Chapitre 2

Une bonne heure plus tard, la quasi-totalité de l'assemblée s'était présentée au pupitre, j'avoue avoir vaguement écouté. Mes canaux lacrymaux étaient tout ce qu'il y a de plus sec. Mes parents venaient de se faire tuer sauvagement et mes yeux étaient secs... Ils venaient de se faire incinérer et mes yeux étaient secs... Brusquement, mes sentiments se rallumèrent, je me sentis paniquée, oppressée, j'avais besoin d'air, d'un gros bol d'air, tout de suite, j'en avais le vertige, je voyais flou. C'est ce moment que choisis l'employé du funérarium pour me remettre les cendres. Je lui tendis des mains tremblantes qu'il prit pour de l'émotion alors que je mourrais à l'intérieur. Une fois à l'extérieur, je haletais, adossée au mur de la salle. Tout devint encore plus flou, je sentais mon estomac se révulser et mon diaphragme eut raison de moi puisque je vomis toutes mes tripes ou presque. Ce n'était qu'un mélange de bile et d'eau car je ne me souvins pas avoir mangé depuis au moins deux jours, j'étais en état de choc. DEUX JOURS. Une fois que mon estomac décida de reprendre son boulot normal, je m'assis au pied d'un arbre, le plus éloigné possible de mon pâté et réfléchis à ce manque total de survie. Mon cerveau ne m'avait en aucun cas prévenu qu'il serait bien de penser à se nourriture durant deux jours.

J'y réfléchis pendant de longues minutes sans réponse. Une pensée en entrainant une autre, mon esprit divagua vers le fameux chef de la police que tout le monde connaissait très bien. C'était une sommité locale. Je me rappelais encore son appel. J'étais en plein oral, mon téléphone était en mode ne pas dérangé, les seules personnes en capacité de le faire sonner était mes parents. Alors quand ma sonnerie a déchiré mon discours, je n'ai pas hésité à prendre cet appel. Pourtant, quand j'ai entendu sa voix, j'ai compris l'urgence de la situation et j'ai tout quitté précipitamment en m'excusant pour prendre le premier train. Une fois débarquée du ferry, il m'attendait au port, et c'était moi qui étais suspendue à ces lèvres. Mais il n'avait pas eu le courage de me parler sur la route du commissariat. Ce n'est qu'une fois sur place, qu'il m'avait montré la caméra de surveillance, ce qui :

—   Habituellement, ça ne se fait pas mais ce n'est pas une situation habituelle. M'avait-il dit.

À la fin de la vidéo, son seul commentaire me marquera à jamais.

—   Il faut que tout soit organisé dans deux jours vu le temps annoncé et la chaleur qu'il fait, sinon ils vont pourrir. 

« Pourrir » m'avait été dit dans un souffle, j'avais cru avoir mal compris. J'ai dû lui faire répéter. Comprenant rapidement que je l'avais parfaitement entendu, j'ai tout de suite appelé ma grand-mère pour la prévenir et pour qu'elle prenne le premier avion. Sous le choc, j'avais bêtement répété ce que j'avais vu mais elle comprit à son tour la gravité de la situation. En quelques heures, ils étaient tous là.

Ma grand-mère, inquiète de ne plus m'avoir dans son champ de vision, était partie à ma recherche. Quand son regard croisa le mien, elle comprit tout de suite que quelque chose n'allait pas. Qu'est ce qui pourrait aller franchement ?En s'approchant, elle évita sciemment les restes de mon estomac pour se précipiter vers moi. Son inquiétude ne fit que croître à mesure qu'elle essaya de m'arracher des mots de la bouche. J'essayais de lui expliquer de manière concise comment je me sentais sans être convaincante. Elle replaça l'urne dans mes bras avant d'essayer de mettre toute la tendresse du monde dans une phrase qui se révéla atroce pour moi.

—   Il faut y aller, il y a d'autres personnes après nous.

La signification profonde de sa phrase et sa violence me percutèrent. Mon cœur eut un loupé, mon esprit s'embruma à nouveau, tout me semblait si... trop précipité, trop brusque. Alors ce sentiment d'oppression m'étreignit à nouveau devant ma grand-mère spectatrice de mon cauchemar. Contrairement à moi, elle avait une manière saine d'aborder tout ça, en tout cas, elle paraissait tellement plus forte que moi. Elle me tendit sa main et me leva d'un seul coup pour me serrer dans ses bras. Son étreinte était si forte que je me reposais sur son épaule avec l'impression que tout mon corps allait s'écrouler sans elle et elle me chuchota à l'oreille.

—   Tout le monde à une manière différente d'aborder la mort, toi tu es une battante comme ton papa. Mais à un moment donné, il faut savoir poser les armes et se reposer car les forces ne sont jamais illimitées. Tu en as eu la preuve, visiblement... Regarde-toi. Bien que nous soyons tous là pour toi, tu es épuisée par cette épreuve et tous ses préparatifs. C'est trop tôt pour toi et si tu savais comme je le comprends mais il faut avancer, Ani. Qu'on parle de ta vie ou du crématorium c'est la même chose.

Était-ce la Terre qui tournait si vite ou mon corps qui tanguait ? Une impression de vide me saisit tout à coup. Je me sentis aussi esseulée qu'une coquille vide. Pourtant, mon corps reprit à nouveau le dessus pour faire ce qu'il y avait à faire, c'est-à-dire avancer. Un pas après l'autre, je marchais machinalement en direction de notre maison et son ponton au fond du jardin. Mon père l'avait construit afin d'y garer son bateau et partir plus vite le matin à la pêche.

Je l'ai fait, j'ai réussi. En regardant derrière moi, j'observais le crématorium s'éloigner petit à petit. Ma grand-mère était à mes côtés mais je me sentais toujours au bord du gouffre, physiquement comme mentalement. Il y avait à peine trois kilomètres qui nous séparaient du centre-ville. Étant petite, je les faisais constamment en courant, en trottinant mais je crois n'avoir jamais arpenté ses rues en traînant à ce point les pieds. Ce petit îlot m'en avait fait vivre des choses et c'est exactement la raison pour laquelle je voulais le quitter, lui aussi. Nous marchions en silence dans les rues désertes, je ne sais pas comment mon corps me résistait, en toute honnêteté. J'étais comme dans un rêve, spectatrice, sans pouvoir décider de quoi que ce soit. Comme si... mon corps ne m'appartenait pas. J'ai l'habitude de ne pas être dans le bon corps et d'être seulement une intruse mais là, l'impression de n'être qu'un zombie s'ajoutait. Je ne ressentais rien, ne contrôlais rien.

Le paysage autour de moi défilait, les maisons s'enchainaient, ces criques que j'avais vus toute mon enfance me laissaient un goût amer dans la bouche. Rien n'avait changé pourtant à mes yeux rien n'était plus pareil. C'était comme si ce paysage appartenait à la petite fille qui a vécu ici un jour. Aujourd'hui, je n'avais plus rien à faire ici et c'était bien la seule certitude qu'il me restait. Je naviguais dans mes pensées, revoyant clairement des passages de ma vie, les bons comme les mauvais avec comme toile de fond, la douleur. Ce supplice ressemblait à des coups de poing, je n'étais qu'une poupée de chiffon sur un ring devant un boxeur professionnel. Ils s'enchainaient progressivement attendant que mon chagrin soit à peine supportable pour revenir à la charge. Je faisais exactement ce qu'on m'avait appris, encaisser et rester debout. A mesure que nous avancions, je voyais les gens du village sortir peu à peu de leurs maisons pour nous rejoindre, j'ai trouvé ça réconfortant, c'est comme s'ils me partageaient un peu de leur force. Néanmoins, ça ne m'empêchait pas d'être submerger par ces reliques du passé écrasantes que j'avais dans ce village, rendant chaque pas plus lourd que le précédent.

Ces rues où j'ai tant couru étant petite, et même grande avec mes amis en sortant de l'école... La maternelle, le collège... Les souvenirs ne manquaient pas mais c'était dur pour moi, trop d'émotions, beaucoup trop pour aujourd'hui. Il me tardait d'arriver chez moi pour que tout soit fini et avoir enfin l'espoir que ce poids surchargeant mon corps et mon esprit cesse enfin. Puis nous sommes inévitablement passés devant la fleuristerie de ma mère et mes émotions me submergèrent à nouveau, je me sentis de nouveau oppressée comme au crématorium, sans air, couper de toute respiration mais toujours sans larmes. Il semblerait que ce boxeur n'en avait toujours pas fini avec moi.

Marin me rejoignit en cours de route pour « m'aider ». Ce qui aurait vraiment aidé c'est que tu prennes le premier train, que tu sois là avec moi depuis le début mais notre histoire était ainsi faite. Je ne savais même pas depuis quand il était là, mais je n'avais pas envie de le voir. Je ne voulais pas de lui, pas de ses bras bien que ça fasse cinq ans qu'on soit ensemble. Nous nous étions toujours connus mais tout cela ne changeait rien au fait qu'aujourd'hui quelque chose s'était brisé en moi. En constatant ma froideur, il m'observa d'un air inquiet mais comme à son habitude de lâche, il ne chercha pas beaucoup plus loin que le bout de son nez. Je suppose qu'il se contenta de se rassurer en mettant mon comportement sur le compte de la journée difficile que j'étais en train de passer, c'était beaucoup plus simple ainsi.

Une fois arrivés chez moi, nous étions au moins deux cents dans mon jardin, il était plein. Je me remis à peine de l'impression d'avoir marché des heures durant que tout le monde se mit devant moi attendant la suite. La pression de cette journée ne s'arrêterait donc jamais... Le maire était venu se placer à mes côtés. Soudain, je me rendis compte qu'entre mes mains, j'avais serré l'urne avec frénésie. Comme si elle était une partie découverte de moi, une partie essentielle de mon être qu'il m'était imposé de dévoiler mais surtout à laquelle j'étais forcée de me séparer. Je pris mon courage à deux mains et pris la parole pour la toute dernière fois.

—   Merci tout le monde de vous être réuni ici si nombreux pour honorer la mort de mes parents. Merci à monsieur le maire de s'être joint à nous également. J'ai décidé de mettre les cendres de mes parents là où ils ont toujours vécu. Mais avant babcia, tu sais que leur mort a été brutale alors ils n'avaient pas prévu grand-chose pour l'après... Tout me revient donc, mais je te lègue la fleuristerie de maman, ainsi que la maison, elle est désormais à toi. Je ferme définitivement l'entreprise de pêche de mon père ainsi que son bateau qui ont d'ores et déjà été vendus. Sur ceux, restez avec nous, nous avons prévu un grand repas avec des grandes tables et beaucoup de nourriture alors si vous souhaitez rester manger c'est avec plaisir. Toutes mes condoléances aux personnes qui connaissaient mes parents.

C'était concis, je n'avais aucune envie de m'étaler plus avant de partir. Le maire fit à son tour un discours très éloquent et plein de sentiments. Ce fût ensuite l'heure d'encaisser un dernier coup de poing car à partir de maintenant j'allais tout rendre coup pour coup. Je n'étais pas le genre de fille à me laisser dominer si facilement et ça commençait bientôt. Je caressais le billet dans ma veste comme une promesse que tout irait mieux.

J'ai fait exprès de placer Marin entre deux villageois un peu rustres et blagueurs pour le distraire. Je tendis une lettre à ma grand-mère qui la serra contre son cœur puis elle me souhaita bonne chance en m'embrassant tendrement. Je partis le ventre rempli de tout ce qu'on avait prévu. Salades de fleurs, plateaux de fruits de mer, canapé de rillettes de la mer, gaspacho à base de mauve... Je m'éclipsais discrètement vers la fin de repas avec ma valise déjà faite et Lila avec moi. Après avoir fermée la porte d'entrée, je me retournais vers ma maison, celle qui m'avait vu grandir. J'avais une confiance totale en mes grands-parents, je savais qu'ils feraient bon usage de l'héritage de leur fille et de leur gendre. Je partis sans regret pour Marin, je voulais tourner la page et il m'empêchait d'avancer depuis bien longtemps. Trop de choses avaient changées aujourd'hui, y compris mes sentiments pour lui.

Mamie,

Si je t'écris une lettre c'est que je sais que je n'aurais pas le courage de te le dire.

Je m'en vais, c'est pour ça que je n'ai gardé de l'héritage de papa et maman que l'argent. Je sais que tu en feras bon usage, je prendrais souvent des nouvelles de toi.

J'ai des examens à repasser à la suite de l'enterrement, mais je suis sûre que je vais avoir mon diplôme de marketing, et puis de toute manière j'ai un entretien lundi pour un poste au Canada. Ne m'en veut pas mais j'ai besoin de changer d'air, de construire ma propre vie. Je ne peux pas rester là avec tout ce qu'il s'est passé. Il n'y a plus de place pour moi, ici. Je vous aime très fort, ne t'inquiètes pas pour Lila, je la prends. Tu vas me manquer ! ♥

PS : Si un jour, la police retrouve le meurtrier de papa et maman ou son identité ne m'en parle pas je ne veux pas savoir...

***

Pour Marin,

Je ne peux plus continuer avec toi je m'en vais, tout est trop dur et on s'empêche d'avancer. C'est beaucoup trop de souvenirs que je ne peux endurer plus longtemps. Quelque chose s'est cassé en moi depuis la mort de mes parents, je te ferais souffrir plus qu'autre chose, tu mérites mieux, ne m'attends pas... ça fait longtemps qu'on aurait dû se dire les choses.

Je ne vois pas quoi te dire d'autre, ma tête est vide, je ne ressens plus rien, je suis meurtrie, ça ne sert à rien.

Sache que je t'ai aimé un jour mais que je ne ressens rien en t'écrivant ces mots à part du soulagement. Je ne trouve même pas mes mots pour toi...

J'ai besoin de temps mais de temps sans toi, j'ai besoin d'air, j'ai besoin d'être seule, mais j'ai surtout besoin de commencer ma vie. Je tourne la page, c'est fini, tout est fini... Ne me cherche pas, ne me suis pas. Mais je te remercie pour tout.

***

Je sortis de la cabine pour rejoindre ma place et rouvrir mon livre. Il était absolument nul et mielleux mais j'avais envie de connaître la fin. Sans que je le veuille des souvenirs avec Marin ressurgirent. Il était la seule personne à qui j'avais confié mes maux intérieurs, mes secrets les plus inavouables mais tout ce temps, il n'avait été que mon meilleur ami. Je crois qu'émotionnellement ça m'avait bloqué qu'il sache vraiment tout sur moi. Et notre histoire n'avançait plus vraiment, elle stagnait depuis deux ans. Nous avions nos projets chacun de notre côté, nos appartements séparés, nos études très différentes, nos amis, nos soirées et on se voyait le week-end, parfois. Je savais que lui n'avait jamais cessé de m'aimer mais de mon côté, je ne pouvais pas continuer à faire semblant. Je pense vraiment que je l'ai aimé, mais pas avec suffisance pour que notre relation soit à toute épreuve. C'était une histoire d'amour d'enfant. Il avait été le mec idéal pour moi pendant cinq ans mais pas moi... Je culpabilisais tellement à propos de ce que je lui avais caché, qu'il était le motif de certains de mes rêves. Mais je ne pouvais pas lui mentir, je ne ressentais plus rien pour lui et il fallait qu'il l'accepte. Ma manière de rompre a vraiment été lâche seulement je ne voulais plus parler pour l'instant. Les paroles m'avaient autant fait souffrir ces derniers temps, que les évènements. Et tout ce que je disais me semblait de toute manière insignifiant et insipide, alors l'idée de la lettre m'avait paru être un bon parti. J'ai mis du temps à écrire pour pas grand-chose mais il aurait tout fait, même trop fait pour me retenir si je l'avais confronté. Alors que parfois il faut juste savoir lâcher prise et c'est exactement ce que je faisais en partant de la France.

Dans la pénombre de l'avion mes yeux se fermèrent pour repenser à l'histoire de mes parents avant d'arriver sur le sol canadien qui m'offrirait la liberté et la paix à laquelle j'aspirais tant. En tout cas, je ferais tout pour que la vie que j'ai là-bas ne ressemble en rien à celle que j'avais eu jusque-là. Il n'était plus question de subir ma vie mais au contraire en être le personnage principal. J'allais être ce que je n'ai jamais été, une héroïne. Comme ma mère avait été, il y a des années de ça.

Quand ma mère est arrivée en Europe, jolie, jeune et dynamique elle a commencé par apprendre le français. En Pologne, elle avait eu une formation de fleuriste mais la barrière de la langue était immense. Elle ne mit que très peu de temps avant de trouver un travail car c'était la belle époque où il ne fallait pas grand-chose pour travailler. Avec son joli accent et son visage slave, elle se fit embaucher tout de suite par un Fleuriste très peu talentueux. Il cherchait juste quelqu'un pour le valoriser et donner une image plus féminine et douce à son entreprise. Quand il vit le talent qu'elle avait, l'assurance qu'elle dégageait, et son petit accent de l'Est séduisant, il l'engageant en tant que salarié. Ma mère était ravie d'avoir trouvé un emploi qui lui donnait les moyens légaux de rester en France et d'avoir trouvé un patron si gentil. Malgré ses insinuations qu'elle ne comprenait pas toujours, il en jouait et en riaient tous les deux. Comme promis en l'engageant il laissa son âme d'artiste et son originalité s'exprimer dans la boutique. Elle décora la vitrine suivant les saisons, elle n'hésita pas à changer régulièrement les fournisseurs afin d'avoir le plus de variétés possibles de fleurs et de plantes. Ce qui donnait une décoration aussi chaleureuse qu'elle. Du fait de la pauvreté de son pays, ma mère connaissait la valeur de l'argent, c'était ancré en elle. Même si ce n'était pas son entreprise, elle avait géré chaque dépense comme si elle le sortait de son propre portefeuille, c'est grâce à ça qu'elle avait gagné sa confiance. A la suite de ce changement, la boutique fût élue par le village plus belle boutique de la région et il tripla ses ventes six mois après l'arrivée de ma mère, Nina. Il reconnut son implication dans ce succès inespéré, en effet grâce à cette reconnaissance il put en l'espace de trois mois rembourser l'emprunt de la boutique qui subsistait. Il offrit également des primes sur les bénéfices à ma mère. L'argent afflua plus rapidement qu'elle n'aurait pu l'imaginer, son premier réflexe fût d'envoyer sa première prime à ses parents. Pour elle, ce n'était qu'une prime, son salaire lui était suffisant étant donné qu'elle se contentait de peu. En revanche, pour eux cette somme représentait l'équivalent de trois salaires. Elle continua de le faire régulièrement tout en prenant soin d'épargner pour son futur et ses projets d'avenirs comme monter sa propre boutique. 

Un jour pluvieux, un jeune homme venu s'abriter d'un orage impétueux s'engouffra dans la boutique. Leurs regards se croisèrent tandis qu'il s'excusa.

—   Ne vous excusez pas. Je suis sûre que vous êtes ici pour une bonne raison. Alors laissez-moi deviner... Vous n'êtes pas un homme à plantes. Votre tenue m'indique que vous n'êtes pas très souvent chez vous. Des roses ? Non s'il vous plaît, ne soyez pas si classique. Je serais déçue. Je vous vois avec un magnifique bouquet de glaïeuls aussi fortes et robustes que vous.

Elle lui tendit, une composition à base de glaïeuls blanches et bleues, c'est par cet échange qu'ils tombèrent sous le charme l'un de l'autre. Il se laissa volontiers prendre au jeu avec un sourire en coin que peu de gens lui connaissait. S'ensuivirent beaucoup de rendez-vous mais un seul lui suffit pour tomber sous le charme de ma mère. Ils se marièrent très rapidement, les deux familles étaient réunies pour la première fois. C'était un mariage grandiose avec beaucoup de monde. Cependant, une ombre planait durant ce jour exceptionnel. Mes grands-parents paternels. Ils se méfiaient de cette jeune femme étrangère. Pour eux, cette union était beaucoup trop précipitée et cachait à leurs yeux, une plus sombre raison. Alors quand ils ont appris que mon père et ma mère partaient en voyage de noces en Pologne alors là ! Ça a été vigilance maximale ! Attention « notre petit garçon » va se faire enlever par des Russes ! Pourtant tout se passa très bien, mon papa fit la connaissance des parents de ma mère qui, elle, jouait la traductrice, entre eux. Ils restèrent un mois puis durent rentrer pour reprendre leurs vies quotidiennes et leurs emplois. Ma mère avait effectivement eu raison, le jour de leur rencontre, puisque mon père était très peu présent. Il possédait une petite entreprise de pêche. L'hiver, il se contentait de la pêche tandis qu'il profitait de la saison touristique pour organiser des balades sur son chalutier. Ce qui lui rapportait pas mal d'argent, son entreprise florissait. Mes grands-parents se taisaient toujours mais jugeait de loin leur union. Elle n'était, à leurs yeux, qu'une petite étrangère arriviste. Leurs venins se distillaient à coup de petites remarques de ci de là, placées avec parcimonie pour ne pas éveiller l'attention. Cependant mon père n'était pas dupe et se fâchait souvent avec eux. Il avait beau la défendre et leur montrer à quel point il était heureux avec elle, ils restaient bornés à leurs idées. Puis un jour ma mère se rendit compte qu'elle était enceinte après des mois d'essais infructueux et alors là mon père décida de poser un ultimatum à ses parents. Mon existence, aussi petite soit-elle, remettait tout en perspective. Les revendications de mon père étaient simples. Lorsque je serais née s'ils voulaient me voir, ils allaient devoir fournir un effort avec ma mère, puisqu'après tout c'était la mère de son enfant. Cependant mes grands-parents ne virent là qu'une tentative de plus de la part de ma mère pour garder mon père auprès d'elle alors ils eurent pour unique réponse :

—   Pas de raclures ni de bâtard chez nous. 

Alors mon père s'en alla et je n'entendis jamais parler d'eux.

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