chapitre 2

J'étais sorti du désert. Les tourments du sable étaient derrière moi. Pourtant, ma liberté avait un goût amer. J'étais libre, mais j'étais seul. Dans cette vallée le désert n'avait plus aucun pouvoir sur moi. Il ne pouvait plus faire peser sur moi son oppression telle une épée de Damoclès. La brûlure du sable avait disparu. La fournaise du désert s'était tue. Chassée par la brise matinale, elle ne conservait son ardeur que dans mes souvenirs. Ma vue n'était plus limitée à une étendue infinie de dunes. Le sable, traitre, ne pouvait plus m'atteindre.

La nature reprenait ses droits. La vie florissait. Ne pouvant pousser sous le sable, l'herbe prenait sa revanche en recouvrant l'entièreté de la vallée de sa verte couleur. Dès que j'eus retrouvé mes esprits, je tentai de retrouver la moindre trace de l'homme qui m'avait sorti du désert.

A une époque qui n'existe plus que dans mes souvenirs, mon père m'avait appris à suivre une piste. Alors, suivant ses précieux conseils, je cherchai à retrouver la trace de cet homme. Aucune herbe n'avait été foulée. Son harmonie n'avait été brisée par aucun pas d'homme comme de bête. Rien ne semblait témoigner de son passage.

Son existence même était remise en question par la nature. Si son chemin l'avait conduit à arpenter la même route que moi, alors je n'étais pas capable de le voir. Jamais mon père ne termina de m'apprendre. Il m'avait promis que le jour suivant il m'apprendrait à chasser. Pourtant, le lendemain il avait disparu. Jamais je n'ai revu mon père.

La solitude demeurait toujours ma seule compagne. Mon errance restait solitaire. Rien ne venait égayer ma route. Aucun oiseau ne chantait dans le ciel azur. Aucun animal, même le petit, n'accompagnait mes pas. Personne n'était à mes côtés pour me tenir compagnie. Abandonné de tous, je m'égarai, brisé, dans cette plaine infinie.

La région semblait inhabitée. Aucun indice, si mince soit-il ne trahissait la présence d'une quelconque forme de civilisation. Ma situation ne semblait pas vouloir s'améliorer. J'étais perdu, lorsque mon attention s'éveilla. Je ne savais pas ce qui avait pu l'attirer, mais j'ai prêt à tout pour quitter ma solitude. Je scrutai chaque recoin. Chaque touffe d'herbe. Chaque arbuste. C'est alors que je le vis. L'herbe se raréfiait à son contact. Sa couleur palissait. De vert, le paysage devenait brun. La terre apparaissait. Je m'approchai. Ma foulée s'allongeait à chaque pas. Cette terre ne pu dissimuler ses secrets bien longtemps. Elle était parsemée d'empreintes. D'empreintes de pas.

Je suivis cette route. Si elle existe, c'est pour une raison, me dis-je, pour me rassurer. Rien ne venait troubler l'horizon. D'ordinaire apaisant, il n'était plus qu'une barrière. Un mur qui me privait du monde.

Enfin, quelque chose se profila à l'horizon. Une silhouette, massive, apparut. C'était une ville. Certes, elle n'était pas imposante par sa taille, mais sa présence était bien suffisante. Mon errance semblait arriver à son terme. Je n'étais plus obligé de fuir. Mon passé ne pouvait pas me hanter en ce lieu. Si les habitants m'en donnaient la permission, je pourrais m'y établir. Depuis trop longtemps, aucun lieu en ce monde n'était mon foyer. Peut-être, cette ville en serait un pour moi.

Pour la première fois depuis une éternité, la vie se montrait généreuse à mon égard. Pour la première fois depuis bien trop longtemps, j'avais une raison de vivre. Cette ville avait donné un sens à ma vie. C'était la fin de ma route. Le chant des oiseaux résonnerait de nouveau dans mon cœur. La douce symphonie de la joie reviendrait bercer mes jours et mes nuits. Cette ville était un nouveau départ. C'était l'occasion de faire table rase du passé. Tout serait parfait.

J'était du moins ce que je croyais. A mesure que je m'en approchais, ce berceau de la vie se transforma. Il devint le réceptacle de la mort. En l'espace d'un instant, tous mes rêves furent balayés. Le destin se montrait cruel de nouveau. Ce fut non sans plaisir qu'il me dévoila la vérité. Lorsque cette réalité s'imposa à moi, ce fut comme si on retirait un tissu d'illusions pour me montrer la triste vérité.

La ville n'était plus qu'un amas de ruines. On aurait dit qu'une tornade l'avait traversée, la ravageant encore et encore jusqu'à ne plus laisser que les fondations. Tout était détruit. La terre et la pierre étaient si étroitement liées que je n'aurais su où finissait l'une et où commençait l'autre. Chacun de mes pas s'accompagnait d'un concert de craquements de bois et de verre pilé. Les toits avaient été balayés. Seules quelques poutres témoignaient encore de leur existence. Les murs de briques étaient percés de trous. Certains étaient de la taille de ma main. D'autres au contraire, étaient imposant. On aurait dit que les pierres avaient été arrachées. Ce qui restait de ces bâtisses était noircies. Les flammes, voraces, avaient fait ici un festin sans précédent. Du bois, seuls restaient des cendres. Les pierres étaient fendues.

La ville semblait vidée de toute vie. Elle faisait tâche, tant elle respirait la mort dans un paysage aussi idyllique. Personne sans le voir de ses propres yeux n'aurait pu croire Que le joyau couronnant cet écrin de lumière était si enlaidi par les ténèbres du monde.

La ville était morte. Quelque chose, ou quelqu'un, avait mit un terme à son existence. Rien ne me retenait plus. Je n'avais plus rien à y faire. Je n'avais plus d'eau ni de nourriture. Le seul intérêt qu'aurait pu présenter ce lieu n'était plus. Repoussé par la vie, j'allait accueillir la mort comme une amie. Elle mettrait un terme à ma lente et douloureuse agonie. J'allais abandonner, lorsqu'un rien retint mon attention.

Ce n'était rien, juste une sensation, pourtant, pourtant j'étais persuadé qu'elle était vraie. Quelque chose dans ce lieu de désolation semblait manquer.

J'avais beau regarder partout, examiner le moindre recoin, la moindre pierre, son sens continuait de m'échapper. Je me perdis dans les tours et détours de la ville. Pris de folie, je me mis à courir. Je devais savoir. Je ne pourrais vivre seul un instant de plus. Pourtant la mort se refuserait à moi tant que je ne saurai pas.

C'est alors que la vérité m'apparut. Elle semblait à la fois évidente et dissimulée. Comment avais-je pu passer à côté. Ces pierres manquantes, ces vitres brisées, et ces toits envolés, n'avaient pas seulement été emportés par un évènement naturel. Quelqu'un les avait pris. Au cœur de la ville, je trouvai mes réponses.

Les ruines de la ville n'étaient pas vides à cause de la destruction. Non, les débris avaient été réutilisés. Serrés les uns contre les autres, se dressaient quelques abris.

Il y avait donc des survivants. Ils avaient à n'en pas douter dresser ses cabanes en toute hâte. Ils s'étaient tous rassembler, tous unis dans un même effort de reconstruction.

Les abris étaient plus dressés que construits, toutefois ils offraient un toit à la poignée de rescapés. Constitués de planches attachées avec de la simple corde, et de pierres souder avec de la boue séchée, ils étalaient la volonté de survie des habitants.

A mon approche, les rares curieux qui m'observaient, tentant de se fondre dans l'ombre disparurent. Ils fermèrent tous leurs portes. Les fenêtres furent bouchées par des planches, les trous consolidés. Les abris de faisaient forteresses de fortune contre ma venue. J'entendais les adultes ordonner aux plus jeunes de se cacher. Tous me fuyaient. Tous avaient peur de moi. Sans que j'eu le temps de réagir, ou même de comprendre, la ville devint plus silencieuse encore qu'auparavant.

J'avais le sentiment d'être maudit. La solitude était mon fardeau. Je n'étais qu'une ombre, une ombre errante. Même en présence d'autres humains, j'étais seul. Personne ne supportait ma présence. A ma vue, tous me rejetaient.

Les rues étaient désertes. Aucune aide ne viendrait de l'extérieur. L'heure avait sonné, l'heure de prendre en main mon destin. Je n'étais pas un pantin, et j'en avait plus qu'assez que tout le monde me traite comme une simple marionnette devenue indésirable. J'en avait assez de sentir m'échapper toujours plus à chaque instant le contrôle de ma vie. Tous pouvaient de fuir, mais je n'allai pas les fuir pour autant.

Je frappai de toutes mes forces à chaque porte. Je ne m'arrêtai que lorsqu'elles semblaient sortir de leur logement, avant de passer à la suivant. Personne ne me répondit. Au milieu de la rue, je lançai un ultime appel de détresse :

« Y a-t-il quelqu'un ici ? Y a-t-il quelqu'un pour me parler ? Je ne suis pas venu ici pour vous causer des problèmes. Je ne suis qu'un voyageur perdu. J'ai traversé le désert et la plaine avant de trouver cet endroit. Je vous en prie, j'ai besoin de votre aide. »

Une fois encore, aucune réponse ne franchit le seuil des portes. J'étais tombé à genoux, épuisé. Personne ne voulait m'aider.

J'allais m'effondrer encore davantage, lorsque j'entendis un bruit. C'étais le grincement d'une porte. Mon regard ne rencontra rien. Je crus avoir rêvé. Pourtant, j'étais si sûr que ce que j'avais entendu était réel.

Un cri retentit dans l'air. Au coin d'une bâtisse, une jeune fille tentait de se dégager de l'emprise de son père. Il la retenait par le bras. Il lui criait de rentrer, de ne pas m'approcher.

Elle réussit à se dégager, et se mit à courir dans ma direction. Elle arriva à temps pour me soutenir avant que ma tête ne vienne heurter le sol. Une question réussit à émerger de mon esprit embrumé :

« Pourquoi ? Pourquoi tout le monde a-t-il peur de moi ? »

Sa réponse, quelques mots, arrachés au silence dans un murmure me glacèrent le sang. Prononcés d'une voix tremblante, leur écho résonne encore en moi :

« Les Elus étaient des voyageurs, comme vous, et ils ont brulé mon village. »

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