Chapitre 53 : Le nouveau
-Salut Stef' ! C'est rare que tu arrives avant moi ici !
-Salut Lou. La forme ?
-Oui ça va et toi ? rit le jeune homme en se recoiffant d'une main.
-Ça va merci.
Lou appelait Stefano par son surnom depuis quelques temps. Ça lui faisait un peu plaisir parce que ça montrait que depuis le temps, ils étaient devenus plutôt proches.
-Tu travailles encore sur ta fameuse toile de fiançailles ?
-J'en ai commencé une autre. Les derniers détails que je veux ajouter, c'est à la maison, je l'ai déjà ramenée chez moi.
-Dommage j'aurais bien voulu la voir finie, ou quasiment finie. Tu m'enverras une photo ? demanda Lou, faisant les yeux doux à Stefano.
-Si tu veux, sourit-il.
Stefano avait recommencé une toile sur laquelle cette fois, c'était un peu plus explicite que la précédente...On y voyait sur son esquisse un couple visiblement sur un lit avec la femme au-dessus, avec apparemment quelque chose en plastique noir qui dépassait d'entre ses jambes, et l'homme dessous, les bras relevés au-dessus de sa tête liés par quelque chose de pas encore dessiné, probablement des cordes ou des menottes.
Malgré ce côté plus explicite qu'avant, le tableau restait sensuel, il n'y avait selon toute vraisemblance aucune partie intime visible et Stefano allait travailler les ombrages au maximum pour donner une impression de pièce à la lumière tamisée et cacher un peu plus au moins partiellement quelques éléments.
Après quelques minutes de discussion puis de travail sur leurs toiles respectives, un individu entra dans l'atelier. Stefano jeta un œil par-dessus son tableau.
C'était un jeune homme aux cheveux noirs un peu ébouriffés. Il était de taille moyenne, un peu plus petit que Stefano, et portait sur son épaule un sac en bandoulière rouge et jaune.
Il tourna son beau regard bleu vers Stefano. Ses yeux d'un bleu saphir pourraient presque faire trembler de concurrence ceux de Stefano, plus clairs mais dont les pupilles étaient bordées d'un joli jaune ocre doré. Puis il se tourna vers Lou et le salua.
-Ah tu tombes bien ! C'est la première fois que tu le vois, non ? demanda Lou en pointant Stefano du doigt et en se levant pour rejoindre le jeune noiraud qui hochait la tête. Je vais te présenter.
Le jeune homme regarda alors Stefano qui le surplombait d'une demi-tête.
-Je te présente Stefano. Il est arrivé après Hector, Marcus et moi ici, mais on est bons potes et il est très gentil. Stefano, je te présente Shawn. Il est arrivé tout récemment.
-Enchanté ! dit le garçon aux cheveux noir de jais avec un sourire.
Il tendit la main devant lui pour serrer celle de son interlocuteur. Stefano eut un peu peur, ayant des relents désagréables d'Elam lui revenant en tête. Faisant toutefois confiance au jugement de Lou, il serra la main du jeune Shawn en répondant :
-Moi de même !
Après quelques minutes, Hector et Marcus arrivèrent ensemble. Ils saluèrent tout le monde, ils avaient déjà vu Shawn une fois. Ce dernier prit alors l'initiative de faire un tour parmi les quatre artistes pour voir leurs styles et peut-être, qui sait, s'inspirer un peu pour sa propre petite toile encore vide.
Quand il arriva à la hauteur de Stefano, il s'arrêta net, observant la toile avec un regard perplexe et dubitatif.
-C'est...fit-il avec un ton inquisiteur.
-Oui. C'est une métaphore de la pénétration, dit Stefano sans sourire, pas spécialement à l'aise mais pas particulièrement mal à l'aise non plus avec ce genre de sujets avec des collègues ou des connaissances.
-C'est...recommença son interlocuteur avec une légère hésitation. C'est un peu gay quand même ça...
Stefano fronça les sourcils, posant son pinceau avec une délicatesse maîtrisée en totale opposition avec sa colère qui, d'un coup, avait fait un vrai bond interne.
-Comment ça ? demanda-t-il sur un ton posé, maîtrisé, en se tournant pour regarder son interlocuteur.
Habituellement, Stefano n'aimait pas vraiment avoir des problèmes ni se faire remarquer. Il était plutôt discret, surtout dans un environnement assez professionnel tel qu'ici, avec certes des amis mais pas les plus proches qu'il ait. Mais après avoir subi les brimades et les commentaires incessants et exécrables d'Elam pendant des semaines et des mois, il se sentait prêt à riposter tout de suite pour ne pas se laisser, cette fois-ci, écraser.
-Bah...Les fesses quoi, pour pas dire autre chose. C'est un peu ta dignité, non ? C'est quand même de la pénétration, je sais pas moi...
Stefano posa ses affaires de peinture et se leva, retirant son tablier couvert de taches de couleurs diverses. Le tenant toujours à la main, il était à présent debout et donc plus haut que Shawn. Ce dernier eut un imperceptible déglutissement inconscient.
Stefano était assez grand et possédait un torse plutôt large, lui conférant naturellement une présence imposante et parfois, malgré lui, un peu intimidante, juste de par son gabarit. Gabarit qu'il n'avait évidemment pas choisi, on ne conteste pas les choix de Dame Nature. Ou Dame Génétique aussi.
-Tu veux dire que les hommes ne peuvent pas être pénétrés ? Et pas par une femme non plus ?
-Tu...Tu fais ce que tu veux dans ta vie privée, dit le garçon. Mais c'est un peu le pénétrant pénétré quoi...
Stefano pensait à hurler au scandale devant ces idées très partiarcales, un avis vraiment biaisé par la société et ce qu'elle attendait des hommes et des femmes, quelle place elle leur attribuait implicitement. Mais il ne fit rien de tout ça.
-T'as le droit de penser ce que tu veux et aussi de faire ce que tu veux avec tes fesses, ta saucisse et tout ce qui va avec. Mais du coup, laisse les autres s'occuper des leurs. Tu n'as pas à imposer tes idées aux gens et à kinkshame ce que les autres aiment ou feraient dans leur vie privée qui donc ne regarde qu'eux.
-Je...Je t'ai pas imposé mes idées...fit Shawn, avec une certaine mauvaise foi notable par Stefano et les autres garçons présents dans la pièce.
Le jeune brun émit une sorte de grognement de désapprobation, pas convaincu.
-Ton avis, je l'ai pas demandé. Maintenant, c'est comme si tu me disais, là en face de moi, qu'avec mes envies et ce que j'expose là dans mon art personnel, que je suis gay et que je n'ai pas de dignité.
Son interlocuteur ouvrit la bouche et Stefano ajouta avec vigueur, avant qu'il ait eu le temps d'ajouter quoi que ce soit :
-Je ne suis pas en train de dire qu'être homosexuel, c'est mal ou quoi que ce soit de négatif, mais simplement que je ne le suis pas et que tu assimiles une pratique que tout le monde peut avoir à une orientation sexuelle précise, ce qui n'a rien à voir.
-Je n'ai jamais dit que tu étais gay ! s'offusqua le jeunr homme.
-C'était ton sous-texte, dit Stefano.
-Et j'ai simplement dit que je n'aimais pas ces pratiques !
-Tu as le droit mais c'est déjà pas ce que tu as dit et ce n'est pas parce que tu n'aimes pas une pratique que tu dois la condamner pour les autres. Ton esprit est aussi fermé que tes fesses, apparemment.
Le jeune brun rangea alors ses affaires, pinceaux, chevalet, tablier et peintures, au plus vite et ramassa son sac au sol, le balançant sur son épaule.
-Je vais faire un tour, dit-il à ses collègues en traversant l'atelier.
-Fais une pause, t'as raison d'aller prendre l'air, lui dit Marcus avec un ton conciliant. À tout à l'heure !
Un silence un peu pesant s'ensuivit. Le trio de longue date fixait Shawn qui rougit légèrement.
-Que...Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? demanda-t-il les sourcils froncés.
Les trois amis le regardèrent avec un air un peu gêné, embarrassé.
-Excuse-le, s'il te plaît. Il n'y a pas été avec le dos de la cuillère parce que c'est un sujet auquel il est sensible, et qu'il a eu pas mal de...De reproches d'un autre garçon il y a pas si longtemps, mais...commença Lou.
-C'est vrai que ton discours n'était pas terrible, surtout au niveau de l'ouverture d'esprit...compléta Hector en désapprouvant du regard.
-Mais...J'ai juste dit mon avis...
-Pas tout à fait. Il faut faire attention entre "je n'aime pas" et "c'est pas bien". Parce que ça, c'est un état de fait, objectif, alors que si tu dis que toi t'aimes pas, c'est subjectif et ça dépend seulement de toi et ta sensibilité. Donc c'est moins dur à accepter. Et associer inconsciemment la pénétration à...
Marcus qui parlait regarda ses amis, appelant à l'aide du regard pour ses mots.
-À une saucisse dans une fraise, disons ça comme ça...fit Lou un peu gêné de sa métaphore.
-Voilà merci, c'est très...Partiarcal et presque sexiste.
Shawn rougit un peu plus, honteux. L'autre reprit la parole.
-T'es nouveau donc tu ne le sais pas mais...À vrai dire, si ça peut te rassurer, avant aussi on était un peu coincés dans nos idées très masculines comme ça. Quand Stefano est arrivé, il nous a un peu secoués mentalement avec toutes ses œuvres, entre le glauque et les postures assez intimes mais peu communes quotidiennement. Avec surtout la femme active.
-Oui. À tel point qu'on s'est mis à le prendre pour cible. Maintenant c'est clairement un membre du groupe à part entière, mais au début c'était devenu une forme d'intimidation à la longue, vu qu'on l'embêtait de plus en plus, et c'est là qu'elle nous a explosés. Le terme est trop fort mais elle nous a bien secoués...
-Non, vraiment on peut dire qu'on s'est faits exploser, rit Lou en y repensant à deux fois.
-Qui ça ? demanda Shawn curieux. Odile ?
-Non, pas elle. La fiancée de Stefano, sourit Lou en pensant à la volcanique et pourtant petite Ngôi Sao.
-Il est vraiment pas gay ? s'entêta Shawn.
-Non, pas que je sache, et il te l'a dit en plus. Ça fait des années qu'ils sont ensemble, leur couple a l'air de bien marcher et je dois avouer qu'ils sont vraiment trop chous ensemble, sourit Hector, bras croisés.
-Et ça a changé quoi, cette rencontre ?
-Elle était inscrite ici au début, mais plus maintenant. Elle avait fait un tableau dans ce genre d'atmosphère aussi et comme des abrutis, à l'époque on l'était, on s'est dit que comme on était pas d'accord avec son art, on allait le vandaliser et que ce serait genre...Très amusant.
-Du coup j'ai dessiné un gros phallus sur son tableau en cours, avoua Lou avec peine et un peu de honte dans les yeux. Je m'en veux d'ailleurs, il faudrait que je m'excuse auprès d'elle sérieusement.
-Vas-y mon gars, sourit Hector en lui donnant une tape dans le dos.
-Et alors ? Elle a fait quoi ? demanda Shawn.
-Elle a fait un gros discours sur nos idées fermées, on l'a pas très bien pris mais après ça, on a décidé de se renseigner sur Internet, à gauche et à droite. On s'est les trois mutuellement rendu compte qu'on était complètement idiots et on a fini petit à petit par changer. On a fait nos recherches seuls mais c'est frâce à elle, en soi.
-C'est plus agréable d'être comme ça, à vrai dire, sourit Marcus avec amusement.
-Elle est vraiment imposante ou elle vous a menacés pour que vous l'écoutiez ? rit Shawn, persuadé qu'on ne pouvait pas prendre au sérieux une femme petite.
-Imposante ? Pas trop...
Les amis se regardèrent, certains en souriant et le dernier en fronçant les sourcils, perplexes.
-Ça dépend dans quel sens, mais oui on va dire, finit par répondre un des hommes en souriant.
-Et vous vous êtes laissés marcher dessus par une femme ?
-C'est encore un peu sexiste ça, lui fit remarquer Marcus. C'est pas parce que c'est une femme qu'on doit pas l'écouter. Et puis, tu es nouveau, tu ne l'as jamais croisée, mais si un jour ça arrive, tu comprendras. Elle est fascinante parce qu'elle possède une force de persuasion assez dingue, tellement elle est déterminée et qu'elle sait ce qu'elle veut. Elle a pas un physique imposant mais elle a une force de caractère qui en impose.
Quand Stefano revint un peu plus tard sac sur le dos, calmé par sa petite promenade, Shawn alla vers lui et lui dit simplement :
-Je m'excuse. Je n'aurais rien dû dire. C'était déplacé.
Puis il tourna les talons pour continuer sa toile de son côté, une petite toile pour laquelle il avait fini par trouver une idée.
Stefano, lui, était surpris mais très content de ces excuses. Puis il se remit au travail.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top