Chapitre 23
Le trajet était long pour Zacaria. Ses sœurs arrivaient même à se chamailler alors qu'il leur barrait le passage. Le garçon n'était pas vraiment dans son assiette. Il était d'ailleurs bien triste de quitter ses amis. Mais en quelques semaines, il s'y était fait. Et retourner dans son pays natal devenait plus un aléa de la vie qu'une obligation. Ses sœurs continuaient de se chamailler en braillant en italien, trouvant un moyen de se parler même avec le corps de leur grand frère qui leur faisait barrage
La frontière passée, Zacaria avait ressenti un mélange de soulagement et de tristesse. Il avait l'impression de franchir un cap. Celui du déménagement et du commencement d'une nouvelle vie. Dans ce pays qui était le sien et qu'il aimait, même si sa pratique de la langue avait considérablement faibli, faute d'interlocuteur, il était content de retrouver Bari. Son père avait décrété qu'il n'irait pas à l'école avant la rentrée. De toute façon, il ne restait qu'une quinzaine de jours avant la fin des cours. Son géniteur avait prévu de lui faire réapprendre la langue tout l'été, avec lui et sa famille. Son grand-père paternel était mort, mais sa grand-mère était toujours vivante. Elle avait des problèmes de santé, la maladie d'Alzheimer. Heureusement que sa sœur était à côté pour l'aider. Ses grands-parents maternels, eux, habitaient dans une petite ville au bord du lac Trasimeno en Ombrie.
Les villes de la côte Méditerranéenne s'enchaînaient. Son père conduisait sans s'arrêter, comme si tant qu'il n'était pas arrivé à Bari, il n'était pas encore en Italie.
San Remo, Imperia, Albenga, Savona... Que des noms de bourgades que Zac' ne connaissait pas et dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Jusqu'à Gênes, où son père se décida enfin de faire une petite halte. Cela faisait plus de quatre heures qu'ils roulaient, et Tancredi ne s'était toujours pas arrêté. Il était un peu plus de treize heures et les deux filles braillaient tant elles avaient faim. Il fallait bien se poser un peu. La voiture avait donc quitté l'autoroute pour arriver dans Gênes même. Ils s'étaient trouvé une petite pizzeria face au port et avaient dégusté leurs spécialités italiennes devant les bateaux qui s'amarraient. « Pour l'instant, ça nous change pas trop de Marseille » s'était dit Zacaria. Peut-être qu'inconsciemment, ils avaient choisi ce restaurant qui leur faisait penser au Vieux-Port de la cité phocéenne pour ne pas être trop dépaysés. Zac', observateur né, soupçonnait ses parents d'être stressés à l'idée de devoir revoir leur famille et de vivre avec. Chaque année, ils partaient un mois en Italie, mais c'était pour les vacances. Ils restaient trois semaines à Bari, le reste au bord du lac Trasimeno, en Ombrie.
La pizzeria dans laquelle ils s'étaient arrêtés avait vraiment bon vivre. Elle aurait pu être industrielle, mais elle était artisanale. Elle aurait pu se situer sur une aire d'autoroute, à égale distance entre deux villes moyennes, à un endroit où les routiers s'arrêtaient pour un café avant de continuer leur périple vers le cœur de la botte. Mais non. Ils avaient choisi une petite boutique qui ne pouvait sans doute accueillir qu'une vingtaine de clients affamés.
La petite famille avait ensuite repris la route. Sur toute la journée, ils en avaient pour plus de quatorze heures de route, et pas question de faire escale dans un hôtel, c'était beaucoup trop cher. Ils arriveraient sans doute peu avant minuit à bon port. Durant ces trajets à rallonge, Zacaria avait le temps de réfléchir, même si c'était ce qu'il faisait tout le temps. Analyser et observer ce qui l'entourait. Il aimait regarder le paysage italien défiler derrière la vitre, voir ces arbres qui bougeaient derrière la voiture à mesure qu'elle avançait.
La maison de Giuseppina n'était pas très grande, elle contenait seulement deux chambres. Avec cinq nouveaux arrivants, ils allaient devoir composer pour loger tout le monde.
Comme d'habitude, ils avaient décidé de mettre les trois enfants dans la seconde pièce qui servait de fourre-tout. Giuseppina garderait sa chambre et les parents dormiraient sur le clic-clac du salon.
A minuit moins cinq, ils avaient frappé à la porte de la vieille dame. Elle ne s'était pas couchée, pour pouvoir accueillir son fils et sa famille. La petite maison qu'elle occupait était assez excentrée du centre-ville, dans le quartier de Carbonara. C'était dans une petite ruelle au milieu de d'autres rues qu'elle avait élu domicile, dans une maison simple au toit plat. Tancredi avait passé son enfance dans cet endroit agréable, lui et son frère avaient tout plein de souvenirs dans cette habitation, comme quand ils se chamaillaient dans leur chambre au papier peint des années soixante-dix. Giuseppina les avaient salués avec un Italien approximatif, articulant avec peine. Seuls les parents de Zac' semblaient comprendre ce qu'elle disait. Elle avait couvert ses trois petits enfants de baisers, et les avaient conduits dans a chambre qu'ils occupaient habituellement l'été, anciennement celle de Tancredi et de son frère. Ni Zacaria ni ses sœurs ne semblaient comprendre ce qu'elle marmonnait. Les trois enfants voyaient juste ses traits souriants et sa mâchoire qui s'animaient. Elle restait une grand-mère typique, un tablier fleuri vissé sur son torse qu'elle retirait seulement pour sortir de chez elle.
Dans la chambre, il y avait juste quelques meubles et un lit superposé d'époque. Depuis que les enfants de la grand-mère étaient partis de la maison, tout avait été laissé tel quel, et seul un matelas était rajouté à chaque vacances pour Zacaria.
Pour les trois enfants, cette nouvelle vie avait l'air de vacances avant l'heure. Sauf que ce n'était rien de cela. Zacaria avait du mal à s'y faire, mais sa maison était désormais à Bari, il allait aller à l'école ici, parler italien... En fait, sa vie serait dans cette ville qu'il avait toujours idolâtrée. Ça lui faisait tout bizarre de se dire ça. Qu'il ne parlerait plus le français, tiraillé entre deux langues et deux cultures. En pensant à Marseille et ses copains de là-bas, il avait l'impression qu'un océan les séparait. Les trois enfants s'étaient écroulés sur leurs lits respectifs, ne prenant pas la peine de ranger leurs affaires dans les commodes. Zacaria n'arrivait pas à dormir. Ses sœurs ronflaient tranquillement, et lui, il était là, dans le noir, à se poser des questions. En plus il avait oublié de faire pipi. Il s'était alors levé pour écouter depuis le haut des escaliers ce qui se disait.
Ca parlait italien, avec des « a » et des « o » prononcés. Zacaria ne comprenait pas vraiment toute la syntaxe utilisée. Sa langue maternelle était l'italien, mais une fois partis de Bari, il avait fallu s'adapter à la nouvelle vie française. Il avait du mal à la maternelle, et avec le peu de la langue française qu'ils connaissaient, ses parents tentaient de lui apprendre les bases pour vivre en société. Zacaria n'arrivait pas à parler à ses camarades, surtout avec ce nouveau moyen de s'exprimer qu'il venait de découvrir. Parfois, il causait en italien et les autres gosses ne pigeaient rien. Timide, il restait introverti. Son caractère n'était de toute façon pas comme celui de Clément ou Dino. En moyenne section, malgré les propositions des autres bambins, il restait avec sa solitude, ne s'amusait pas dans le bac à sable et préférait rester seul pendant les temps calmes.
Ce n'est qu'en CP qu'il devint vraiment ami avec le groupe de potes actuels. Ils étaient dans la même classe ça aidait, aussi. Par la suite, ils ne s'étaient pas séparés. Sauf depuis ce samedi de fin de mai, où un retour en arrière s'opérait, où le gamin avait l'impression de revivre par inversement cette épreuve du déménagement. La vie se constituait d'une fuite, continuelle, perpétuelle. Une longue fugue qui n'était pas prête de s'achever.
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