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Elle se releva, sans bruit. Telle une poupée brisée elle déambulait d'une démarche claudicante et irrégulière. Son visage ne manifestait aucune expression, et pourtant son coeur exprimait une douleur si profonde que son corps lui hurlait de pleurer.

Son esprit, confus, ne faisait que lui répéter sans cesse ce qu'elle venait de faire, tel un phonographe cassé. Elle ne l'écoutait pas, semblait se fixer sur des points imaginaires, tantôt ses pieds, tantôt le ciel, elle ne savait pas où elle allait. Elle craignait les conséquences sans être effrayée non plus. Elle ne savait pas. Elle connaissait rien, qui était elle ? Qui était-elle pour vivre en ayant un mort sur la conscience ? Qui était-elle pour se plaindre, lui avait-on toujours répété. Les seuls moments de joies qu'elle avait éprouvé s'était évaporés aussi rapidement que de la fumée. Elle passa à côté d'innocents, qui s'esclaffaient aux pitreries de leur camarade ayant un taux d'alcool dans le sang plus élevé que raisonnable. Elle les regardaient sans vraiment les voir, fantômes inconnus d'une vie qui lui était à présent disparue. Ils passèrent sans même la regarder.

Elle aurait juste voulu vivre une vie normale. Mais en ce moment même, elle était bien trop déboussolée pour regretter quoique ce soit de sa vie. Elle avait fait nombre d'erreurs dans son existence, mais, libérée de ce monstre, elle n'arrivait à considérer ce meurtre comme faisant partie de celles-ci. Il l'avait dépossédée de tout son bonheur, alors elle l'avait dépossédé de sa vie. Son humanité lui avait été ôtée par un homme. Un humain, comme elle physiquement, mais psychologiquement elle en doutait. Qui dans ce monde pourrait prendre plaisir à faire souffrir quelqu'un ? Elle n'était pas l'une des leurs. Jamais elle n'aurait voulu que tout cela arrive. Jamais, au grand jamais elle en serait venu à tuer quelqu'un, que ce soit mentalement ou physiquement par pur plaisir.

Elle sortait maintenant de la ville, tremblante de froid et de fatigue, pieds et coeur gonflés. Ses articulations lui faisaient mal et chaque pas était comme marcher sur des éclats de verre. Elle n'avait plus rien. Ni joie, ni téléphone. De toutes façons, qui aurait-elle pu contacter ? On l'aurait moquée. On l'aurait fuit, de dégout ,et de peur, sûrement. Sa famille l'aurait reniée, toutes ses connaissances auraient préféré l'oublier, comme un mauvais souvenir qu'on préfère effacer de sa mémoire.

Elle était seule.

En marchant, elle avait atteint la forêt, noire,froide. On n'entendait rien à part le bruit de l'eau du ruisseau et les oiseaux qui chantaient dans la nuit. La pollution lumineuse atteignait encore ce coin de la forêt, elle pouvait donc distinguer les arbres parmi le ciel peint du orange des lumières de la ville. Elle ne voyait pas la Lune ; et elle s'en sentit profondément anéantie.

Elle ne pouvait donc compter sur rien en ce monde qui n'accueillait en rien sa présence, qu'elle déplorait elle-même maintenant.

Elle continua de marcher jusqu'à atteindre un pont. Il n'y avait personne : de toutes façons, qui viendrait ici ? Tout le monde est loin, inconscient des drames de ce monde violent, heureux et innocents.

"Ce genre de choses n'arrive qu'aux autres"

Les violences n'arrivent aux qu'autres, les accidents n'arrivent qu'aux autres. Oui, ça n'arrive qu'aux autres.

"Les meurtres n'arrivent qu'aux autres."

Elle posa sa tête contre le bois mouillé et observa l'onde pure qui glissait, fluide mais tumultueuse et noire. Elle laissait pendre ses bras par dessus la barrière, les balançant au gré de son envie. Tout en gardant contact avec le bois, elle tourna la tête : à l'autre extrémité de ce pont, il n'y avait qu'un simple lampadaire qui dégageait sa lumière sur les flaques brillantes brouillées par les gouttes qui explosaient contre celles-ci. Elle observait un long moment ce paysage calme et mélancolique.

Elle ne savait pas.

Elle n'a jamais su.

Et soudainement, parmi la pluie, une larme coula.

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