Le début

– Bah alors... ?

– "Bah alors" quoi ?

– Ben t'écris pas ?

Pas de réponse. Seul un silence vaguement embarrassé.

– ... ça n'arrivait pas avant, finis-je par soupirer.

– Ah ça, non.

– Ça, non, répété-je.

De nouveau, le silence. Implacable.

Ça n'arrivait pas, avant. J'avais trop de trucs dans la tête, tout le temps. La difficulté n'était pas tant de trouver un sujet ou une idée, que de se dégager un moment pour coucher sur le papier une fraction de tout ce qui se bousculait dans mon esprit.

Et maintenant, plus rien. Seul le silence, rythmé par la course imperturbable de la trotteuse.

Que s'est-il passé... ?

– Tu pourrais écrire sur n'importe quoi, en fait.

– Ben justement...

– Alors c'est ça ? Est-ce que ça te fait peur ?

– De quoi ?

– La liberté. Tu peux tout inventer !

– "Tout inventer" ? fais-je avec un rire désabusé. Qu'est-ce qui n'a pas déjà été fait ? Tout a déjà été écrit : des chef-d'œuvres incontestés au pires daubes, en passant par les best sellers qui ne méritent pas ce titre. Tu peux me dire ce que j'apporterais de nouveau, à part une énième médiocrité en noir sur blanc ?

– C'est pour ça que tu écris ? Pour le succès ?

– Non... Enfin je ne crois pas.

– Alors pour quoi ?

– Pour me faire plaisir... j'imagine. Parce que j'adorais donner vie à des personnages qu'une partie de moi rêvait sans doute d'incarner. Je ne me lassais pas de décrire leurs aventures dans des terres bien lointaines de la fadeur et de la tristesse de mon monde à moi...

– Tu parles au passé.

J'ai un nouveau sourire teinté d'amertume.

– Je te rassure, le monde n'est pas moins triste ou moins gris...

– Alors c'est toi qui ne rêves plus ?

– Peut-être... (Je marque un temps, pensive) J'ai vraiment arrêté de rêver, pendant une période de ma vie, tu sais. Je veux dire d'avoir des rêves. Je n'allais pas très bien.

– Et comment ils sont revenus, tes rêves ?

– Des mois plus tard. Je suis partie marcher en montagne plusieurs jours, après une année difficile. Loin de tout ce qui m'avait collé à la peau pendant un an. Et je crois que j'ai retrouvé une partie de moi.

– Et maintenant... qu'est-ce que tu as perdu ?

– Qu'est-ce que j'ai perdu... ?

Je demeure interdite.

– ... ou bien qui ?

Je laissai échapper un soupir pensif.

– La gamine que j'étais, sans doute. Depuis plusieurs années, j'ai l'impression que toutes les cartes qui me définissaient ont été rebattues. Étudier est devenu une épreuve, ce que je croyais aimer m'ennuie au plus haut point, et ce que j'avais l'aplomb d'accomplir à peu près bien me terrifie tellement maintenant que je me casse la gueule toute seule en essayant d'essayer. Comme là, maintenant.

Cette fois, pas de relance. J'attends un moment, comme accusant le coup de mes propres mots.

Puis je reprends :

– Même ce que j'aime encore faire, j'arrive à le rater... C'est ça, devenir adulte ?

Peut-être bien... Peut-être pas, aussi. C'est tellement plus. Y a des trucs géniaux.

Et puis il y a la peur.

Elle s'est immiscée en moi en l'espace de quelques années. Lentement, mais sûrement, elle a tout corrompu, tout infiltré. L'audace. L'aplomb. J'en avais avant, et à revendre, me semble-t-il.

... ou bien n'était-ce qu'une manière de mieux camoufler mes fragilités ?

Ces dernières années, j'ai l'impression que mes succès ne sont pas des apprentissages neufs, mais seulement des reconquêtes.

Reprendre le pouvoir sur mes capacités. Je peux.

Reprendre de l'assurance. J'en suis capable.

Retrouver l'audace. De faire.
De rater, aussi.

L'audace de rater. De se laisser échouer.

Tomber.

.
.
.

Lâcher prise.

Il y a des choses belles, dans cela. Des belles rencontres. C'est un mouvement.

Et tout est passager. Mais j'apprends à naviguer. À mieux sentir.

Et un jour peut-être, je retrouverai des saveurs perdues. Celles de l'insouciance...

Qui sait ?

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