Etrusca Discilina 3/5
J'avais dû me lever bien plus tôt que je ne l'aurais souhaité afin d'être à l'heure à mon rendez-vous. Le trajet de la gare vers la Villa Borghèse m'avait valu quelques frayeurs dans le métro tant le flot incroyable de romains et de touristes était impressionnant. Je me laissai porter par ce fleuve humain qui s'engouffrait sous terre et entendis toutes les langues de Babel réunies. Je retrouvai la surface quelques kilomètres plus loin, non loin de la Piazza di Spagna aux pieds d'escaliers monumentaux où une faune bigarrée s'agglutinait pour profiter du paysage. J'abandonnai derrière moi deux millénaires d'Histoire fastueuse pour me diriger vers mon seul objectif de la journée. Parvenu à l'entrée de Villa Borghèse, je désespérais à nouveau devant la dimension des jardins ; mon point de rendez-vous était à l'autre bout du parc. Je traversai les allées boisées à l'aide d'une carte téléchargée sur mon écran de cellulaire, ne prêtant qu'une faible attention aux témoignages de marbre disséminées par les artistes au cours des derniers siècles.
La Galleria Borghèse m'apparut peu à peu au bout d'une perspective majestueuse de verdure et de gravier. Mes pas s'enchaînaient au rythme d'une mélodie diffuse dont je découvris l'origine une fois arrivé devant la place du musée. Un accordéon égrenait les notes de la Toccata et Fugue et je m'assis à proximité, sur l'un des derniers bancs de l'allée, loin de la foule et à l'abri de la chaleur. Les harmoniques étranges de l'instrument transformaient le célèbre morceau et emplissaient le lieu d'une présence solennelle. Aussi étrange fut-il, personne d'autre que moi et le musicien ne se trouvait dans cette partie de la métropole en cet instant. Afin de dissiper mon malaise, je dégainai mon téléphone et me connectai à internet afin de vérifier une quelconque activité en ligne de Lydia. Mon faible espoir fût bien entendu balayé par son mutisme entêté. Elle ne répondait à aucun message, que ce fût sur répondeur ou mail. Le signal était plus que correct et j'ouvris la page de son blog, plus par désœuvrement que par réel intérêt pour ses études bizarres. Au bout de quelques instants je remarquai que la plupart des articles avaient été supprimés très récemment. Le dernier en date attira mon attention.
12 avril :
Bonjour,
Comme vous avez pu le remarquer, j'ai supprimé la plupart des articles de ce blog en lien direct avec mon sujet d'étude. La raison en est tout à fait simple : j'ai décidé de reprendre la majeure partie des théories avancées par mes honorés collègues. Du moins sur le chapitre propre à certaines activités cultuelles des religieux étrusques.
J'ai depuis quelques jours accès à certains objets d'une valeur inestimable, non répertoriés dans aucune muséographie officielle. Ces documents uniques en leur genre constituent les éléments les plus précieux dans le domaine depuis la découverte des Livres d'Or et même de la momie de Zagreb.
Jusqu'à ce jour nous ne connaissions rien aux rites du sanctuaire fédéral, et nous nous contentions de simple rapprochements avec les autres cultures du bassin méditerranéen. Mais au-delà des similitudes, l'Étrurie semble avoir développé une science secrète qui nous a échappé depuis plus de deux mille ans. Ce savoir et cette tradition arcanique commencent à peine à être découverts, mais ils laissent déjà entrevoir des répercussions telles qu'il serait envisageable de réétudier certains faits historiques sous un œil nouveau.
« C'est toi le frère de Lydia ? »
Je levai la tête brusquement. Une jeune fille a l'air sévère me toisait de sa hauteur. Ses cheveux blonds contrastaient avec sa peau dorée par le soleil, et sans son accent local, je ne l'aurai pas cru Italienne. Sa voix rauque était typique de certaines femmes de ce pays. Elle était la première Transalpine que je croisais depuis le début de mon séjour que j'aurai pu qualifier de « jolie ». Malgré son air boudeur, je l'invitais à s'asseoir près de moi.
« Non. Je préfère marcher. »
Je rangeai mon téléphone dans une poche et saisis mon sac à doc pour suivre ses pas. Je n'étais pas d'humeur pour la balade, mais je remarquai très vite qu'elle non plus. Elle semblait avoir des difficultés à vouloir entamer franchement la conversation. Après quelques banalités échangées à propos du climat propice et de la richesse infinie des Sept Collines, je lui demandai ouvertement de me rencarder sur ma frangine.
« J'ai rencontré Lydia il y a quelques jours, avant qu'elle ne reparte avec la bande de Mirko. Le groupe de la mission Fanum souhaitait avoir mon avis sur certains éléments qu'ils ont découverts. Je suis docteur en Histoire antique, j'ai étudié le panthéon étrusque. Les pièces qu'ils ont avec eux sont... Disons qu'elles m'ont laissées perplexes. Beaucoup de détails indiquent qu'elles seraient authentiques, bien qu'elles n'ont pas été expertisées encore. C'est surtout le contenu des textes qui m'a étonnée. Je n'avais encore rien vu de tel. C'est comme si nous étions passé depuis des décennies à côté de tout un pan de la culture de ce peuple. Les traductions des Bolognais étaient correctes d'après ce que j'ai pu constater. Ceci dit, ils avaient tous l'air tellement convaincus de leur théorie que je n'ai pas réussi à les mettre en doute. J'ai émis la possibilité d'un faux ou d'une supercherie, mais ils se sont fâchés. J'avais déjà eu l'occasion d'échanger par mail avec Lydia au cours des dernières semaines. Je l'ai mise en garde. J'avais peur que cette mission ne soit en fait qu'un canular. J'ai pensé que le groupe avait truqué ces vestiges et ces objets et voulaient que des experts comme moi ou Lydia donnent du crédit à leurs théories. »
Chiara s'éloigna un instant de l'allée pour aller cueillir une fleur dans un arbuste. Un vol de perruches passa au-dessus de nos têtes en piaillant. Je ne comprenais pas comment ma sœur avait pu se laisser berner à ce point. Ça ne lui ressemblait tellement pas.
« Elle avait l'air très amoureuse de Mirko. Elle ne lui a pas lâché la main pendant les quelques jours où ils sont restés à Rome. Je me suis renseigné sur lui. J'ai lu les sites qu'il a mis en ligne. Beaucoup parlent du monde souterrain et des puissances telluriques. Je crois que c'est un mystique. Il profite de la bourse d'étude pour réunir des documents et du matériel scientifiques. Je ne sais pas ce qu'il compte faire, mais il m'a paru malhonnête. »
La jeune femme blonde s'approcha d'un des nombreux bustes sculptés qui ornaient la partie du parc où nous nous trouvions. Elle déposa sa fleur sur le socle. Je lu le nom sur le piédestal. Dante Alighieri.
« Je sais qu'ils voulaient rejoindre les Vie Cave près de Pitigliano pour faire des fouilles. Tu connais ? Ce sont des endroits fascinants. Sur des kilomètres, des couloirs creusés à même la roche forment des labyrinthes entre les nécropoles. Il y a des gravures mythologiques le long des parois. Peu de personnes s'y aventurent de nos jours, mais certaines de ces voies ont été habitées par des troglodytes au Moyen-Âge. Les scientifiques savent juste que ces routes avaient une signification religieuse très forte. On ne sait pas exactement pourquoi. Mirko pense qu'il s'agit de chemins qui convergent vers le Fanum Voltumnae. »
Je la remerciai de son aide mais elle ne sut me dire où le groupe était parti loger durant son expédition sur site. Toutefois elle m'assura que Pitigliano était un village reculé et minuscule ; si une douzaine d'étudiants y étaient venu dormir tous en même temps, ils ne seraient pas très difficile de les retrouver.
Chiara s'en alla en me souhaitant bon courage pour la suite de mon voyage. Elle me conseilla une agence de location de voiture : sans véhicule, je n'arriverai pas avant le lendemain soir dans cette région des Apennins.
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