Chapitre 4.2
Le soleil décline dans le ciel. Sa lente descente flamboie l'horizon de couleur chaude. Demain sera encore une belle journée.
Je m'allonge sur les tuiles, les mains jointes sous ma tête, profitant du spectacle autant de la brise rafraîchissante. Je me trouve juste au-dessus de sa chambre. Le doux bruit de ses rideaux, qui virevoltent par la fenêtre, parvient jusqu'à moi. Je n'ai pas besoin de la voir pour la percevoir. Je la sens jusque dans mes os.
C'est normal, je suis son guide spirituel, au même titre que Damabiah. Nous n'avons tout simplement pas les mêmes spécificités. Aby accorde à notre protégée une grande intuition, son optimisme, sa curiosité pour les secrets de l'univers. Elle la guide, aidée par son imagination naturelle et lui octroie une incroyable empathie. C'est une rêveuse. Quant à moi, je lui donne la faculté de se rebeller contre ce qui est injuste, je lui confère le courage de continuer même lorsque la situation semble désespérer et, parfois, je me plais à lui inspirer un besoin d'aventure, ainsi que la passion dans tout ce qu'elle entreprend.
Toutefois, nous n'allons jamais contre la réelle nature des humains. Nous devons les laisser commettre des fautes, ce qui leur permet d'apprendre, d'évoluer. Comme Baah'la nous l'a appris à nos débuts.
Si je ferme les yeux, je la vois déambuler dans sa chambre, nonchalante. Elle range une pile de vêtements dans son armoire qu'elle referme lentement, presque abattue. Puis, Aelah s'observe dans le miroir et semble déçue par ce qu'elle y voit. Elle se pose encore des questions, sur ses origines et une profonde tristesse l'étreint.
Mon cœur se serre, faisant écho au sien.
Elle se laisse alors tomber sur son lit, se recroqueville sous des draps légers, presque diaphanes. Je n'ai pas besoin de l'entendre pour savoir qu'elle pleure. Je dois résister pour ne pas me ruer dans sa chambre, la prendre dans mes bras pour la réconforter et chasser ses tourments à jamais. À cet instant, j'ai envie de tout lui révéler et de l'emmener loin de cette vie qu'est la sienne. Je veux simplement la voir sourire... toujours.
Dans un sursaut de conscience de mes responsabilités, je me détourne de la fille et fixe mon attention sur toutes les âmes qui sont sous ma bonne garde. Il est facile pour moi de les atteindre, de réaliser mon travail, celui pour lequel j'existe. J'oublie tout le reste, mon environnement, le temps qui passe, même Aelah, car je ne dois pas me fourvoyer. L'emprise qu'elle a sur moi me semble dangereuse.
Lorsque j'émerge de ma besogne, la nuit bat son plein. Avec précaution, je me faufile par la fenêtre de sa chambre en m'agrippant aux rebords du toit. J'atterris sur le plancher sans un bruit, aussi agile qu'un chat sautant d'un arbre. L'été, il est plus facile d'y accéder, contrairement aux jours d'hiver. Je m'approche de son lit.
Aelah a les yeux rougis d'avoir trop pleuré. Ses cheveux serpentent son oreiller et quelques mèches lui couvrent le visage. Du bout des doigts, je lui en dégage une pour mieux l'admirer. Elle sert son coussin des deux bras, elle me paraît si vulnérable que j'ai envie de la serrer contre moi. Au moins, en ma présence, Érébanne ne peut plus l'atteindre.
Baah'la, comment fais-tu pour te montrer si indulgente envers lui ? Après tout ce qu'il nous a fait, tu continues de croire qu'il retrouvera la raison. Je ne possède pas ta foi. Pourtant, quand je la regarde, j'ai l'impression que l'espoir gonfle dans ma poitrine.
Je soupire, me laissant tomber au pied de son lit. Je m'adosse à l'encadrement en bois qui craque légèrement sous mon poids, ce qui soutire un gémissement à Aelah. Un son qui m'enchante comme un sortilège et m'oblige à secouer la tête pour m'extirper de sa magie.
Qu'est-ce qui m'arrive, Baah'la ?
Sa voix tente de me parvenir, mais ce n'est plus qu'un faible écho qui s'évanouit aussi vite qu'il n'est apparu. Elle n'a plus l'énergie de se faire entendre. Ce qui m'inquiète, c'est que cet état empire bien plus vite qu'auparavant. Érébanne est à deux doigts d'obtenir ce qu'il veut, une totale emprise sur les humains.
Mais je ne suis pas d'humeur à penser à cet infâme personnage. Je me demande comment le temps à pu se tromper sur son compte, comment l'a-t-il jugé prêt pour veiller sur cette terre.
Pourquoi m'a-t-il choisi moi pour ce job ?
J'avais l'impression d'être un enfant pris entre les disputes incessantes d'un père et sa mère en plein divorce. Pire encore, j'ai l'impression de me perdre en chemin. Nous ne pouvons ressentir d'émotions, du moins, pas comme les Hommes. Je ressens l'empathie, la gratitude, la bienveillance, les émotions essentielles à ma fonction première. Je peux par moment me sentir agacé, voire las, mais ces sentiments n'atteignent jamais leur paroxysme comme pour nos protégés. Je suis comme en veille. Seulement, ces derniers temps, Aelah chamboule ce que je suis. Tout à l'heure, à l'intérieur de sa cuisine, je n'ai pas su comment réagir face à sa vulnérabilité. Me trouver devant sa tristesse m'a réellement fait souffrir. J'ai eu l'impression qu'on me déchirait l'intérieur de la poitrine, une sensation que je ne souhaite plus expérimenter. Je me suis donc sauvé, comme un vulgaire voleur, incapable de comprendre ce phénomène.
Cette fille est dangereuse pour ce que je suis...
L'exploit, qu'elle réitère dès que nous sommes proches l'un de l'autre, me détourne de mes objectifs. Je ne peux plus veiller sur elle comme je m'y emploie avec mes autres protégés, à distance. Par le passé, je n'étais pas obligé de quitter la demeure pour effectuer mon travail, mais au fil du temps, mon lien avec elle s'affaiblit et j'en ignore la cause.
Assis à même le sol, je me casse la nuque pour contempler celle qui me cause tant de soucis, tentant de trouver les réponses à mes nombreuses questions. Je la scrute comme une originalité que l'on ne rencontre jamais dans une vie, comme un être abscons, impénétrable. Après tout, Aelah n'est pas comme ces humains, elle est spéciale. Voilà pourquoi nous devons la protéger à tout prix, avant qu'elle ne tombe entre ces mains.
Mais sans doute que c'est cette particularité qui provoque toutes ces interférences...
Fatigué, je me détourne de ma contemplation et m'endors à mon tour, bercé par la respiration sereine d'Aelah.
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