Chapitre 3.2
Je me retourne pour observer sa réaction, m'adossant au plan de travail. Il est surpris et ne s'attendait sans doute pas à une telle invitation.
— Je ne sais pas si c'est une bonne idée. Je n'ai pas envie de te créer d'ennuis si l'on me trouve ici. Puis, tu invites à dîner un étranger ? T'es suicidaire, c'est ça ?
Je lâche un rire sans éclat. Il n'a pas tout à fait tort.
— Faut croire...
À dire vrai, je déteste être seule. La solitude me pèse, car elle m'oblige à penser à ma vie, mes blessures, mes questions sans réponses, à ma mère, mon père. Je finis à tous les coups déprimée, le moral plus bas que les talons. Et, même si je ne le connais pas, il ne me semble pas pourvu de mauvaises intentions.
Puisqu'il est là, je me suis dit...
Ma déception doit se lire sur mon visage, car il se gratte la tête, mal à l'aise.
— Écoute, j'ignore ce que tu traverses, mais tu dois te montrer plus prudente. Cette confiance aveugle que tu accordes au gens n'est pas saine.
Il se lève, replace la chaise sous la table en bon invité tandis que je m'enferme dans un mutisme incontrôlé. Un vide intense qui ne m'a jamais paru aussi difficile qu'en cet instant.
— Je te recontacterais si j'ai du nouveau. En attendant, tente de te tenir tranquille, ok ? Tu me sembles un peu perturbée, ces derniers temps.
Il s'en va, me laissant à mes pensées. C'est lorsque la porte claque qu'un détail me frappe.
— Il a bien dit ces derniers temps ?
Prenant appui sur le plan de travail sous la fenêtre de la cuisine, j'examine la rue, mais je ne l'aperçois nulle part. Andréa a déjà disparu.
Puis, même si je l'aurais voulu, je n'aurais pas pu le héler sans que cela n'attire l'attention d'une tierce personne. Prise au piège de ma propre maison, je lâche une exclamation lasse. Aujourd'hui, rien ne me semble plus ardu que de me montrer en bonne fille pieuse. Mes journées se ressemblent, se répètent sans cesse depuis aussi loin que je me souvienne.
Mis à part ma scolarité où j'ai pu me mêler à la communauté, depuis que je suis en âge de me marier ou de travailler, je vis recluse dans notre demeure. Personne ici n'est assez fou pour s'intéresser à une jeune fille de ma condition, parce que je ne porte pas le nom de ma Maison, parce que je ne peux pas exercer de métier au sein de notre ordre. Je ne suis pas considérée comme une femme de mauvaise vie, mais je pense que les fidèles préfèrent me garder à l'écart et j'en ai enfin compris la raison ; mes parents. Parfois, je parviens à me rendre utile, lorsque l'Église requiert l'aide de bénévoles. J'en profite toujours, heureuse de sortir quelques heures de chez moi.
À la maison, je m'occupe du ménage, des repas, quelquefois du jardin en compagnie de ma grand-mère et je prie. Puis, je me distrais en lisant, mais mes lectures sont souvent similaires, étant donné que les grands pontifes des siècles passés ont prohibé tout ce qui ne respecte pas nos apophtegmes. La musique demeure tolérée, tant qu'elle se conforme à nos principes. En fait, c'est l'art en général qui s'est plié à notre mode de vie. L'unique écran de notre maison ne sert que pour les communiqués importants délivrés par les différentes parties du Haut clergé, des annonces précédées par les coups de cloches du campanile de Rosairanne. Personne ne peut donc les manquer. Le seul réel hobby que j'affectionne c'est la couture. Comme je l'ai déjà souligné, j'ai été une enfant très turbulente, au grand dam de mamina qui s'exaspérait de devoir recoudre mes habits dès que je revenais de l'école.
On octroie aux habitants un certain nombre d'ensembles, de vêtements adaptés aux différentes saisons. Ceux que l'on porte quotidiennement, ceux pour les nuits, ceux pour les messes, ceux pour les jours et bien entendu ceux relatifs à notre condition que l'on soit étudiant, travailleur ou au foyer. Nous devons en prendre soin. Alors au fil du temps, ma grand-mère m'a dirigée vers la couture pour que je répare moi-même mes bêtises. Je me révèle plutôt douée au point que, de temps à autre, le Père Chris m'envoie des soutanes pour restaurer les broderies qui s'abîment au fil des rituels.
Mais ce soir, je n'ai plus le cœur à rien, trop lourd pour apprécier un quelconque divertissement. Je me prépare alors un repas simple que j'avale sans aucun plaisir et nettoie la vaisselle que je laisse sécher sur un torchon. Puis, je me rends dans ma chambre et m'installe dans mon lit, sous la fraîcheur du drap. Hypnotisée par la voilure de la fenêtre qui virevolte au gré de la brise, mon imagination vagabonde.
Je ne possède aucune photo de mes parents, donc je ne peux que m'inventer leur apparence. Je me demande comment ils ont vécu, s'ils ont été heureux en couple. Je m'interroge à nouveau sur ce qu'a pu ressentir mon père lorsque ma mère est morte, quand il s'est senti obligé de m'abandonner. Je liste les raisons pour lesquelles il m'a laissée à mamina, plutôt que de m'emmener avec lui. Je me questionne sur la vie que j'aurais eue si j'étais devenue une infidèle.
Avec étonnement, je me prends à penser à Andréa, dont le prénom résonne dans mon esprit avec une incroyable vivacité, espérant qu'il tiendra parole, qu'il comblera enfin le vide béant qui demeure dans ma poitrine. C'est mon seul espoir.
Les heures passent, défilent, sans que le temps ne retienne les minutes monotones de mon existence. Je finis par m'endormir, écœurée par mon impuissance.
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