Chapitre 35
Quand Dino était arrivé à Valenzano à côté de Bari, il était heureux. Heureux de retrouver sa famille, mais surtout content de pouvoir revoir Zacaria. Le père de Dino avait coupé les ponts avec sa famille pour une sombre histoire d'héritage, et avec son frère, ils n'avaient jamais vu leurs grands-parents paternels. Tout ce qu'ils savaient, c'est qu'ils vivaient dans une ville moyenne des Abruzzes. Ses grands-parents maternels étaient divorcés depuis une vingtaine d'années. Pourtant, ils habitaient toujours dans le même quartier dans des maisons presque cote à cote. Ils ressemblaient à des vieux amis, à qui être en couple n'avait pas réussi. Parfois l'un mangeait chez l'autre, parfois ils s'invitaient à regarder un film ou à boire un apéro en critiquant la politique.
Quand la petite famille venait pour l'été, ils logeaient chez les deux, parfois quelques jours chez l'un parfois les enfants chez la grand-mère et les parents chez le grand-père. Toutes les configurations étaient possibles.
Les journées à Vanlenzano étaient ennuyeuses, alors on prenait souvent le bus pour retrouver le centre-ville de Bari. Dino connaissait parfaitement la rue où habitait son ami à Carbonara, ils passaient une partie de leur été ensemble dans cette ville du Sud de l'Italie où il faisait bon vivre. A Marseille ou Bari, les deux ados ne se quittaient pas.
Après s'être installé dans la petite maison de sa grand-mère, Dino n'avait pas tardé à rallier Carbonara Santa-Rita pour retrouver son ami. Devant la porte à la peinture qui s'écaillait, il avait songé à ce mois de juin qu'ils avaient passé à trois à Marseille. Il avait été monotone et triste.
Quelques instants après avoir frappé, le père de Zac' avait ouvert la porte en bois. Par politesse, Dino avait fait l'effort de parler en italien pour demander où était son ami. Tancredi connaissait de vue ce gosse aux oreilles rondes et à la bouille souriante.
— Tu cherches Zacaria ?
— Euh... Ouais...S'il est là bien sûr.
— Je crois pas. Je pense qu'il est parti il y a une demi-heure avec Cora. C'est la fille de mon ami. Tu veux rentrer ? On doit avoir un peu de jus de pomme en réserve.
— Bon, ben, si vous voulez bien...
Dino était étonné. Comment Zac pu omettre de dire qu'il s'était déjà fait une amie ? Il était timide, mais quand même, de là à cacher la nouvelle à ses amis...
Le père de Zac avait servi un grand verre de jus frais au gamin, et était reparti sur la table de la salle à manger retrouver son ami avec lequel il commentait un de ces programmes télévisuels débiles de la tranche de fin d'après-midi. Entre les deux hommes, le gamin se sentait mal à l'aise. Tancredi et son ami buvaient en commentant le feuilleton, et Dino se sentait de trop.
Au bout d'un temps qu'il n'avait su calculer, Zac' et une fille aux cheveux bruns rassemblés en une queue de cheval parfaite étaient arrivés. Quand il avait franchi le perron de la maison, Dino s'était levé tout excité pour le prendre dans ses bras. Zacaria, gêné, mais heureux avait rapidement présenté Cora à son ami avant que cette dernière, en toute intelligence, décide lever le camp en saluant discrètement son ami.
— Bah dit donc, tu m'avais pas dit que t'avais une copine.
— Je sais pas si c'est ma copine.
— Oh, arrête de te poser des questions ! Ça crève les yeux, t'as vu comment elle te regarde ? On dirait Auré avec son Irakienne.
— D'accord, on est proche mais on a pas encore défini ce qu'on était...
— Ce qui est dingue, c'est que ce soit toi et Auré les plus timides de nous quatre et que se soient justement vous qui aiyez trouvés des « amies » au féminin le plus vite. Je mets des guillemets sur « amies » hein.
— T'as qu'à chercher, aussi !
— OK, un à un la balle au centre. Bon, sinon, comment tu trouves l'Italie ?
— C'est cool. Je me suis vite habitué et puis la ville ressemble un peu à Marseille. Le port, les quartiers, l'ambiance... D'ailleurs, ça te dit qu'on parte se promener sur la plage ?
— Si tu veux. J'ai pas mon maillot, mais on fera trempette.
Zacaria avait appris par cœur les trajets pour rallier le centre-ville. Il connaissait les petites rues sombres qu'on devait traverser, avec des immeubles presque attenants et du linge pendouillant aux fenêtres. En général, le gamin aimait bien se promener dans les ruelles et admirer les deux murs qui le pressaient avant de rejoindre les grands boulevards du centre-ville où les mères poussaient leurs gosses dans ces poussettes achetées d'occasion. Elles discutaient en parlant fort sur les trottoirs avec leurs bébés qui braillaient enfoncés dans leur duvet bien rangé. Ces mères aux foyers qui faisaient leurs courses sur les marchés et dans les épiceries avenantes, marchandant sans cesse les produits de premières nécessités en dépensant l'argent durement gagné par leur mari. C'était sur le port qu'ils gagnaient leur salaire, en portant des charges trop lourdes pour leur dos qui finira cassé après plusieurs accidents de travail. C'était la norme, de voir ces corps qui rentraient, courbés dans les foyers le soir. On marchandait son corps contre de l'argent. C'était une autre forme de prostitution, l'aliénation, la plus-value de la théorie marxiste. Tous les hommes finissaient le dos en compote, abattus par ce travail qui les rongeait. L'espérance de vie de ces ouvriers n'était pas très élevée, et ils mourraient parfois avant la retraite, et si ils l'atteignaient, ils finissaient dans un fauteuil roulant, perdant leur autonomie, passant les après-midis ensoleillés chez les vieux copains, à jouer aux cartes ou à critiquer la télé. Le grand-père de Zac' avait fini comme ça, et il en était mort.
Sur la plage de la ville, les serviettes des locaux et des quelques touristes avaient envahis l'espace disponible. Ils s'étaient faufilés pour trouver une place et eux aussi étendre leurs serviettes, avant de se jeter à l'eau, en faisant la course. Courir et sauter dans l'eau rafraîchissaient quand même vachement, et les sourires venaient se forger sur les visages des deux amis qui se retrouvaient, enfin. Ils avaient tant à se dire, Dino rattrapait le temps en donnant des nouvelles de Marseille, d'un peu tout le monde, aussi. Il disait que son frère avait eu son bac mais qu'il ne savait pas ce qu'il allait faire l'année prochaine, que tout le monde était content, parce que c'était la fin de l'année, que y avait la coupe du monde de foot comme tous les quatre ans, et que pour une fois, c'était la France qui accueillait.
— Quand je pense que la France est en finale... Clément avait raison.
— Ouais. D'ailleurs, je regrette de pas vivre ce moment à Marseille demain, ce serait quand même vachement cool. Ici va rien se passer...
— Bah, il y aura bien le match à la télé.
— Ça te dit on se tire à la frontière, vers Nice pour vivre ça ? demanda subitement Dino.
— Mais t'es fou ! On va jamais remonter toute la botte pour voir juste un match !
— C'est pas « juste un match » c'est la finale de la coupe du monde de foot. Et la France est qualifiée. Et c'est le pays organisateur. Allez... S'il te plaît... On se prend un peu d'argent et on file au nord, avait imploré Dino.
—Si on va à Nice, autant demander à Clément et Auré de venir pour qu'on se retrouve.
— Si tu veux, ouais.
— Mais c'est du délire...
— Putain, mais s'teplaît... Limite t'as juste à dire que tu dors chez moi et vice-versa... Demande de la thune à tes vieux et on se casse.
— Toujours cette technique pétée pour pas se faire repérer par les parents.
— Oui. On y va, fais ton sac, je prends déjà un bus pour Bologne.
— T'es fou.
Alors ils étaient retournés chez eux en prévenant leurs parents qu'ils dormaient chez l'autre. C'était foireux et délirant comme d'habitude, mais ils étaient jeunes, cons, et innocents, et sur le moment, ils ne voyaient pas le mal. Parce qu'un autre monde les attirait, que les allées de Bari les saoulait à peine arrivés, ils voulaient fuir, tenter autre chose, sentir l'adrénaline monter dans leurs corps de frêles ados en quête de sensation.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top