IV - Gabriel Thornheart
Un rire cristallin s'échappe de ses fines lèvres, alors que la jeune Enchanteresse file entre les arbres à une allure qui lui indique clairement, qu'avec un autre, elle ne survivrait pas longtemps. Il la regarde s'échapper en sachant qu'elle n'aurait aucune chance. Pour une raison qu'il ignore, ses yeux d'argile se pose une seconde de trop sur ses jupons souples, voletant sur son passage, et cette poussière dorée qu'elle soulève et qui l'encercle comme des ailes d'ange. Il la laisse courir en se moquant bien d'où sa course la mènera. De toute manière, elle ne sortira pas d'ici. Il marche à pas lent, piégé dans le même environnement depuis une semaine.
Une forêt enchantée. Une forêt enchantée ! Ironique pour un Fae. Il vivait dans ce genre de bois avant. Le conflit s'est envenimé, les Hommes et les Enchanteurs se sont alliés et voici où cela le conduit. En réalité, bien qu'il cherche à enterrer toute réaction et tout sentiment de sa part, sa stupéfaction a bien failli exploser sur son visage délicat au moment où elle a prononcé son nom. Raina Von Umbra. Une femme en lien direct avec Dallan l'usurpateur, le malheureux qui a chassé son peuple aux confins ouest du continent. Pourquoi une telle surprise assourdissante ? Il était convaincu que cet homme l'avait capturé et jeté ici. Une plaisanterie de mauvais goût, de quoi le faire payer, lui, pour l'arrogance des siens. L'apparition de cette blondinette aux jupons roses redistribue les cartes.
Il se dirige avec expertise entre les troncs. En tant que Fae, il possède deux avantages principaux dans une forêt enchantée : premièrement, sa mémoire à toute épreuve qui peut se souvenir du moindre détail dans les feuilles, et en second, son instinct profond dû à sa race qui lui permet de se sentir à l'aise dans n'importe quel bois. Il se remémore sans mal le chemin vers l'arbre où il a rencontré sa petite amie pour la dernière fois, quatre jours plus tôt, en espérant qu'elle n'ait pas dérogé à sa promesse.
Il n'entend bientôt plus les soupirs essoufflés de l'Enchanteresse, signe qu'elle est suffisamment loin pour échapper à ses sens affûtés. Il lui a fallu tout ce temps ? Elle n'est pas rapide, ni fort, et pitoyable en éloquence – du moins, sa voix enjôleuse ne l'aurait jamais persuadée de la ramener à Athusea s'il avait été son ravisseur. Qui plus est, elle a beau bénéficié d'un charme onirique, elle casse tous les standards des Faes. Pas de chevelure brune ou rousse, pas d'or ou de vert dans ses yeux, un peu trapue et courte sur ses jambes, contrairement à la minceur des femelles de son espèce, pas très grande, et d'une naïve à faire grogner d'ennui. Les siens l'observeraient avec un sourcil haussé avant de murmurer entre eux sur le moindre de ses défauts.
Dans un recoin de cette forêt enchantée, sous deux branches qui s'entrelacent en hauteur, un rayon de soleil illumine un tronc coupé qui lui arrive au menton, et dans lequel un trou s'est formé pour accueillir des écureuils. Il en caresse un, tout en étirant ses lèvres avec approbation. Sa minuscule petite amie ne l'a pas laissé tomber. Une fée, du nom de Mirabella, Mira pour les intimes, qu'il a connue un temps, lorsque les Faes n'étaient pas brûlés vifs, et qui a l'habitude de toujours le trouver où qu'il soit. De toute évidence, elle a marqué sa peau de sa magie bleutée, autrement elle l'aurait perdu au moment où il a été capturé et amené ici. Elle s'agite à sa vue, énervée.
— Eh bien, eh bien, ma tendre amie, ne te mets pas en colère, s'il te plaît. J'ai été retenu. Tu seras étonnée d'apprendre qu'une nouvelle invitée parcourt dorénavant cette forêt. Une Enchanteresse. La Princesse de Lavalon, apparemment. Je suis resté à ses côtés jusqu'à ce qu'elle se réveille, pour glaner des informations, mais elle ignore tout de son enlèvement. Tu l'aurais vue. Toute déboussolée. Je dois me tenir chanceux qu'elle n'ait pas pleuré dans mes bras. Beurk ! Quoi qu'il en soit, tu la trouveras quelque part, vers...là-bas.
Il pointe une direction au hasard et Mira plisse ses yeux luisant de sa magie féerique avec défiance, ses poings sur ses hanches habillées d'une robe épaisse jaune, presque invisible sur sa longue chevelure de feu.
— Bon, d'accord, je ne sais absolument pas où elle est.
Mais, elle ne bouge pas, l'air toujours méfiant, et il ajoute en un rire joueur :
— Quoi ? Je n'ai pas le droit de m'amuser un peu ? Elle est peut-être partie, parce que je l'ai effrayée, mais ne t'inquiète pas. Elle ne mourra pas de sitôt. Ou si son cœur lâche de terreur, je n'en revendiquerais pas le désastre. Ce n'est pas de ma faute si les mortels ne comprennent rien aux manières des Faes.
Mira roule des yeux et lèvre les mains au-dessus de sa tête. Elle s'exprime dans une langue incompréhensible et sa voix ne porte pas assez pour qu'il l'entende. Mais, les Faes sont accoutumés à ces petites créatures et savent comment interpréter leur gestuelle pour communiquer. Qu'as-tu fait, au juste ? l'interroge-t-elle.
— J'ai mentionné ce jeu populaire parmi les Faes qui consiste à pourchasser des jeunes filles pour les terroriser et les dévorer, mais cette pratique a été bannie dans une époque lointaine et seuls les plus cruels et meurtriers d'entre nous participent encore à ces concours répugnants. Je ne saisis pas pourquoi les mortels nous craignent autant.
Ah oui ? Tu ne vois vraiment aucune raison ? rétorque-t-elle en agitant frénétiquement sa bouche. Il rit de plus belle et lui montre ses paumes en guise de drapeau blanc.
— Je ne m'excuserai pas, néanmoins, mais je promets de la retrouver. Si ce n'est pour lui expliquer comment fonctionner la forêt enchantée. Elle serait capable de se laisser mourir de faim.
Ils expirent tous les deux en simultané. Ah ces mortels, semblent-ils geindre. Pour une fois, ils sont d'accord. Elle désigne la direction qu'il a pointée et bien qu'il préférerait s'asseoir pour flâner toute la journée, il la suit. Mira, et les fées en général, aime venir en aide aux démunis. C'est pourquoi elle l'a protégé pendant la guerre, pourquoi les siens ont offert des refuges aux Faes et pourquoi elle est désireuse de retrouver l'Enchanteresse au plus vite.
— As-tu découvert l'information dont j'ai besoin ?
Elle s'arrête une minute pour hocher de la tête et commence un mime qui ne laisse pas de place aux doutes.
— Les vampires ? s'étouffe-t-il. Cet endroit appartient aux vampires ?
Non, au vu de ses grands gestes. Il retente :
— Cet endroit appartient à quelqu'un d'autre, mais les vampires nous gardent et s'assurent que nous ne sortions jamais, c'est cela ? Ingénieux. Emprisonner un Fae dans une forêt enchantée, ce serait stupide de l'abandonner là sans surveillance. Donc, si je parviens à m'évader, j'affronterais des vampires. Qui s'allie encore avec ces créatures disgracieuses ? Quelle honte ! Je ne pourrais pas me regarder dans un miroir si je faisais alliance avec ces choses. Eux non plus, d'ailleurs.
Mira rit de bon cœur, et il perçoit tout juste un sifflement dans le lointain, malgré son ouïe de Fae. Ils avancent dans la forêt en silence après cela. De temps à autre, elle s'envole et tournoie quelque peu, dans l'espoir de l'égayer et de le tirer de sa morosité, mais il est égaré dans ses pensées intenses et ne sourit que par respect pour sa petite amie. Au bout d'une vingtaine de minutes, il discerne finalement une trace de la jeune Enchanteresse et il s'avère qu'ils progressaient bel et bien dans la mauvaise direction. Elle le gronde à gros coups de doigt dans la joue, mais cela le divertit davantage.
Il leur faut une demi-heure au moins pour la localiser. Il flaire d'abord un parfum de fleurs prononcé et ensuite, sa lourde respiration, puis ses gémissements paniqués et ses jurons originaux. Rien qui ne soit vraiment grossier. Ces insultes typiquement imaginatives des jeunes femmes qui veulent se prétendre plus polies que les autres. Cela le distrait un peu plus et il met de côté ses réflexions en apercevant le bout de ses jupons pastel. Elle s'est accroupie derrière un tronc en pestant et en implorant l'aide des dieux. Mira s'en agace et tout dans son attitude prouve qu'elle est déçue de sa blague puérile. Il hausse les épaules pour toute réponse.
— Les dieux ne te sauveront pas, j'en ai bien peur, mon ange.
Elle pousse un cri aigu et plonge en avant, prête à courir à nouveau. Cependant, l'Enchanteresse est clouée au sol en croisant le regard doux de Mira. Les deux femmes paraissent s'apaiser l'une et l'autre, pendant qu'il fixe le ciel avec indifférence, les mains dans les poches amples de son pantalon. Il ne se recentre sur l'instant présent qu'à l'agitation de la fée.
— Ah oui. Mon ange, je te présente Mirabella, une Dame fée ainsi que tu peux le constater. Mira, voici Raina Von Umbra, la Princesse de Lavalon.
Son ton railleur souligne son amertume pour la Grande Alliance et sa rancœur profonde pour Dallan Von Umbra. L'Enchanteresse se tend, mais Mira réussit à la calmer une fois de plus en volant autour de sa tête, jusqu'à se poser sur son épaule.
— Elle souhaitait te rencontrer à tout prix. Mira est de nature curieuse. Quant à moi, je suppose que je te dois une ou deux explications pour me faire pardonner de ma plaisanterie.
Au regard méchant de Mira, il ajoute :
— Plaisanterie mesquine et affreusement inappropriée. Je ne m'excuse pas, soyons clairs. Je règle une dette. Donc, écoute-moi bien, mon ange. Cette forêt a été enchantée, évidemment. Cela signifie qu'elle sert de prison sans garde. Plus ou moins. Tu obtiendras toutes les ressources dont tu auras besoin pour survivre correctement. De l'eau pure pour boire et te laver, ainsi que de la nourriture fournie par les arbres.
Pour illustrer ses propos, il ouvre sa main vers une branche et une poire y tombe. Il l'attrape avec aisance et croque dedans, faisant gicler d'un jus délicieux. Elle scrute, non pas ses lèvres, mais la goutte sucrée appétissante qu'il lèche sur son doigt. Un gloussement le secoue et il lui propose le fruit qu'elle refuse, un hochement de tête farouche. Mira se moque gentiment d'elle, et il reprend :
— Une prison sans garde, plus ou moins. Ma petite amie, que voici, m'a prévenue que des vampires nous maintiennent sous haute surveillance. Avant de jouer aux intrépides et d'essayer de vaincre la forêt enchantée, songe plutôt à ceci, mon ange. Qu'est-ce qui est le mieux ? Vivre ici jusqu'à ce qu'un preux chevalier vienne te libérer ? Ou t'amuser à l'héroïne courageuse qui se finit couverte de morsures ?
Elle déglutit avec peine et frissonne de terreur.
— Ne vaudrait-il pas mieux négocier avec mes ravisseurs que de subir la cruauté des Faes ? rétorque-t-elle avec véhémence.
Mira lui renvoie une œillade, l'air de le rabrouer : si tu ne l'avais pas effrayée, elle t'écouterait volontiers. Il plaque une sérénité parfaite sur son expression faciale, au lieu de la lassitude qui menace de transparaître et réplique :
— Quoi qu'il en soit, je me fiche pas mal de ton sort, mon ange. Brave les interdits et va quémander la pitié des vampires, je n'en ai cure. Moi, je ne commettrai pas cette erreur.
Tout à coup, l'odeur de fleurs lui agresse les narines, si bien qu'il contemple les différents pétales ci et là, en quête de ce parfum puissant et envoûtant.
— Un Fae l'emporterait forcément contre un vampire, n'est-ce pas ? De quel pouvoir disposez-vous ?
Il est hautement déconcentré par ce parfum, mais s'arrache une réponse marmonnée :
— Tout un tas de pouvoirs, mon ange, mais nos bracelets les bloquent. Tu ne l'as pas remarqué de toi-même ?
Mira ne sent pas le parfum, mais elle note sa distraction et cherche avec lui. Seule Raina demeure entièrement focalisée sur la conversation.
— Réunissons nos connaissances, dans ce cas. Déterminons, en premier, pourquoi des vampires enlèveraient un Fae quelconque et une Princesse de Lavalon.
Il remue la main en l'air, comme pour rejeter sa suggestion.
— J'ai dit que les vampires nous surveillent, pas qu'ils nous ont emprisonnés. Ce sont de misérables mendiants, sans terre, ni possessions. Ils travaillent probablement pour la personne qui a lancé l'enchantement sur cette forêt. C'est cette personne que nous devons identifier.
— Très bien, merveilleux ! s'enrage-t-elle. Des vampires et un parti mystérieux œuvrent ensemble contre une Enchanteresse et un Fae. Formidable ! Je ne comprends même pas ce que nous faisons tous les deux ici. Nous sommes ennemis jurés. Qui aspirerait à s'en prendre à nos deux races ? Qui ? Quel fou ?
Il l'entend tout juste. Mira se relève d'un bond et effectue quelques spirale sous la main de l'Enchanteresse et c'est là qu'il prend consciente d'une blessure. Le côté de sa paume est écorché, et une traînée de sang a coulé sur le sol...faisant éclore plusieurs fleurs. Il se fige de confusion, ne comprenant pas tout de suite. Il balance la poire derrière lui et coupe la jeune femme dans sa tirade de panique, la prenant de court. Il saisit ses doigts pour les dévisager. Elle a un mouvement de recul, mais ne fuit pas.
— Comment et quand t'es-tu fait ceci, mon ange ?
Et là, contre toute attente, une jolie fleur se fane tout près d'elle à la seconde où sa colère déborde :
— Je ne suis pas votre ange, malotru ! Je ne serais jamais l'ange d'un Fae ! Vous êtes la créature misérable dans ces bois et je choisirais mille fois de parler avec les vampires pour m'éviter d'endurer vos farces ridicules tous les jours. Ne détournez pas le sujet principal. J'exige des réponses ! Qui êtes-vous ? Pourquoi vous enlever, vous parmi tous les autres Faes ? Quel lien pourrions-nous avoir qui motiverait un fou à nous capturer tous les deux ? Quel serait le but ? Je veux savoir tout cela, et maintenant !
Mira pouffe, mais il n'est plus amusé du tout. La nonchalance est remplacée par une noirceur distante qu'elle a réveillée. L'Enchanteresse pressent les conséquences de sa faute avant qu'il n'agisse. D'une force maîtrisée, il l'attire à lui et la garde appuyée contre son torse. Ses pommettes s'enflamment et elle se perd en bégaiements inutiles. La fée décide de disparaître, tandis qu'il affiche une fermeté qui la fait plier. Il doit hisser son menton pour qu'elle cesse d'esquiver son regard.
— Comment t'es-tu fait cela, mon ange ?
Son embarras se transforme en brasier. Il sent son désespoir, respire sa gêne et se délecte de son énervement. Il inspire profondément, le nez tout contre sa nuque. C'est elle. Le parfum floral. C'est bien son sang qui a fait éclore ces fleurs. Elle serre les dents en maugréant :
— Oh, je ne sais pas. Peut-être en tombant dans ma fuite ! À cause de vous, imbécile.
Il porte sa main au niveau de sa bouche et achevant de la déstabiliser, il glisse sa langue tout le long de l'écorchure. Du sang putride d'Enchanteur et du sang de Fae.
— Mon ange est une sang-mêlé.
Elle n'a pas besoin de valider son intuition. Impossible de se tromper. Il la relâche. Elle ne se détend pas. Une fois de plus, il trouve le moyen de la surprendre en une révérence exagérée. L'Enchanteresse aux joues rouges l'imite par réflexe, alors qu'il chantonne :
— Gabriel Thornheart. Je suis d'accord avec toi, mon ange. Cela ne peut être une coïncidence. Car je suis Prince de mon peuple, tout comme tu l'es du tien.
Elle se pétrifie à son sourire charmeur et il savoure l'émoi dans laquelle il la propulse à chaque regard. Sa déclaration leur ouvre un champ infini de possibilités et de théories.
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