il ne peut pas lui en vouloir. Il a pactisé avec la Mort. Il doit en assumer les conséquences. Dallan a vu une opportunité d'éjecter les Faes de son royaume et il l'a saisie. Peut-être à cause de l'injustice subie par son peuple. Peut-être à cause de Nouria. Peut-être parce que l'escadron de la Silvaria n'aurait pas brûlé son village si ces misérables immortels ne s'y étaient pas terrés pour commettre on ne sait quel crime. Était-il mû par sa volonté d'agir pour le bien commun ou par un égoïste désir de vengeance ? Sûrement les deux, et aucun à la fois.

Dallan se force à inspirer pour recouvrer un semblant de calme. Accroupi contre la roche creusée des souterrains, il réfléchit à ce qu'il doit faire. Il a toujours été un garçon intelligent et la voix qui ne cesse de murmurer Usurpateur, imposteur, a l'air de savoir absolument tout de lui, jusqu'à la moindre de ses pensées, le plus insignifiant de ses souvenirs. Les ténèbres ont parfaitement conscience qu'il pourrait se repérer dans ce labyrinthe sans mal. Il pourrait se remémorer chaque tournant qu'il a emprunté dans sa fuite. Mais, le monstre en lui a également compris que le jeune homme s'obligeait à ne pas se rappeler, à ne pas user de sa mémoire aiguisée. Il se perd volontairement et une part puissante de lui espère presque mourir ici, pour que la chose ne le submerge pas et ne commette aucun dégât.

Car Dallan la sent. Cette haine. Cette rage. Le dégoût pour Lavalon, le continent et l'existence toute entière que lui insufflent les ténèbres. Il refuse qu'elle se répande et pourtant...

Et pourtant, voilà des heures que Dallan ne dort pas, ne se repose pas. Il tourne en rond dans les dédales, parfois en fermant les yeux, et il a beau se fondre dans la roche, accrocher ses ongles sur ses genoux, sa jambe martelant le sol, et prier très fort pour que le bourdonnement dans son crâne s'arrête, que la migraine le tue avant qu'il ne soit trop tard...rien ne l'aide à repousser les ténèbres. Elles grignotent du terrain sur lui, patientes. Pour une raison très simple. Elles éprouvent son épuisement. Dès qu'il fermera un œil et chutera dans les griffes acérées du sommeil, elles le domineront et il se réveillera probablement dans la tour blanche ou dans la capitale à terroriser, tuer et propager un chaos sans nom autour de lui. 

Dallan a tout anticipé et il a raison du début à la fin, son avenir proche le prouvera. Toutefois, il n'avait pas prévu deux aspects terribles de l'effondrement de sa vie. 

Le premier. Ce qui devait arriver arriva. Il a lutté, lutté de toutes ses forces, mais le sommeil vient le cueillir et il est renversé sur le sol rugueux, incapable de rester éveillé une minute de plus. Et les ténèbres ne tardent pas à dévorer sa maîtrise de lui, la jetant aux oubliettes et le possédant dans l'intégralité de son être. Sauf ses yeux. Sauf ses pensées. Sauf ses sens. Qui perdurent malgré tout. Il aurait préféré ne rien voir, ne rien ressentir, ne pas penser à son oeuvre. Mais, la Mort est un personnage cruel. Lorsque son corps se redresse sans demander son avis et se dirige lentement, précautionneusement et avec un but défini en tête, Dallan assiste à tout. Il sait donc que le monstre en lui a trouvé le bon chemin et qu'il n'a pas réussi à le perdre. 

Il hurle, se débat, abat ses poings contre la barrière mentale qui le retient, mais tout est vain. Les ténèbres ont profité de sa fébrilité et elles ne lui permettront pas de reprendre le dessus. Il pleurerait s'il le pouvait. Non. Il pleure. L'humidité sur ses joues. Bien que son visage soit de marbre et ne dévoile rien du monstre, ces larmes sont la preuve qu'il vit toujours à l'intérieur de ce corps, pantin d'un autre. Marionnette de la Mort. Il supplierait s'il le pouvait. Pas la chose massive qui l'écrase. Non, inutile. Il supplierait les gens de Lavalon de lui pardonner, d'en finir avec lui avant qu'il ne cause des dommages irréversibles. Les supplier de, peu importe ses prochains agissements, peu importe la damnation en lui, de ne pas oublier son sacrifice, ce qu'il a osé faire pour Athusea. Mais, il prédit déjà que les contes souligneront l'antagonisme de son profil, éclabousseront de gloire Rehan le Brave qui trahit son plus cher ami pour sauver le peuple de Lavalon. 

Juste avant de quitter les souterrains, une pensée fuse dans son esprit rongé par le pouvoir de la Mort. Raina. Grands dieux, il n'a même pas pu la retrouver, s'assurer que Rehan l'a gardée en sécurité, lui expliquer...lui dire combien il l'aimait, ce qu'il n'a jamais fait. À cause de l'ego d'un garçon élevé à la dure, certainement. Qu'il le regrette. Bien sûr, il a démontré à de nombreuses reprises à quel point son amour pour elle transcende toutes les réalités, et elle ne douterait jamais de son affection incommensurable à son égard. Lui dire. Ces mots simples. Une première et dernière fois. 

Qu'au moins, le conte lui accorde la mort rédemptrice du méchant incompris.  

Dallan n'a pas le choix. Il essaie d'alourdir ses jambes, de se tordre une cheville dans les escaliers qui le ramènent au premier étage de la tour blanche, il crie si fort que ses échos de fureur se répercutent en vibrations douloureuses – ce que les ténèbres n'ont pas hésité à lui faire subir ces derniers jours. Leur pouvoir vacille, mais pas en s'affaiblissant. On dirait plutôt des frissons de courroux glacial ou un soupir lassé. Il passe le renforcement étroit et caché derrière de hautes et lourdes caisses en bois, et le revoilà à l'air libre. La brise s'engouffre par les fenêtres et les portes ouvertes, il perçoit le soleil à l'extérieur, le bleu du ciel. Il ne connaîtra pas cet hiver qui s'annonçait rude. Raina, si fragile, n'aura aucun problème à se soigner de n'importe quel rhume avec sa magie.  

— Il est ici ! entend-t-il en un refrain sinistre tout autour de lui. Appelez sa Majesté ! Abattez-le ! Ne le laissez pas s'approcher ! Qu'il ne sorte jamais de la tour blanche !

Plusieurs voix hurlent ses phrases et il n'en soulève qu'un bout. Dallan en conclut tristement qu'il a été destitué et qu'un arrêt de mort a été signé. Que Rehan, à coup sûr, s'est déjà emparé du trône avant que quiconque ne puisse s'y faufiler à sa place. Cependant, il remarque tout de suite le désordre qui règne dans la tour blanche, et qui n'est en rien relié à sa réapparition. Les ténèbres en lui ne se penchent pas longtemps sur les divers cas face à lui. Sa main se dresse et les soldats, Enchanteurs ou Hommes, sont envoyés dans tous les recoins du palais. Il avance à pas déterminé. Vers Athusea. Non. Non ! Il combat de son mieux. Sans résultat. Le pouvoir de la Mort l'engloutit peu à peu. Il a l'impression que bientôt, très bientôt, il ne ressentira plus rien du tout et qu'il ne sera plus là. Il vit probablement ses ultimes instants sur terre, impuissant devant le monstre qu'il aura relâché. Il faut le tuer avant qu'il ne disparaisse. Autrement son corps demeurera le réceptacle de son possesseur.  

— Halte ! 

Les ténèbres pivotent, reconnaissant cette voix grâce aux souvenirs de Dallan. 

— Il avait raison. Sa Majesté a maintenu que vous vous trouviez toujours à la tour blanche, que vous ne vous seriez pas enfui sans verser du sang. À nous deux, monstre.

Janus. L'un des Enchanteurs les plus puissants de toutes les armées de Lavalon. Les ténèbres ne fléchissent pas, de prime abord, et lèvent à nouveau sa main. Et là, Dallan accomplit l'impensable. Il agrippe la masse noire en lui et tire. Il tire à s'en écorcher l'âme, retenant d'une seconde le sort meurtrier de la Mort. Le général ne devine rien de son combat interne et s'assure que sa proie ne s'échappe pas. D'un coup, le jeune homme est entouré d'étaux invisibles qui le clouent au col, la joue contre le marbre froid, à quelques pas de l'immense entrée de la tour blanche. Tuez-moi, tuez-moi, répète-t-il encore et encore, mais son ancien allié se révèle être un merveilleux tortionnaire et il décide de prendre son temps pour l'éliminer. Il le prive d'oxygène, aspirant l'air de ses poumons, et le laisse suffoquer par terre, tel un vers de terre à l'agonie. Il ne mérite pas ça, mais à quoi bon choisir sa mort ? La finalité est la même.

— Allez baiser la Mort !

L'insulte fuse dans le large couloir. Janus n'a pas le temps de réagir, toute son énergie concentrée sur le sort qui bloque les ténèbres au sol. Derrière lui, Milian le frappe durement du pommeau de son épée et le général s'écroule, les orbes écarquillés de trahison. Non ! Le cri de Dallan ne s'extirpera jamais de ses lèvres. Les ténèbres se redressent face à l'humain armé jusqu'aux dents qui le scrute sans un mot. Elles hésitent à le projeter contre le mur ou à simplement se retourner et partir. Pourquoi le sauver de cette longue mort ? Pour s'attribuer la gloire de son assassin ? Il en pleurerait de nouveau, en colère contre ses soi-disant alliés qui se sont détournés de lui en une fraction de seconde. Mais, l'Homme ne bouge pas d'un pouce et éclaircit la situation, en s'exprimant vite, glissant des œillades angoissées partout autour de lui.

— Il m'importe peu que vous me tuiez, monstre, car la Mort se rapproche de moi. Je le sais. Je ne vivrai pas en lâche et cela conduira à ma mort.

Les ténèbres se fichent de ses mots cryptiques, alors que Dallan s'en abreuve avec attention, perplexe quant à leur signification.

— Je ne m'adresse pas à la malédiction de la Mort, mais au Roi banni qui sommeille à l'intérieur. Que mes paroles vous atteignent. Que vous soyez assez fort pour revenir à vous et exaucer mon dernier vœu si je ne le puis moi-même.  

Il marque une pause pour vérifier que les ténèbres ne lui arrachent pas la tête. Étonnamment, elles écoutent. Cela ne devrait pas surprendre Dallan. Dans tous les contes, la Mort est dépeinte comme une entité ancienne et omnipotente, mais surtout proche des Faes de par son appétit pour le divertissement, l'amusement et surtout pour les rebondissements. Milian rajoute d'un souffle : 

— Je suis un Homme et je mourrai en tant que tel. Les Enchanteurs ont lancé une rébellion violente et impitoyable, voici bien des années. J'avais des soupçons. Je viens de le confirmer. Cette ordure de Rehan en est l'un des chefs. Leur objectif ? Asseoir une domination sans pareille. Le Roi imposteur vous a manipulé, j'en suis sûr. Pensez-y. Pourquoi avez-vous pactisé avec la Mort ? Comment un fermier connaîtrait ce sortilège interdit ? Qui vous a dénoncé ? Je ne mens pas. Je n'ai plus rien à perdre. Cette rébellion vise à faire régner les Enchanteurs sur tout le continent en unique espèce supérieure. Ils se sont débarrassés des Faes grâce à vous. Ils massacreront les Hommes à présent. Si... Si seulement vous pouviez contrôler la chose en vous...

Il ne termine pas sa requête, parce que Dallan Von Umbra ne répondrait pas. Milian arbore sa bravoure et sa résilience avec une fierté typique des Hommes. Il est prêt à mourir pour ses convictions, pour sa race et même à faire appel aux ténèbres de la Mort. Il achève en un soupir larmoyant d'aversion pour les Enchanteurs :

— Von Umbra, le Roi banni, je ne vous demande pas de vous tourner contre les vôtres. Je ne vous demande rien. Mais, si votre désir premier était réellement de sauver Lavalon d'une guerre sans fin, alors vous chercherez pas tous les moyens à la sauver de cette rébellion. Vous anéantirez un à un ces traîtres sanguinaires. Et si jamais vous partagez leur croyance sur la suprématie des Enchanteurs, que les dieux me gardent et m'infligent une mort pénitente.  

 Un sifflement se dégage de la gauche. Milian peut tout juste clore son discours, Dallan ne peut pas comprendre toute l'ampleur de sa confession, qu'une flèche parcourt deux salles entières pour venir se loger dans le crâne du général humain. Contre toute attente, les ténèbres brisent le projectile avant qu'il ne touche sa cible et réduit l'archer à un tas de jus rouge dégoulinant. S'il était au contrôle de son corps, il aurait vomi. L'Homme pâlit en regardant cette mort répugnante. Un merci murmuré quitte sa bouche tordue par une grimace d'incompréhension. Mais, l'arme de la Mort ne s'explique pas, tourne les talons et...ne sort pas dans Athusea. 

Dallan n'y comprend rien à rien. Toutes ses pensées sont embrouillées. Les affirmations de Milian, il se balance au bout de chaque phrase, recherchant le sens de tous ses mots, mais ils se floutent dans son esprit. Il disparaît. Voilà ce qui est en train de se produire. Le général ne se tient plus derrière lui, quand son corps grimpe quatre à quatre les marches interminables de la tour blanche. Il a dû fuir avant que les traîtres ne l'attrapent. Dès qu'il croise quelqu'un, garde, soldat, noble ou domestique, le monstre les contraint à dégringoler sur le palier du précédent étage. Il arrive sur le balcon en hauteur et saute par-dessus un muret pour atterrir sur le tronçon du vieux rempart qui s'enfonce dans la montagne. 

Appuyé sur cet ancien chemin de ronde que les gardes ont déserté, à sa recherche à n'en point douter, Dallan ne peut plus réfléchir à rien, ses pensées fracturées, mais il peut encore voir. Ainsi, il savoure cette vue une dernière fois. Il distingue tout, des murs blancs éclatants des maisons au drapeau à l'écusson de son royaume sur chaque toit, et la cascade en fond qui créée un rideau protecteur à l'entrée de la cité. Pourquoi les ténèbres viendraient-elles ici ? Pour le vent qui se mêle dans ses cheveux ? Pour la sensation de vivre pleinement en admirant tant de beauté ? Des raisons bien trop sentimentales. Néanmoins, il ne flaire aucune envie de destruction ou d'horreur le long du lien qui l'unit au monstre. Cela n'a rien de comparable avec de la pitié ou de l'admiration pour le monde, non, plutôt une délectation de se sentir enfin vivant. La chose en lui se réjouit déjà de contrôler son corps, d'avoir une réceptacle rien qu'à elle. Par tous les dieux...

C'était sans compter l'apparition inattendue d'une personne à laquelle il n'aurait jamais attribué le terme de sa sauveuse

Une bête ignoble vole promptement au-dessus de la montagne et se pose sur les créneaux du chemin de ronde, sans qu'il ne puisse se mettre à l'abri. Un Wyvern. Il les reconnaîtrait sans mal, les yeux fermés, après le désastre à Nouria. Mais, celui-ci est maigre, petit pour sa race. Cela n'enlève rien à l'effroi qui le fait frémir à son rugissement sauvage. Surtout lorsqu'il s'aperçoit de qui le chevauche. Astra Silvaria. Aucune incertitude possible sur son identité. Sa chevelure d'argent, les flammes dans ses yeux embrasés d'un vide affamé en elle. Dallan s'interroge finalement sur le désordre à la tour blanche. Est-elle à la tête de cette rébellion ? Est-elle la cheffe de ces traîtres ? Non, Rehan n'aurait jamais autorisé qu'elle enflamme leur village. Il ne peut pas aligner une autre pensée au néant qui le diminue dans la moindre de ses capacités.

— Tiens, tiens, il apparaît que j'arrive juste à temps.

Sa voix. Un fil d'acier pur. Dallan est momentanément obnubilé par les mouvements de ses lèvres, le rictus satisfait qui s'y dessine, l'amusement notable dans ses yeux haineux, la satisfaction d'or qui s'extrait de son rire dédaigneux. Il ne peut détourner son regard, pas sur-le-champ en tout cas. Quand il rencontre le feu de ses pupilles, là, il baisse la tête, adossé au rempart. Astra Silvaria descend souplement de son Wyvern, avec l'équilibre d'une danseuse sur un cordon. Elle tombe dans le chemin de ronde et comble l'espace entre eux. Sa monture crache une nuée de flammes brûlantes derrière elle. La guerrière ne cille pas, contrairement à lui.

— Quel plaisir de t'égorger moi-même. J'avais si peur que tes gens, si loyaux et dévoués, l'aient fait avant moi. Cette raclure de Kaine m'a prévenue trop tard.

Elle observe sa monture par-dessus son épaule.

— Tu t'es bien nourrie, ma belle Sorscha.

Dallan ne respire pratiquement plus. Elle s'est plantée à une enjambée de lui, une main autour du manche de son épée.

— Votre monture était un mâle, et il est mort au combat.

Il ne sait pas trop pourquoi ces mots-là sont sortis de sa bouche, mais ils ont le don de l'enrager. Ni une, ni deux, il se reçoit une gifle magistrale et elle crache de colère. C'est là qu'il s'en aperçoit. Les ténèbres. Dallan plonge sur l'héritière Silvaria, prenant son visage en coupe. Elle recule, dégainant son épée, mais il s'exclame, tout sourire :

— Les ténèbres ne me dominent plus ! Je les ai vaincues !

Or, quelque chose sonne faux dans son exclamation. Il ne les a pas vaincues. C'est elle. Ou son Wyvern, son feu. Ou les deux. Ou lui par sa distraction en dévisageant sa beauté létale. Il l'ignore et il n'y cogite pas. Pour l'instant, mieux vaut régler son problème urgent.

— Puis-je vous faire confiance ? 

Elle roule des yeux et les lève au ciel, délaissant son épée pour agripper ses bras en retour, essayant de le pousser hors de son étreinte.

— Lâche-moi, foutu Roi banni !

— Puis-je vous faire confiance ? hurle-t-il, hystérique. En d'autres termes, êtes-vous de la rébellion ? Etes-vous la cheffe de ces traîtres ? 

Il n'y comprend rien, mais il a un devoir à accomplir.

— Quoi ? 

L'emportement à la mention de son ancienne monture n'est rien comparée au coup qu'il essuie entre ses jambes. Dallan se plie en deux et elle menace de le balancer par-dessus le rempart. Il se rattrape à la roche et lève une main de paix entre eux.

— J'ai juré de traquer et brûler ses misérables ! rugit-elle. Ils m'ont tout pris. Tout ! 

— Alors, nous avons un ennemi commun.

Astra Silvaria ne saisit pas un mot de ce qu'il raconte.

— Je n'ai pas le temps de tout vous dire et de toute façon, je ne détiens pas d'informations que vous ne semblez pas déjà avoir. 

— Vous êtes un traître. Avec cette immonde créature que vous appelez votre ami.

— Rehan ? 

Rehan. Par tous les dieux. Dallan commence sérieusement à se poser des questions sur son plus vieil ami. Le connaît-il vraiment ?

— Rehan... C'est lui qui m'a dénoncé. 

C'est lui qui m'a incité à ce pacte ridicule avec la Mort. Il ne formule pas cette phrase à voix haute, car elle ne provient pas de lui. Les ténèbres l'ont susurré à son esprit embrumé.

— J'ai été averti, très récemment, de cette rébellion. Je suis perdu. Sincèrement. Mais...au moins, je suis soulagé que quelqu'un soit au courant.

Une puissante héritière qui plus est, avec l'ambition et la hargne d'un diamant brut, avec sa monture et des connexions qu'il n'aurait jamais eues. Oui, il expire son soulagement en faisant volte-face vers les rochers en contrebas. Il est temps. Astra Silvaria est sur place. Elle trouvera une manière de détruire ces traîtres et elle montera sur le trône. Il s'avère qu'il s'agissait de son conte depuis le début. 

— Tu ne vas quand même pas sauter ? 

Elle pouffe, sardonique. Dallan titube vers elle, mais ne franchit pas la limite une seconde fois de la toucher contre son gré, ni ne la fixe dans les yeux, trop apeuré par le mépris qu'il y lira.

— Je vous l'implore, retrouvez ma sœur. Si Rehan... Si Rehan est véritablement le traître, un chef de cette rébellion... Raina Von Umbra. Retrouvez-la. Par pitié. Je n'ai jamais voulu ce qui est advenu, après la bataille d'Athusea. Je n'ai pas revendiqué le trône. Et... Il est vrai que je ne vous ai pas appelé à la capitale pour vous le rendre. C'est vrai. J'admets ma faute à votre égard. J'étais... Je suis rancunier par nature et c'est vous... Vous avez brûlé Nouria. Mon village. J'étais plein de rancœur et je ne pouvais me résoudre à vous remettre le trône après ce massacre. J'étais même heureux en apprenant la mort de votre monture. Je n'aurais pas dû laisser les ressentiments se nourrir de moi. Je ne suis pas ainsi. Je crois que les ténèbres en ont réclamé, pour grossir et s'épanouir en moi... Pitié. Ma sœur. Je... Promettez qu'elle ira bien. Raina Von Umbra.

Astra Silvaria ne montre rien de son opinion sur sa tirade. Il chancelle, proche du vide. Un grattement glisse contre les parois de son esprit. Il doit agir vite. Hors de question que les ténèbres s'emparent à nouveau de lui. Mais, sa voix d'acier le fait sursauter :

— Raina Von Umbra... Tu la sauveras tout seul, Roi banni.

Dans la seconde, elle empoigne son bras et le propulse contre son Wyvern. La créature ailée ne bronche pas, même si elle n'est visiblement pas réjouie par la tournure des événements. Elle pousse un ronronnement adorateur vers sa cavalière et un grognement méchant vers Dallan.

— Je ne...

— Monte, bordel ! Nous n'avons pas toute la journée.

Dallan ne sait pas comment il a grimpé sur le dos de cette chose, ni comment il a fait pour ne pas chuter une fois dans les airs, sans scelle, ni rien pour le retenir. Hormis la poigne assurée de l'héritière Silvaria. L'épuisement le foudroie d'un coup. Peut-être parce que son instinct le calme en pressentant qu'il est enfin en sécurité. Il s'endort, blotti contre la cape noire de la cavalière et sur les écailles chaudes du Wyvern.  

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