Chapitre 4.1


Nous ne t'oublions pas, Baah'la. Nous te retrouverons, nous t'en faisons la promesse.

Andréa

Je n'éprouve aucun mal à me fondre dans le décor. Personne n'aurait pu m'apercevoir, sortant de la demeure d'Aelah. Devant ce que je considère être chez moi, je me flagelle intérieurement.

— Je suis dans de beaux draps. Je lui ai désobéi en m'approchant de la fille.

Je n'ai pas pu résister lorsque je l'ai vue à l'intérieur du parvis de cette église de malheur et s'émerveiller devant la beauté des lieux.

Depuis toujours, elle m'intrigue. Je me suis attaché à elle durant toutes ces années passées à observer ses moindres faits et gestes. Plus le temps file, plus elle m'attire comme un aimant. Ses cheveux couleur miel, ses yeux aux éclats purs d'un saphir, son sourire qu'elle offre à toutes les personnes qui croisent son chemin, mais surtout, sa personnalité dont la curiosité lui a valu maintes fois des problèmes dans cette société de dégénérés. Puis, aujourd'hui, j'ai remarqué cette bienveillance naturelle qui émane d'elle. Aelah voit le bien partout, alors qu'elle aurait pu m'ignorer comme le reste des croyants.

Je rejoins, soucieux, notre maison qui se trouve à quelques kilomètres à la sortie de Rosairanne. Une demeure protégée par les bois environnants. Il faut dénicher le sentier bosselé qui pénètre dans la fôret, sous la fraîcheur des arbres, et le parcourir durant quelques minutes avant de découvrir un gigantesque portail en fer forgé qui barre l'accès de l'habitation. Entrée qu'aucun d'entre nous n'emprunte, car nous n'en avons pas l'utilité. Cette barrière n'est là que pour dissuader la venue de la population, fidèle ou non, dont la clôture délimite les largesses de notre domaine.

Je n'ai jamais compris pourquoi nous avions besoin d'autant de terrain, même si je dois admettre que les lieux ne manquent pas de charme.

Comme de coutume, je le rejoins dans la serre. Il y passe le plus clair de son temps, aimant cultiver une infinité de plantes, de fleurs diverses, très souvent exotiques, qui pourraient rendre fou de jalousie le plus expérimentés des botanistes. La structure de verre abrite des spécimens d'une grande rareté.

Quand j'ouvre la porte, la chaleur intérieure saturée d'humidité m'agresse.

— Tu es en retard !

Sa voix puissante me donne l'envie de courber l'échine. Pourtant, il n'est pas de ceux qui exercent son pouvoir sur les autres. Il est même d'une grande mansuétude envers son entourage, mais mieux vaut ne pas le contrarier, au risque qu'il n'abatte sa colère comme la foudre tombe sur terre.

— Je suis désolé, Andromalius, j'ai subi un... petit contretemps.

Je me faufile entre les tables plombées par les innombrables pots qui délimitent un couloir végétal luxuriant et m'oblige à me servir de la main pour dégager certaines feuilles sur mon passage.

— Aelah commence à se poser des questions !

—Ça ne sera pas la première fois, répond-il avec légèreté. Cette petite est vive d'esprit, tout comme sa mère.

— C'est différent cette fois, elle cherche son père !

— Oh... je vois. Connaissant Yéléna, la discussion s'est sans doute révélée houleuse.

Quand je le regarde s'affairer sur ses plantations, tout chez lui inspire la dureté. Seule, Oranne lui avait insufflé un semblant de paix, mais elle est morte depuis longtemps maintenant. Depuis, il s'assombrit. Ce n'est plus qu'une âme ternie par la mort.

— C'est pour cela que tu t'es esquivé tout à l'heure en sortant du manoir comme un voleur ? Ne me dis pas que tu as osé lui adresser la parole ?

Sa phrase résonne comme une menace et je déglutis difficilement. Malgré le fait que je suis son égal et qu'il ne peut asseoir son autorité sur moi, il a cet effet-là sur la majorité d'entre nous.

— La situation a changé, l'informé-je, avec prudence. Érébanne l'a contactée. Je viens de la quitter et elle dégageait son aura. Ça ne sent pas bon, André !

Il grogne d'exaspération à cette information. Plus encore, il déteste lorsque nous employons son ancien prénom, celui qu'Oranne utilisait autrefois.

— Tu penses qu'il a compris ? Il n'est pas censé la détecter sous la protection de sa propre Église.

— Je l'ignore. C'est encore trop tôt pour supposer une telle chose.

— Bien... Ne la perds plus de vue et tu as mon autorisation, tu peux désormais rester dans son sillage. Qu'elle te connaisse et te fasse confiance. Si nous la perdons, Érébanne aura un avantage sur nous tous. Baah'la pourrait succomber.

— À qui la faute ! Il a fallu que tu t'entiches de cette humaine ! Qu'est-ce qui t'a poussé à te rapprocher de cette mortelle.

Il soupire, las.

Voilà des dizaines d'années que nous lui posons la question, sans qu'il ne daigne soumettre la moindre réponse digne de ce nom. Il se contente toujours de répéter les mêmes mots ; « Vous ne pouvez pas comprendre tant que vous ne l'expérimentez pas vous-même ». Ce qui a le don de nous énerver.

— Qu'est-ce qui te pousse à te rapprocher d'Aelah ?

Je recule instinctivement d'un pas, comme s'il venait de me porter un coup.

Je ne saurais pas me l'expliquer, je n'y comprends rien moi-même. Quant à lui, il m'offre un sourire compréhensif et dépose sa main sur mon épaule.

— Je te souhaite bien du courage. Tu ignores dans quoi tu mets les pieds, surtout que tu me trouveras sur ton chemin.

Encore une fois, il tente de m'intimider, moi, Andréalphus !

— Ne perds pas le devoir qui nous incombe depuis l'avènement des Hommes, reprend-il avec sévérité.

— Tu me fais bien rire avec tes boniments. Tu as la mémoire courte. Tu parles d'une hypocrisie !

— Je ne veux tout simplement pas que tu commettes les mêmes erreurs que moi, Andréa.

— Ne t'en fais pas pour moi. Je sais me contenir.

Exaspéré de subir ses sermons, je le quitte sans même le saluer pour rejoindre le manoir. Il me ferait presque regretter les grenouilles de bénitier. À l'intérieur, je m'installe lourdement dans le canapé du petit salon qui me fait penser à une représentation d'une page de catalogue inspirée de la renaissance. Mes fesses s'enfoncent dans le velours rouge brocart tandis que Damabiah apparaît malicieusement et se dandine devant moi.

— Alors, mon beau chéri ! Tu as du nouveau ?

Elle se pose sur mes genoux et m'embrasse sur la joue. Je la repousse sans ménagement et elle s'écroule à l'autre extrémité du canapé, scandalisée. Je n'ai pas le cœur à suivre ses délires enjôleurs.

— Eh bien, tu es de mauvaise humeur ! Tu n'étais pas si difficile avant. Dois-je te rappeler les délicieux moments que nous nous sommes accordés durant ces derniers siècles. C'est cette fille qui t'éloigne de moi ? C'est ça ?

— Fiche-moi la paix, Aby !

Vexée, elle s'extirpe du moelleux fauteuil, boudant comme une petite fille.

— Tu sais ce qui arrive à ceux qui se mélangent aux humains ! Érébanne vous persécutera et il la tuera.

— Cesse de dire des conneries, il n'y a rien entre cette fille et moi ! Je ne fais que mon boulot.

— Puis, tu sais que je suis ton alter ego, celle qui est faite pour toi. Nous pourrions être heureux ensemble.

Depuis toujours, je me rebelle contre ces règles archaïques. Nous sommes liés, certes, depuis le commencement, à travers le temps et les univers. Mais, dernièrement, je me sens déconnecté de toute cette existence.

— J'ai du travail ! lancé-je en me levant.

Tout m'agace. Je n'ai qu'une envie, m'évader de cette maison de dingues.

Dehors, j'utilise le pouvoir des Ailes d'un claquement de doigts. Il suffit d'une petite étincelle pour embrasser la matière. Une énergie rutilante apparait entre mes mains que je mêle à celles les plus sombres. Elles flirtent ensemble, se frictionnent, au point qu'elles illuminent, formant un trou de ver suffisamment grand pour que je puisse y pénétrer. Quand je le passe, je me retrouve sur la toiture de la demeure d'Aelah.


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