Chapitre 4

Le samedi matin, Aurélien avait galéré à faire ses devoirs, et après avoir mangé en silence, il était sorti retrouver ses amis, le sourire aux lèvres. Heureux d'en avoir vite fini avec ce qui le retenait chez lui dans l'atmosphère oppressante de son foyer, il arriva au QG de sa bande.

— Hey, lança-t-il à l'assemblée

— Salut, avait répondu Zacaria, l'air renfrogné

— Bah, mon pote, qu'est-ce qui va pas ? demanda Aurélien

— Maintenant que tout le monde est là, je vais vous expliquer.

Une ambiance solennelle régnait dans le groupe d'amis. Zacaria reprit la parole et annonça de but en blanc :

— Je rentre en Italie.

— Raconte pas n'importe quoi, fit Dino

— Je rigole pas.

Et il avait raison. Zacaria ne plaisantait jamais.

— Sérieux ?! avait pesté Clément, qui n'en revenait pas.

— Oui. On rentre à Bari. Mes parents peuvent plus payer le loyer.

— Mais... Ça veut dire qu'on se reverra plus avait gémit Dino, peu lucide

— Je rentre chez moi, avait redis Zac', comme si lui-même n'y croyait pas.

Clément et Aurélien ne disaient rien. Ils avaient toujours vécu ensemble, dans ce quartier du plus pauvre arrondissement de Marseille. Voilà que Zacaria les quittaient. C'est comme si Aurélien se sentait déchiré de l'intérieur.

— Désolé d'annoncer ça comme ça mais...

— Tu pars quand ? avait fini par couper Clément, toujours la bouche béate.

— A la fin du mois.

— Quoi ?! Tu finis même pas l'année ?!

— Non. On va se faire expulser, et on rentre à Bari, où ma grand-mère devrait nous héberger.

— Zacaria... Putain...

— Aurélien...

— Les gars... Je crois que j'ai du mal à digérer. Faut que j'aille marcher, avait répondu Aurélien après un long silence où tout le monde regardait ses pieds.

Aurélien ne savait pas où il allait. Ce qu'il faisait. Il errait sans but dans la ville, et ses pas le menaient à la gare routière. Il avait de l'argent en poche, par pure coïncidence. Il se décida à prendre la première destination qu'il voyait affichée sur le tableau récapitulatif. Il ne savait plus ce qu'il faisait. Pourquoi quitter Marseille et la Belle de Mai ? Il ne savait pas, ou n'avait pas envie de savoir. Il fuyait juste, pour faire retomber la pression, parce que c'était après tout une solution parmi d'autres pour remédier aux problèmes qu'on rencontrait, loin de la lâcheté que certains évoquaient en pensant à la fuite.

Le bus était inconfortable, mais Aurélien s'en foutait. Le siège lui taillait les entrailles, lui coupait le dos. Il regardait le paysage Provençal et soudain, il se mit à pleurer. Il retenait ses pleurs depuis longtemps, et c'était juste le mécanisme de son cerveau qui s'était mis en place.

C'était Avignon qui était la première sur la liste des départs, cette si belle ville. Il y avait Montélimar, Cavaillon et Orange, et le gamin trouvait les noms jolis. Et puis après, il y avait Valence. Et Valence, ça lui rappelait l'Espagne.

Voilà, Aurélien se rendait à Avignon. Il ne savait pas pourquoi. Il se laissait porter par les vagues de la vie. Quoiqu'il aurait pu se faire porter par les vagues de la mer.

Aurélien était arrivé une bonne heure plus tard à la gare routière d'Avignon. Il avait traversé le grand boulevard Saint-Michel qui la bordait pour rejoindre le centre historique. Il voulait se balader quelque temps, et pourquoi pas après monter encore au nord. Le garçon se promenait dans les rues qui ressemblaient à celles de Marseille, les mêmes volets et les mêmes toits peuplaient les maisons. La Provence était toujours là, le dépaysement n'y était pas. Aurélien regarda l'argent qui lui restait. De quoi aller jusqu'à Valence. Le jeune homme avait ensuite été jusqu'au Palais des Papes, et il avait grignoté un sandwich acheté dans une supérette. Avignon, ça sonnait bien, comme nom de ville. Il lui restait le fameux pont de la ville à visiter, avant de repartir. Il se sentait libre, sur cet édifice inachevé qui traversait le Rhône. Le gamin était reparti à la gare routière, cette fois-ci prenant un bus pour Valence. Aurélien ne savait toujours pas ce qu'il faisait. Zacaria partait. C'était fini. Retour vers l'Italie par un aller simple. Prendre la bagnole où entasser les vestiges d'une vie passée dans un appart minuscule. Repartir dans un rugissement de la petite Peugeot où cinq silhouettes s'entassaient, un homme et une femme fatigués à l'avant et trois enfants plus frêles à l'arrière, deux gamines insupportables séparées par leur grand frère au milieu. C'était ce qui allait se passer dans trois semaines. Une énième fuite. Et Aurélien, au lieu de profiter de son ami pour les derniers jours qui leur restaient, il avait fui. Peut-être parce qu'il ne se sentait pas prêt à faire le deuil d'une époque, le deuil de son enfance. Il avait quatorze piges et passait toujours son temps à jouer au foot et détestait l'école. Le blondinet voulait rester à jamais un enfant. Il avait désespérément peur de grandir.

Il avait attendu son bus une demi-heure en regrettant son sandwich jambon-beurre avalé quelques dizaines de minutes plus tôt. Son ventre gargouillait, et la bonne nourriture de sa mère lui manquait. Pourtant, Aurélien était prêt à continuer sa fugue, sa cavale. Sa fuite. Il ne devait pas se rendre compte de l'ampleur de ses actes. Valence, et après ? Lyon ? Clermont ? Ou alors, Paris, ou pourquoi pas Genève, en dehors du territoire, même sans aucun document d'identité ? Mais non, ça resterait Valence. Aurélien n'avait plus un franc en poche.

Le bus filait vers le nord, abandonnant la région Provence Alpes Côte d'Azur. Et cela ne dérangeait pas le moins du monde Aurélien. Il se sentait oppressé à Marseille. Et en fait, c'était une des premières fois qu'il sortait de sa région. Il ne partait pas en vacances. Parfois quelques jours à Cavaillon chez son oncle Boris et vers Gap chez ses grands-parents, mais rien de plus.

Valence... Ce nom de ville aussi, il le trouvait poétique et beau. Les noms de villes du sud-est, il les trouvait jolis. Dax, Hendaye, Albi, Auch ou Biscarrosse de l'autre côté, dans le sud-ouest, Aurélien trouvait ces noms beaucoup moins agréable à prononcer.

La Drôme... Cela lui évoquait les oliviers, le climat doux, l'été à danser pendant des vacances au camping, se découvrant des amours de vacances au bord des rivières, des fêtes et des lampions.

C'était cliché, et pourtant Aurélien aimait bien cette vision.

Les paysages défilaient derrière la vitre en plexiglas. Les pensées d'Aurélien se bousculaient et s'entrechoquaient dans sa tête et ses visions lui arrachaient un mal de crâne. Les pleurs revenaient. Zacaria... Il partait. A Bari. Et après ? Ils ne seraient plus qu'un groupe fantôme relatant les vieux souvenirs enfouis dans les esprits. Aurélien vivait pour ses amis et uniquement pour eux. Que se passerait-il après ? Dino repartirait lui aussi sans doute à Bari, Clément, si fort à l'école s'enfuirait loin de son quartier et Aurélien resterait à la Belle de Mai. Il finirait alors intérimaire dans le chantier comme son père, Pierre.

Les soubresauts du bus qui secouaient les autres passagers n'atteignaient pas Aurélien qui continuait de se mouvoir dans sa tristesse infinie qui ne pouvait pas être guérie.

Le bus avait fini par arriver rue Denis Papin, à la gare routière. Il était déjà tard et le soleil n'allait pas tarder à s'en aller. Aurélien n'avait pas un sou en poche, il avait tout épuisé. Il se retrouvait à Valence, une ville qu'il ne connaissait pas d'un poil, tout ça parce que ça sonnait mieux que le Puy-en-Velay. Il traînait dans les rues qui défilaient, il ne savait pas quoi faire. Mais pourquoi avait-il quitté sa ville ? C'était la question qu'il se posait en triturant sa carte téléphonique qu'il avait emmené. La cabine téléphonique dans laquelle il s'était dirigé était insalubre, mais cela ne semblait pas le déranger. Après maintes tergiversations, il se décida à décrocher le téléphone bleu marine. Il n'assumait pas d'être parti si loin. Il se décida enfin à appeler, composant le numéro en tremblant.

— Allo... Mamie ?

— C'est mon petit bout de chou ? Nicolas ? Ah ? Non, Aurélien. Que veux-tu mon petit ?

— Je suis à Valence.

— Hein ?

— Tu as bien entendu.

— Mais... Que fais-tu là-bas ? Tu es tout seul ? Où sont tes parents ?

— Je... Je sais pas... J'ai plus un franc en poche.

— Tes parents ? Ils sont au courant ? Tu veux que je les appelle ?

— Non... S'il te plaît... Mamie... Ne leur dis rien... Je sais pas quoi faire...

— Tu veux que je vienne ?

— Quoi ? Non ! Non... Enfin... Je sais pas comment... Comment rentrer à Marseille....

— J'arrive. Attends-moi devant la gare routière.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top