Chapitre 2.1
Dieu atteindra ton cœur et tu le reconnaîtras comme tel
Ne t'en approche plus ! retentit une voix qui m'extirpe de mon profond sommeil.
Je me réveille en sursaut, de la sueur perle sur mon visage. C'est la première fois que je fais un rêve si intense. J'entends encore cette voix résonner dans mon esprit, tant elle me semble toute puissante. J'ai l'impression que le Seigneur lui-même vient de m'intimer cet ordre.
Et si c'était bel et bien lui ?
Je me jette hors de mon lit et attrape le scapulaire patientant sur ma table de chevet. Un objet religieux composé de deux carrés d'étoffes où une représentation de Dieu orne l'un tandis que l'autre arbore une belle illustration de la Vierge Marie. Les deux icônes, reliées entre elles par deux cordelettes qui passent sur les épaules, trouvent place entre les omoplates et la poitrine. Notre Seigneur veille ainsi sur notre dos, comme pour nous rappeler son omniscience, ainsi que notre petitesse face à sa grandeur, alors que le Saint dévolu à la Maison se porte sur le cœur, pour créer le lien entre l'humain et le divin.
Notre illustre lignée, les Clarisse, est la seule à pouvoir s'enorgueillir d'arborer fièrement le blason de la sainte Vierge. Mes ancêtres ont voué une foi inébranlable à notre Seigneur et leurs actes charitables leur ont valu ce privilège, il y a de cela des siècles. Pour les autres Maisons, chacune représente l'image d'un Saint ou d'une Sainte comme armoiries généalogique. Un emblème sous lequel nous pouvons nous rallier, même si au sein d'une même famille nous ne portons pas tous le même nom. Nous sommes supposés le porter tout au long de la journée sous nos vêtements et, encore une fois, j'ai enfreint les règles en l'oubliant ce matin tant je me suis hâtée pour ne pas être en retard.
Je le place entre mes mains jointes, en signe de prière, et m'agenouille aux pieds du lit. Si dans sa grande bonté le Seigneur m'a fait l'immense honneur de me guider, je me dois d'accomplir mon devoir comme une bonne religieuse.
— Devant toi, je m'agenouille, car je t'ai entendu. Alors, ta parole sera respectée. Je crois en ton amour, soit mon berger, toi qui veilles sur ton troupeau égaré, je me place entre tes mains pour que tu me remettes sur le droit chemin.
J'esquisse le signe de croix, le scapulaire entre ma main virevolte dans mon geste.
Au même moment, la porte d'entrée claque et les pas de mamina me rejoignent à l'étage, où se trouve ma chambre. Elle frappe et entre sans attendre mon invitation.
— Oh ! Je vois que tu rattrapes ton retard de messe. Tu te sens mieux ?
Mes yeux pétillent d'excitation tant je peine à croire à ce qu'il vient de se produire. Je ne trouve pas les mots et me contente de me relever fébrilement. Le plancher craque sous mes pieds, rompant le silence qui s'est installé dans la pièce.
— Eh bien ? Tu as perdu ta langue ? Voilà qui n'est pas commun.
— Je... je crois que j'ai reçu un message du Tout-Puissant, mamina.
Son visage rondelet, saisi soudainement de stupeur, rosit en entendant cette révélation.
— Que dis-tu ?
Je lui explique en détail les évènements, de ma rencontre avec Keller jusqu'à mon réveil. Mamina écoute mes paroles avec avidité et lorsque j'ai terminé, elle bondit de mon lit, sur lequel elle était assise, comme une furie.
— Il faut tout de suite appeler le Père Chris !
Son pas excité dégringole les marches quatre à quatre et elle se rue sur le téléphone.
De ma chambre, je perçois l'exaltation de sa voix. Je descends à mon tour, encore sous le choc. Soudain, tout me parait flou, je ne discerne plus ma grand-mère en pleine conversation passionnée avec le prêtre de notre église, je ne me rends pas compte que mes pas me portent jusqu'à la cuisine où je me sers spontanément un verre d'eau. Je m'installe à table, sans même prendre une gorgée et me contente de tenir mon verre entre les mains, fixant la fenêtre ornée de rideaux de dentelle qui donne sur le perron de notre maison.
Troublée, je sursaute lorsque mamina m'adresse la parole.
— Le Père Chris arrive dans l'heure pour recueillir ton témoignage et vérifier son authenticité, m'informe-t-elle survoltée.
À l'instant, je peux la comparer à une groupie de Dieu tant son amour pour lui est démesuré, presque exagéré. Je suis certaine qu'elle pleurera quand le prêtre arrivera chez nous, dévorée par l'émotion de ce qui se produit.
— Peut-être était-ce pour cela que tu n'étais pas bien tout à l'heure ? Il est sûrement éprouvant de recevoir le Seigneur en son sein.
Je ne lui réponds pas.
Jusqu'à l'arrivée de l'homme d'Église, elle me fait l'effet d'une demoiselle amourachée tant elle rayonne de bonheur, s'affairant à confectionner des biscuits frais pour notre invité.
Pour ma part, je me sens détachée de mon environnement, sans parvenir à me reconnecter à la réalité. Les questions fusent sans que je ne puisse endiguer ce flot torrentiel qui me submerge et me noie sous les interrogations.
Ma rencontre avec Keller y est certainement pour quelque chose, sans pour autant en avoir la certitude.
C'est la première fois que je lui parlais et, coïncidence, une voix impérieuse m'ordonne de ne plus m'en approcher... lui, une personne sans foi. Cela ne peut être le fruit du hasard.
Instinctivement, mes doigts entourent mon avant-bras. Par chance, la manche de ma chemise cache son numéro de téléphone. Mamina ne verrait pas d'un bon œil cet acte indécent.
Dans notre communauté, on n'excuse pas de toucher une fille à laquelle on n'est pas fiancé. C'est interdit. D'ailleurs, se serrer la main comme dans l'ancien temps n'est plus permis. On se salue, entre sexes opposés, d'un signe amical de tête.
L'odeur des gâteaux et du café fraîchement coulé me plonge un peu plus dans ma rêverie. Les bruits de casseroles ne me dérangent même pas. Tout me semble irréel et me provoque un doute.
Et si ce n'était qu'un leurre de mon imagination ? Et si tout cela n'était qu'une illusion ?
La peur de me tromper sur cet avertissement me tenaille. Je ne me vois pas déplacer l'Église pour une erreur de jugement. Ce qui, à n'en pas douter, alimenterait les commérages du village.
Je ne sors de ma torpeur que lorsque l'on frappe à la porte.
Mamina me sermonne pour que j'accueille avec elle le prêtre et me tire sans ménagement jusqu'à l'entrée. Elle lui ouvre avec la même fougue.
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