Chapitre 25

Ça sentait les vacances chez les Fournier. Le mois de la coupe du monde était passé, l'euphorie était montée, Aurélien avait regardé quelques matchs, parce que Zizou jouait, par ce que l'ambiance y était, parce que Clément défendait la France tout seul face à Dino, et qu'Aurélien s'en foutait. Il préférait jouer que de regarder le sport. Ichrak, elle, semblait ne pas plus s'intéresser à ce sport mit à l'honneur, mais l'ambiance dans laquelle était la ville lui faisait un bien fou, elle aimait voir de la bonne humeur autour d'elle, les cris de joie des supporters à chaque fois que l'équipe de France remportait une étape. Et même si l'Irak ne jouait pas, elle était heureuse pour ce pays qui l'avait accueilli.

Les valises prêtes pour les vacances étaient entassées dans l'entrée, l'heure du départ avait été fixée à quatorze heures. Ils avaient mangé les restes du frigo que Catherine avait ensuite débranché. Là, ils étaient censés partir dans une heure et Auré s'était mis en quête de trouver Clément et Ichrak. Dino passait la journée aux calanques avec sa famille à ce qu'il avait compris.

Aurélien rentrait rarement chez Clément. Il ne voyait pas trop ce qu'il pouvait faire chez lui. Pas de Play, pas d'ordi, rien qui nécessite une attention particulière. Il ne voulait pas emmerder ses parents et son frère en ramenant ses potes, et ils faisaient de même. D'une manière générale, ils allaient rarement les uns chez les autres.

— Purée, je me rends pas compte que tu vas louper la demie de Marseille, dans ton bled... Je suis sûr que y'aura pas d'ambiance. Ici, si on gagne, c'est carrément plus fun. On sera en finale, mon gars ! cria Clément.

— Ouais, mais t'inquiètes pas que mon père, il va vouloir voir ça.

— Je sais pas si on affrontera l'Allemagne ou la Croatie, mais je te jure que ce sera mémorable ! Alors regarde.

— Oui. T'as rien d'autre à me dire ? Je veux dire, quelque chose qui ne concerne pas la coupe du monde.

— T'es chiant, parfois, Auré. Je vois pas pourquoi ça te plaît pas. C'est plutôt cool, pourtant. Tout le monde roule dans la même équipe depuis que l'Italie a été éliminée. Et pareil pour le Maroc, la Tunisie, le Nigeria et le Cameroun, les gens qui ont leur origine là-bas ont ralliés la France, et je trouve ça grave cool. On vit un moment génial, je sais pas si tu te rends compte.

— Si tu veux, fit Aurélien, exaspéré. C'est juste que regarder des gens derrière le ballon à la télé ça m'intéresse pas. Je préfère que ce soit moi derrière le ballon.

— A la limite, le fait que tu t'en fiches du sport je peux comprendre. Mais regarde l'ambiance autour de toi ! Les sourires des gens, les klaxons des voitures... C'est l'été, et le trophée, on est à ça de l'avoir, fit Clément en réduisant l'espace entre son pouce et son index.

— Bof. Je suis pas convaincu. Les gens se réunissent grâce au foot, mais derrière, ils ne sont pas plus heureux, c'est juste une parenthèse dans leur vie. Tout le monde se rassemble derrière mais c'est faux, on fait juste comme tout le monde. Parce qu'exceptionnellement, tout le monde est porté par ces événements.

Aurélien avait compris le système de cette compétition sportive, donner du divertissement aux prolétaires pour qu'ils oublient leurs malheurs, leurs vacances qu'ils passeront chez eux sans partir et la dureté du boulot. Le foot, ça rassemblait, c'était bien. Mais Auré le savait bien : il n'y avait rien en commun entre un patron et un ouvrier. Ce pseudo-rassemblement autour du sport n'était qu'un instrument médiatique pour rendre les gens heureux. L'ambiance y était, surtout à Marseille. Mais cette atmosphère autour de ce sport, ces vies rythmées par les matchs, les affluents de touristes au Vélodrome... Auré n'en pouvait plus. Et il comptait bien sur ces vacances chez ses grands-parents pour se reposer au calme.

Après avoir salué une dernière fois son pote qui allait passer son été chez ses grands parents dans le Cantal, il était sorti, il devait lui rester une demie-heure pour dire au revoir à Ichrak et lui souhaiter de bonne vacances. A cette heure-là, elle devait être au parc, et c'est là qu'il se rendit. Il ne connaissait pas sa famille et ne voulait pas déranger en sonnant chez elle.

Effectivement, elle était là, avec son petit-frère qui réclamait qu'on le pousse plus vite sur la balançoire.

— Salut !

— Oh ! Salut Auré. Tu vas bien ?

— Ouais. On peut dire ça. Je viens te dire au revoir, je pars dans vingt minutes.

— Et, tu reviens quand ?

— Le jeudi six je crois. Je prends le train.

— Bon, ben, bonnes vacances alors. Je vais m'ennuyer pendant un mois, moi, je crois.

— C'est nul hein. J'aurais bien voulu que tu viennes avec moi mais...

— T'inquiète. Je comprends. Et, n'oublie pas de regarder le match le huit !

— Ouais. Clément m'a dit pareil.

— T'as pas l'air enjoué, toi par ça, par contre.

— Ah non. Pas vraiment. Ca m'intéresse pas, et je trouve ça carrément hypocrite que les gens aillent bien pendant cette période, parce que c'est la fête, on est en demi. Ouais, mais non. C'est pas vrai. Je sais pas trop comment te le dire, mais je pense qu'on surjoue un peu toute cette histoire.

— Dans un sens, si tu veux. Mais les gens se rassemblent autour d'une seule bannière... Et c'est rare. Je t'assure, si au Kurdistan on pouvait tous s'unir autour d'un ballon en demie, ce serait génial. C'est que du sport, mais ça ferait du bien au pays.

Les deux amis avaient parlé de tout et de rien une dernière fois, Aurélien avait gribouillé le numéro de ses grands-parents sur un bout de papier pour qu'elle l'appelle, et puis il avait dû partir, il était presque en retard.

Dans les rues de son quartier, Aurélien avait pris le soin une dernière fois de faire le tour des détails qui lui plaisaient. Il aimait bien l'ambiance du début d'été qui régnait chaque année sur la ville. Cette cité bruyante, jonchée de déchets, avec des bruits avoisinants au petit matin. Comme toutes les grandes villes, au final, mais pour Marseille, il trouvait que cela avait un charme particulier. Dans ses souvenirs, il n'avait jamais quitté son quartier aussi longtemps et avait peur d'oublier l'ambiance des soirées d'été, où l'on se retrouvait dehors entre voisin, à discuter jusqu'à tard. Parfois on allait à la friche, une asso avait repris possession des lieux pour en faire un endroit culturel. On en était encore à la genèse du projet, et certains étaient sceptiques. Auré voyait ça d'un œil neutre. Il ne savait pas ce que ça allait donner, mais trouvait l'initiative louable.

L'ambiance était de tonnerre chez lui. C'était les vacances, mais on voyait bien que Catherine était déjà soûlée. Elle s'énervait pour un rien, parce qu'Aurélien avait deux minutes de retard, parce que Pierre mettait trop de temps à vider le lave-vaisselle... Elle trouvait toujours un truc pour râler. Nico soufflait, et Auré était bien content de ne pas avoir dû passer la journée dans l'atmosphère électrique.

Les départs en vacances se ressemblaient. Tous les ans, début juillet, les trois semaines de vacances des parents, pour s'évader loin de la ville si oppressante. Cette année, il resterait deux semaines chez ses grands-parents, seul, alors que son frère partait avec ses parents pour Malagà et que les vieux bossaient. Auré avait beau se convaincre du contraire, il était quand même un peu jaloux de son frère. L'Espagne, sérieusement ! Lui, il n'était jamais sorti du territoire. Peut-être une fois à la frontière italienne quand il avait cinq ans, mais il n'en souvenait pas, alors ça ne comptait pas vraiment. Cet été, toutes ses connaissances partaient. Clément à Aurillac, Dino à Bari, son frère en Andalousie... Chacun retournait dans sa famille. Sauf Ichrak. On ne rentre pas chez sois pour les vacances quand son pays est en guerre.

— Aurélien, tu sais que ton train sera à quatorze trente-trois le six ? T'oublie pas, hein ?

— Oui, maman. T'inquiète. J'ai plus dix ans.

— Parfois on dirait... T'as bien ta brosse à dents ? Assez de slips ? On fera pas des lessives tous les deux jours, alors j'espère que t'en as assez pris.

Aurélien détestait faire ses valises, parce qu'il avait l'impression de faire les cartons d'une vie ou d'une période, et puis ça prenait quand même vachement de temps. Alors, il avait récupéré tous ses vêtements qui traînaient dans sa partie de l'armoire et les avaient foutu dans son sac. Il avait aussi pris quelques jeux et magazines. En moins de dix minutes, c'était bouclé.

Pierre, au contraire de Catherine était fidèle à lui-même, silencieux. Depuis qu'il avait remarqué que ses bouteilles de whisky distillées avaient disparus, Auré ne savait pas s'il avait décroché plus de dix mots. Ca faisait plus d'un mois quand même que Nico et ses potes s'étaient bourrés la gueule. Quand leur père avait découvert le pot aux roses, il avait giflé son premier fils. Avec une telle force que même Catherine en avait été choquée. Nico avait dû garder la marque bien deux semaines, et mettait systématiquement sa main devant sa joue droite pour éviter que l'on voit sa joue enflée.

Ils avaient chargé la petite voiture, Catherine s'était mise au volant et avait appuyé sur la pédale. Ils quittaient Marseille pour un bout de temps, et ça faisait du bien à tout le monde.

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