Etrusca Disciplina 5/5

18 avril

Mirko est de plus en plus exalté. Il ne parle plus que des voies sacrées qui mènent à Agharti. J'ai l'impression qu'il est persuadé que le Livre d'Or d'Alma Mater lui permettra d'entrer réellement dans les mondes souterrains. Ce matin, il m'a bousculée lorsque je lui ai demandé s'il plaisantait ou s'il croyait vraiment à ces légendes.

La plupart des autres membres du groupe ne semblent pas choqués plus que ça de son comportement, mis à part Daniela. J'essaie de la convaincre de laisser tomber, mais elle souhaite poursuivre ; elle veut trouver l'emplacement du Fanum avant tout.

J'hésite à continuer. Mirko a confisqué tous les téléphones du groupe car ils ne veut qu'aucune information ne filtre avant la fin de la mission. C'est à peine s'il me laisse prendre des notes dans mon carnet.

19 avril

Ils ont sorti un moulage du Foie de Plaisance. Ils se prennent vraiment pour des haruspices ! Le pire c'est qu'ils comptent sur moi pour déchiffrer les oracles dans les viscères de mouton.

Avec mes connaissances, j'en serai presque capable, je connais le Foie de Plaisance par cœur, je pourrais presque le dessiner à main levée. Je ne sais plus quoi faire. Si je ne joue pas le jeu, ils seraient capables... J'en sais rien.

20 avril

J'ai réussi ! J'ai trouvé le passage vers le Fanum Voltumnae. J'y crois pas ! Tout ça à cause d'un foie de mouton. C'est complètement insensé mais ça a marché. L'île de Bisentina est bien le sanctuaire sacré. Les gravures du Livre d'Or disaient vraies : seuls les rites de l'Etrusca Disciplina pouvaient révéler son emplacement. Mirko pense l'avoir repéré, non loin de l'ancienne prison des hérétiques.

On part d'ici une heure.

Tout est possible, désormais !

Je n'attendis pas que la vedette fut correctement amarrée et sautai sur le ponton de Bisentina sous les insultes du batelier. Je pressentais que Lydia s'était fourrée dans de sales draps depuis quelques temps, mais ses derniers témoignages m'en convainquirent tout à fait. Je me précipitai vers le centre de l'île, suivant les quelques panneaux indiquant les sites remarquables. Je longeai une sente de terre battue en direction de la prison médiévale lorsque je perçus plusieurs cris joyeux. Je fonçai dans les fourrés ; les ronces et les fougères me fouettaient les jambes et j'entendis mon jean se déchirer avant de dévaler devant le tertre où la mission Fanum était réunie.

L'espace dégagé entre les cyprès et les pins formait un amphithéâtre naturel. Je vis Lydia, les yeux écarquillés et la bouche en sang. Elle se tenait agenouillée auprès d'un grand barbu exalté. Mirko, à n'en pas douter. Il tenait dans ses deux mains levées un cratère de terre cuite noir duquel coulait un liquide pourpre. Lydia recueillait le sang de cette offrande, curieusement vêtue d'une tunique à frange. La scène me parut à la fois sordide et ridicule. Je me dirigeai droit vers ma sœur pour la secouer et l'arracher à cette bacchanale insensée. Sitôt que je l'empoignai pour la relever, Mirko s'interposa et me menaça de son vase. La puanteur d'entrailles tièdes m'écœura : à mes pieds gisait la dépouille d'un agneau fraîchement égorgé.

« Mais qu'est-ce que vous foutez là, bordel ?!

— Qui es-tu ? Pourquoi tu veux interrompre notre cérémonie ?

— C'est toi, Mirko ?

— Tu peux m'appeler Tarchon. C'est mon nom désormais.

— Conneries ! Debout, Lydia ! Je vais te tirer de là.

— Pourquoi tu es venu jusqu'ici ? Calme-toi et regarde, on est sur le point d'ouvrir la porte d'Agharti et...

— T'es folle ou quoi ? Qu'est-ce qu'il t'a fait boire ?

— Rien. Je suis désormais une prêtresse de la nouvelle dodécapole. Nous allons accéder aux savoirs perdus de...

— Comment est-ce que tu peux croire à ces conneries ? Merde !

— Regardez ! »

Il devait être midi ou treize heures, c'était la mi-journée de l'équinoxe de printemps. Le moment exact où plus de deux mille ans de cela, les haruspices et les prêtres étrusques vénéraient chaque année la venue de Tagès. Le génie répondait chaque printemps à l'appel de ses adorateurs et leur confiait les secrets des dieux et de la nature. Pendant des siècles cette tradition fut connue des seuls Étrusques, lesquels avaient bâti leur civilisation et leur culture autour de cette religion révélée. Beaucoup d'autres peuples entretenaient avec eux des relations commerciales et diplomatiques, dans le seul but d'apprendre les arts divinatoires : lire dans les entrailles ou la foudre, reconnaître les signes des dieux dans le vol des oiseaux ou le mouvement de la terre et de la pierre.

Ce que je vis ce jour-là, tenant ma sœur fermement contre moi, je ne saurai l'expliquer. Tout ce que je puis vous dire, c'est qu'il m'aura fallu beaucoup de force pour retenir Lydia, pour ne pas la laisser disparaître avec les autres. Tous les autres.

Après que le gouffre lumineux se fut refermé sur eux, je restai de longues heures, l'esprit vide, ne percevant rien d'autres que les pleurs de Lydia.

Je retrouvai mes esprits bien plus tard, alors que les premières étoiles pointaient timidement au dessus du lac volcanique. Je ressentais une frustration monstrueuse, comme si je venais de gâcher la plus grande occasion de ma vie, l'opportunité de devenir riche au-delà de tout fantasme. Lydia se morfondait contre le tronc d'un cyprès, elle était restée plusieurs heures à gratter la terre, là où le puits de lumière s'était tenu pendant quelques secondes.

Là où Mirko et les siens avaient disparu à tout jamais. Ainsi que tous mes espoirs de connaître un jour les vérités du monde. Toutes les vérités.

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