Chapitre 28
Au bout de plus d'une heure de vélo, voyant bien que son cousin était crevé, Jérémie avait eu un peu de pitié et s'était arrêté sur le bas-côté de la route.
— On va où, en fait ? avait fini par demander Auré.
— A côté du lac. Y'a un spot sympa dans les bois. Désiré va nous rejoindre.
Jérémie n'était pas très bavard. Il se contentait d'emmener son cousin dans des endroits pas possible pour pas qu'il se fasse chier chez ses grands-parents, et c'était déjà vachement sympa.
Le blond avait refermé le goulot de sa gourde verte, l'avait remis dans son sac à dos de citadin avant de reprendre la route derrière son acolyte.
Les arbres feuillus s'enchaînaient, le compteur kilométrique aussi. Sur les départementales, en plein cagnard, deux silhouettes filaient vers le lac. Il songeait à ces touristes qui squattaient pour se faire dorer les fesses parce que cette année, ils n'avaient pas eu assez d'argent pour descendre jusqu'à la côte d'Azur. Ca faisait bien marrer Désiré et Jerem qui passaient leurs vacances à se moquer de leur maillot de bain, de leur teint rougi par le soleil. Les gens qui venaient passer leurs vacances dans le coin étaient d'une manière générale ceux qui n'avaient pas eu assez de thunes pour aller autre part et qui se retrouvaient à réserver dans un camping sans restaurant et services alentours. Seule une minorité de voyageurs venaient pour profiter du paysage et de la montagne. Les mines étaient renfrognées, on voyait bien que les gens n'étaient pas pleinement contents. Ils n'avaient pas pu descendre jusqu'à Cannes, voir la mer Méditerranée, et ce n'était pas comme si ce coin paumé vers Gap allait leur faire oublier. Aurélien aussi se prenait aux jeux. De chercher d'où venait les belles filles, de savoir comment elles s'appelaient, ce qu'elles aimaient... C'était surtout Jerem qui draguait. Avec son allure, il gagnait pas mal, et les lycéennes ou jeunes étudiantes devenaient abordables. Le gamin enchaînait les petites copines, pas plus d'une semaine, la plupart du temps. Parce qu'elles partaient, ou finissaient par découvrir son âge.
Désiré s'amusait de la situation, mais n'aimait pas aller au contact. Il se contentait de commenter les petites amies de son meilleur pote, et de noter sur dix les culs de tout le monde pour passer inaperçu.
Il devait déjà être dix-sept heures quand ils étaient arrivés au lac de Serre-Pançon. Certains touristes partaient, d'autres venaient juste d'arriver, chaleur écrasante oblige. Auré avait enfilé son maillot de bain, et sans regarder si son cousin le suivait, il avait sauté dans l'eau. Elle était sacrément bonne. Un peu trop, peut-être. Il avait nagé sur plusieurs mètres, redécouvrant les bienfaits de l'eau sur son corps. C'était pas comme si à Marseille il se baignait souvent. La plage était loin, et soit il n'avait pas le temps, soit il n'avait pas envie, soit elle était trop froide, même si l'excuse sonnait faux pour la Méditerranée.
Jérémie avait pris soin de s'étaler de la crème sur le visage et les épaules, avait retrouvé Désiré entrain de bronzer, puis ils avaient rejoint Auré qui pataugeait dans l'eau comme un môme.
— Salut.
— Ah ! Salut Auré. Ca faisait longtemps. Tu vas bien ?
— L'année dernière, en fait. Et oui, sinon, ça va.
— Bon, coupa Jerem, t'as vu des meufs canon ?
— J'ai pas vraiment cherché...
— Toujours à dormir et à bronzer. T'es togolais, je crois que niveau peau, t'es champion dans ta catégorie. En fait, t'as juste glandouillé.
— C'est ça.
— Mais qu'il est con. Qu'il est con. Auré, tu viens m'aider à chercher ?
— Si tu veux.
— Nan mais attendez... On peut pas aller se baigner plutôt ?
Désiré les avaient finalement suivis. C'était Jerem qui menait, et ça avait toujours été comme ça. Parce que c'était lui qui avait le plus de caractère. Ils avaient passé une vingtaine de minutes à mater des petits culs, et puis Jerem avait dit que ça suffisait, alors ils avaient regagné la forêt. Dans leurs sacs à dos, ils avaient prévu de la bouffe, pour pique-niquer. Il était encore tôt, alors ils étaient retournés dans l'eau, s'étaient payé une glace, avaient papoté. Le cousin s'était même dégoté une jolie fille. Dix-huit ballais, qu'elle avait dit. Jérémie les avait présentés comme des gamins qu'il emmenait au lac par gentillesse. Après les quelques salutations, ils étaient partis batifoler on ne sait où, en laissant en plan Auré et Désiré.
— Il en a eu combien depuis le début de l'été ? avait demandé Auré, plus pour faire la conversation que par réel intérêt.
— J'sais pas. Je compte même plus. Dix peut-être. Y'en à où ça dure quelques heures, un après-midi, et d'autres une semaine. Tu le connais. Fidèle à lui-même.
— C'est pas faux. Et toi, pourquoi t'irai pas chercher une meuf ?
— J'sais pas... Parce que j'ai l'air d'un gamin de treize ans, ce que je suis. Je ne ressemble pas à Jerem'. Et j'sais pas trop, ça m'intéresse pas. Toutes ses petites-copines ont l'air chiantes, et en plus, l'histoire dure pas. A la fin de l'été, ou avant, elles finissent forcément par repartir dans leur bled paumé. Et nous, on reste dans le nôtre, alors à quoi bon ?
— Ouais. Je suis sûr que t'as déjà essayé mais que tu t'es fait rembarrer, rigola Aurélien
— Si tu veux. Mais j'ai fait ça qu'une ou deux fois. C'était trop chiant pour continuer, en plus celles que je peux aborder n'ont que quatorze ou quinze piges... Et entendre parler de maquillage pendant des heures... C'est chiant, termina Désiré.
— T'as raison.
— J'ai faim.
— Moi aussi.
— On va chercher Jerem pour pouvoir manger ?
— Ouais, Carrément !
Jerem avait fait la gueule cinq minutes parce qu'ils avaient écourté son entrevue avec la certaine Amandine mais dès qu'il avait pioché dans les cacahuètes qu'avait apporté son ami, il avait arrêté de râler, aussi parce que la fille en question n'était pas si belle que ça, elle avait de l'acné sur les joues si on regardait bien et sa poitrine était un peu tombante, ça avait découragé Jerem et ses aspirations.
C'était le début de la soirée ou la fin de l'après-midi, au choix. Les familles aux bambins sautillants partaient peu à peu pour manger dans leur location prise pour la semaine. Certains restaient pour pique-niquer comme Jerem, Auré et Désiré. D'autres venaient pour le début de la soirée, des jeunes étudiants en ribambelle souvent bruyants, venus bouffer devant l'eau claire en buvant des bières réchauffés par la chaleur ambiante. Elles devaient être dégueulasses, mais ils semblaient s'en foutre, en portant sans cesse le goulot à leur bouche.
Les trois ados avaient décidé de rester jusqu'au coucher du soleil sur le lac, et peut-être après. Ils alternaient entre longueur et jeux dans le lac au-delà des zones autorisées à la baignade, et moments où bouffer des apéricubs et des cacahuètes en se moquant des nageurs arborant un crawl laissant à désirer.
Ils papotaient comme des meufs, aurait dit Nico. La soirée avançait, la nuit aussi. Les grillons faisaient un bruit pas possible faisaient mal au crâne. Jérémie ne semblait pourtant pas vouloir lever l'ancre. Il était déjà tard, et le temps de rentrer était venu. Auré savait bien qu'il allait se faire massacrer par ses parents au vu de l'heure si tardive.
Quand la nuit noire avait fait son apparition, avec une lune en croissant qui n'aidait pas beaucoup à la vision, Jérémie avait réfléchi trente secondes, et s'était dit que ça pouvait finalement être une bonne idée de rentrer. En plus, y'avait plus d'apéricubs et de cacahuètes, et sans repas consistant, ils avaient quand même la dalle.
— Bon. On y va ? avait demandé Jérémie.
— Yep.
Et sur le champ, ils étaient retournés sur les départementales, filant dans la nuit d'aveugle, occultant le bitume avec une misérable lampe de devant. Jérémie ouvrait la marche et Désiré la fermait. Pédaler en montée, c'était dur. Mais pédaler la nuit, avec rien dans le ventre et une fatigue chronique, c'était un défi irréalisable pour lui. Pourtant, Jérémie faisait ça sans effort. Quel était son secret ? Auré ne trouvait pas la réponse à cette question. Dix bornes, c'était pas beaucoup, mais le blond avait l'impression que ça durait une éternité. Derrière lui, il entendait le togolais être en peine, et ça le confortait dans l'idée qu'il n'était pas le seul des trois à suer. Il n'était pas l'exception, c'était son cousin qui l'était. Parce qu'il se sentait parfois exclu, devant la force physique des gens du coin. Après tout, il n'était qu'un gamin des quartiers de Marseille, et même pas des quartiers nord des dealers, alors l'intérêt qu'on lui portait était moindre. Ce n'était qu'un tocard de la ville qui ne savait rien faire de ses mains.
Le bled des grands-parents approchait. Désiré était parti de son côté pour retourner chez lui, et Auré redoutait ce que ses parents allaient dire. Il devait être plus de dix heures du soir, une heure à laquelle Micheline et Yvain étaient déjà couchés. La maison était à quelques enjambées, et Auré était seul avec ses interrogations. Même si son cousin, était là, il avait peur de la réaction de ses vieux. Les parents de Jerem étaient beaucoup plus tolérants, et il était rarement inquiété à cause de ses escapades.
La lumière provenant de la maison familiale permettent aux deux ados d'avancer sans être vu dans le noir. Le néon de la pièce principale devait être allumé, et Aurélien prit le temps de rentrer sa bicyclette au garage avant de frapper au carreau de la porte.
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