#1 Les Yeux Écarlates - pages 22-27

Référence : Moriarty - tome 1, chapitre 1, pages 22 à 27.

Disclaimer : Œuvre à Ryosuke Takeuchi et Hikaru Miyoshi, le tout basé sur l'œuvre de Sir Arthur Conan Doyle.

Attention, scène violente, tant dans ses actes que ses paroles.

_ _ _

Dénué du moindre habit que lui avait généreusement prêté Albert, pouvant lui permettre ne serait-ce que pendant une courte période d'intégrer par tricherie une classe sociale supérieure à la sienne, et après avoir essuyé un nouveau sermon de Simon bourré de répliques toujours plus acerbes les unes que les autres, il avait dû se résoudre à abandonner son petit-frère qu'il rejoindrait plus tard, ayant encore sa mission du jour à accomplir. Ce n'était pas pour rien s'il avait eu l'honorable chance de sortir en ville aujourd'hui, il avait un compte rendu à rendre. Une œillade de gratitude glissée au jeune adolescent aux cheveux châtains – qui prenait toujours sa défense face aux inepties du majordome –, il avait soigneusement nettoyé ses chaussettes à l'état déplorable, triste reflet de sa condition, pour enfiler la paire de chaussures qu'il laissait vers l'entrée. Elle n'était guère luxueuse, maigre présent de sa famille adoptive, dépareillée, la semelle de l'un des souliers se décollant mais peu importait. Il avait quelque chose à mettre à ses pieds, quelque chose de décent, quelque chose qui lui permettait et surtout lui accordait le droit de venir fouler le sol de la noble demeure et ses tapis onéreux.

Le textile doux, aux motifs divers et variés, orné de discrètes et somptueuses broderies, recouvrant généreusement le plancher rare, étouffait le bruit de ses pas. Il glissait tel un fantôme durant plusieurs minutes, parcourant un dédale de couloirs dans le manoir, passant devant un défilé de portes avant de s'arrêter devant celle où derrière se trouvait la personne l'ayant commandité plus tôt dans la journée. Serrant sa dextre juvénile pour en former un poing, l'index et le majeur légèrement dépliés, il vint frapper poliment le bois de l'un des battants soigneusement ouvragé pour s'annoncer.

Une fois.

Deux fois.

Et seul le silence lui répondit à chaque fois.

Finalement, sa main s'ouvrit pour glisser le long de la poignée métallique dorée et il l'actionna, s'ouvrant à lui la vision d'une pièce qui s'apparentait à un petit salon. Une salle d'une superficie plutôt généreuse et richement décorée comme l'était le reste de la demeure. Après tout, il s'agissait de la bâtisse d'un noble, hors de question de ne pas avoir une décoration clinquante, ne serait-ce que pour impressionner ses semblables. Un lustre, dans un métal probablement précieux était pendu au plafond, agrémenté de prismes et de pendeloques en cristal sous chaque bougeoir. Ces derniers venaient réfléchir la lumière naturelle extérieure filtrant à travers les immenses fenêtres habillant le mur faisant face à la porte, que dévoilaient de lourds doubles rideaux en velours pourpres ornés de discrets motifs en relief. Contre la paroi adjacente se trouvait un somptueux foyer[1] aux formes épurés et géométriques, le linteau soutenant d'un bout à l'autre deux vases importants contenant de beaux bouquets, enserrant une série de cadres photos. Puis, deux hauts chandeliers en argent encadraient les jambages du foyer, alors que de riches tableaux, portraits et scènes de vie quotidienne décoraient le mur au-dessus. Un grand tapis, provenant surement d'une des meilleures maisons de tissus de la ville, couvrait en majeure partie les planches d'acajou lustrées et reposaient dessus quatre fauteuils de type bergère – éventuellement confessionnels – entourant une table basse circulaire. Sur cette dernière reposait soigneusement sur sa soucoupe une tasse de thé, alors que l'un des sièges se voyait occupé par une femme, le dos légèrement voûté, le visage baissé sur le livre qu'elle tenait entre les mains, les mèches châtaines de son chignon renvoyant de discrets reflets mordorés.

Ne prêtant guère attention à ce mobilier riche, chose que beaucoup lui reprocherait compte tenu de sa position sociale. Après tout, n'était-il pas de condition inférieure ? Ne devrait-il pas envier et jalouser ces nobles ? Laisser un regard gourmand parcourir chaque parcelle onéreuse de la bâtisse comme le faisait la plupart des domestiques ? Nullement. Ce n'était pas pour lui. Et il préféra s'annoncer d'une voix jeune et calme, sa dextre venant quitter la poignée froide.

« Je suis de retour. »

Sans se départir de sa lecture, sans un regard pour l'enfant, la bouche féminine dont les lèvres étaient badigeonnées d'un rose voyant s'ouvrit. Les mains parfaitement manucurées tenant le cuir de la couverture, ce fut un ton froid, presque hautain qui s'exprima avec un certain dédain. Sa condition le lui permettait après tout.

« Tu as bien posté les lettres que je t'avais confiées, j'espère ?

- Oui, Mère. », répondit le blondin qui s'était avancé de quelques pas pour pénétrer dans le salon, les bras le long du corps, un sourire avenant parant son doux visage.

A peine eut-il fini sa phrase que ce fut comme si la femme assise avait été piquée soudainement par un quelconque insecte. Dans un claquement sec le livre fut refermé brusquement avant d'être posé sans ménagement sur la table, peu importait son prix. D'un geste vif, agitant les boucles ayant échappé à sa coiffure serrée et faisant teinter ses boucles d'oreilles ornés d'une belle pierre précieuse, une main tenant l'un des pans de sa somptueuse robe magenta, elle quitta son siège d'un bond.

Les sourcils froncés au-dessus de ses yeux noisette qui s'étaient écarquillés sur le coup, elle fit volte-face, un rictus disgracieux déformant son visage, qui pouvait probablement être un tant soit peu élégant en temps ordinaire. Prise d'une colère vive, cobra royal prêt à cracher son venin sur celui qui venait de l'importuner, ou en d'autres termes : l'insulter, elle s'écria, son timbre de voix montant douloureusement et significativement dans les aigus :

« Non mais, pour qui te prends-tu ? Si j'ai pris soin de deux orphelins, c'est parce que tel est le devoir des classes supérieures ! Je l'ai fait par charité ! Personne n'adopte des orphelins par plaisir ! »

Sa fureur était palpable, elle ne pesait nullement ses propos, ses traits se distordant exagérément à chaque mot prononcé, pour ne dire envoyé avec acidité. Et pour accentuer la teneur de ses paroles, elle vint placer une main ouverte outrée sur sa poitrine, son regard brillant d'effarement alors qu'elle s'exclama, en venant à ce qui l'avait notamment poussé dans un tel excès de rage :

« Une noble comme moi ne se laisse pas appeler « Mère » par un répugnant individu issu de la plus basse classe de la société ! »

Ses cris, plaintes suraigus, couplés d'insultes on ne pouvait plus avilissantes ne semblèrent guère affecter le jeune garçon. Son étrange regard écarlate demeura de marbre, les sarcasmes glissant avec aisance sur son visage qui se voyait peint d'une neutralité frappante. Il encaissa et pas à un seul moment ne grimaça ou ne donna la quelconque impression qu'il allait répliquer. Au contraire même. Ce qu'il fit, une fois la tirade, suintant de poison par tous ses pores, achevée, était même des plus surprenants.

Aucunes représailles. Aucune marque d'offense. Aucune marque d'outrage. Non. Loin de là.

Très loin de là même.

Ses pupilles écarlates se virent animées d'une lueur chaleureuse. Sa tête se pencha de quelques centimètres sur sa droite. Ses lèvres s'étirèrent pour s'ourler en un doux sourire. La lumière extérieure venant se refléter sur ses mèches d'un blond excessivement pâles allait en outre jusqu'à l'auréoler. Ce visage... il avait tout l'air d'un ange à ce moment précis. Il était difficile de savoir quel impact avait pu avoir de telles paroles sur lui.

Toutefois, il ne fut pas complexe de deviner les sentiments qui animèrent la femme face à cette expression débordante d'innocence. C'en était trop ! Les limites de l'insolence venaient d'être outrageusement outrepassées ! Ses pupilles s'étrécirent, son souffle se coupant devant ce visage angélique et elle n'y tint plus. Son ire redoubla, il n'était plus question de se contrôler, à bas les bonnes manières lui étant dictées depuis sa tendre enfance noble et une grimace hideuse déforma ses traits, ses dents serrées au possible.

« Tu... ! », hoqueta-t-elle avec mépris.

Foudroyant l'enfant, qui ne semblait en avoir cure, sur place, son bras droit se leva prestement, la main plate et nul doute n'était permis quant à l'action qui allait suivre. Elle pouvait presque déjà sentir les désagréables picotements qui allaient parcourir son épiderme une fois qu'elle aurait agi. Et alors qu'elle s'apprêtait à abattre sa dextre, une voix familière la coupa dans son élan, l'apostrophant calmement, sans la moindre once de surprise.

« Mère ? »

Traversant le couloir et éventuellement alerté par l'animation agitant le petit salon, un jeune garçon s'était arrêté devant la porte laissée ouverte plus tôt par le blondin lorsqu'il était entré. Portant un livre sous le bras droit, soigneusement vêtu, montrant son appartenance à la famille noble vivant ici, c'était lui qui s'était exprimé. Par ce biais, il avait en outre dévoilé sa filiation avec la femme qui eut un sursaut de surprise à cette intervention alors que le garçon aux cheveux blonds se tourna vers l'arrivant.

Le regard noisette de l'enfant, hérité de sa génitrice, balaya la scène avec un ennui non feint, aucune stupeur peignant ses traits, comme si ce genre de scène était chose commune. Ses cheveux courts, châtains, retombaient savamment en boucles désordonnées, ne venant envahir son visage dont la physionomie ressemblait à celui d'Albert. Ses yeux s'attardant à nouveau sur sa mère, et celle-ci, comme une enfant prise la main dans le sac en train de faire une bêtise, pâlit honteusement. Elle ramena avec une timidité presque affligeante son bras droit, plus tôt levé, contre elle.

« Euh... William..., murmura-t-elle avant de tourner complètement la tête vers le nouveau venu, un sourire forcé et une mine enjouée. Ah...Bonsoir, mon chéri ! Ta leçon a fini tôt aujourd'hui... »

Un constat inutile puisque le surnommé, dans une posture que l'on pourrait presque qualifier de dédaigneuse, fit sur un ton las – alors qu'il savait pertinemment quels différends animaient la lady.

« Ah, tiens... J'ai entendu des cris... J'ai cru que tu te disputais encore avec Père.

- Mais non, voyons..., répondit avec une certaine brusquerie sa mère, une gêne apparente sur son visage.

- Père n'est pas là aujourd'hui ? lui demanda alors son fils en se tournant complètement vers les deux occupants du salon, faisant mine de laisser son regard se balader un court instant. Il a une séance au conseil des échevins[2] de la cité ? »

Puis, il s'interrompit l'espace de longues secondes, comme pour réfléchir, avant de faire part d'une nouvelle hypothèse sur un ton navrant.

« A moins qu'il ne soit encore fourré chez sa maîtresse ? »

Des paroles qui n'avaient pas été prononcées au hasard, faisant mouche chez une certaine personne qui les encaissa douloureusement, comme l'on pouvait encaisser un coup de poignard. Il n'y avait pas à dire, le jeune William savait ce qu'il disait, et ce n'était pas innocemment qu'il avait fait part de ses propos mielleux enrobés d'éclats de verres tranchants.

Par ailleurs, il continua, allant plus loin, adoptant un air hautain et secouant sa sénestre négligemment. Geste qu'il accompagna avec un certain mépris qu'il ne chercha nullement à dissimuler dans ses paroles qui suivirent.

« Pff... vous parlez d'un modèle ! Je vous le dis, Mère, vous devriez oublier le qu'en-dira-t-on et divorcer vite fait ! la conseilla-t-il comme si les rôles parent-enfant étaient inversés. Bah, c'est trop demandé, je sais... Si la bonne société apprenait que votre époux vous préfère une femme de basse condition, ça ferait jaser, n'est-ce pas ? »

S'il s'attendait à une réponse condescendante de sa génitrice, il ne fut servi que par un visage baissé, la franche châtaine venant dissimuler son regard. Sa bouche n'offrait aucune réelle expression à deviner mais il n'était guère difficile de sentir qu'intérieurement, elle bouillonnait. Mais elle ne pouvait que faire, son fils ayant, hélas, tristement raison sur toute la ligne. Et là, il suffirait d'un rien pour qu'elle ne s'emportât.

Chose que devait avoir remarqué son enfant qui se détourna à demi, le livre désormais dans son dos tenu à deux mains. Avec innocence, il vint s'adresser alors à l'enfant blond qui avait suivi l'échange à sens unique sans piper mot.

« Tu viendras dans ma chambre ensuite, William, dit-il au blondin qui semblait partager le même prénom que lui, ses paroles sonnant plus comme un ordre qu'une demande. Nous partagerons une pâtisserie. »

Ne laissant le temps à l'enfant de répondre, il le détailla rapidement avant de poursuivre, ce sourire faussement angélique étirant ses traits.

« A propos, tu ressembles assez à cette femme, je trouve... »

Se disant, il avança de quelques pas, poursuivant son chemin qu'il avait interrompu plus tôt, avec de fortes chances en direction de sa chambre. Malicieusement, toujours ce rictus ourlant ses lèvres, il s'arrêta une dernière fois néanmoins, son visage à demi caché par l'autre battant de la double porte, portant alors un coup final mortel.

« Ta couleur de cheveux par exemple... C'est tout elle ! »

Et il disparut, la bombe lâchée.

Si le regard écarlate du blondin l'avait suivi avec ennui, ayant l'habitude de ce genre de brimades, ce ne fut pas le cas de la femme dont la fureur précédente ne s'était estompée entre-temps. Ses yeux noisette s'écarquillèrent sous les derniers mots habilement lâchés de son fils et le feu fut mis aux poudres. La rage se déversa de nouveau à une vitesse affolante dans ses veines et ses dents se serrèrent si fermement au point de rendre sa mâchoire douloureuse. Une grimace vint à nouveau la défigurer, ce fut trop. Son self-control n'était plus tenable.

Et alors que s'éloigna le jeune garçon châtain d'un pas mesuré dans le couloir, lui parvint du petit salon où il avait semé la discorde le bruit familier d'une cuisante punition. Personne ne le vit, mais un sourire vil emprunt de satisfaction vint fleurir sur ses lèvres à l'écoute de ce claquement sonore.

_ _ _

Lexique :

[1] Aujourd'hui, c'est ce qu'on appelle par métonymie « cheminée ».

[2] Il est question de réunions où ce conseil est chargé de l'adoption de la législature.

---------------

Bonjour, bonjour, donc me voici avec un premier essai et je dois avouer ne pas m'attendre à beaucoup d'engouement mais j'espère malgré tout que cela vous a plu. C'est une façon pour moi, outre que vous montrer ma plume, de perfectionner celle-ci, notamment dans tout ce qui est narration/description, quelque chose que j'adore faire pour ceux qui me connaissent.

En tout cas, c'était un extrait qui me tenait particulièrement à cœur que j'ai voulu romancer et je dois avouer que son absence dans l'animé m'a quelque peu déçu. En outre, je sais, j'ai parfaitement conscience que l'on n'a pas un tel développement des pensées des personnages dans le manga ou l'animé, c'est à nous de réfléchir à cela et c'est donc ma vision personnelle de cet instant que je vous impose. Après, je pense que les pensées des personnages nous apparaissaient assez clairement au cours de notre lecture du manga.

De plus, petit détail que j'ai rajouté dans la narration et qui a pu éventuellement vous perturber : les chaussures de William. Une case plus haut avant que je ne commence à travailler ce passage-là, on le voit en chaussettes lorsqu'il enlève les vêtements d'Albert et plus tard, on constate lorsqu'il parle avec la maitresse de maison qu'il porte des chaussures. J'ai donc donné une interprétation personnelle de la chose, faisant qu'enfant des rues, il n'avait pas foncièrement de souliers adaptés et il se devait quand même de circuler suite à son adoption dans une demeure de nobles. Hors de question qu'il ne le fasse avec des chaussures ayant trainé on ne sait où, et j'ai supposé qu'on lui en avait offert à son arrivée, certes, pas quelque chose de luxueux mais au moins, il avait quelque chose à mettre.

N'hésitez vraiment pas à laisser un retour sur cet extrait s'il vous a plu, ce que vous en avez pensé ou autre, s'il y a des erreurs, des incohérences. Comme dit, ce ne sont que des essaies que je fais. Merci beaucoup et à la prochaine.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top