chapitre 15
Les dernières lueurs du jour disparurent. Les ténèbres nocturnes furent les seuls témoins de ma solitude. Je l'avais perdue. Jamais plus je ne verrais le bonheur inonder son visage avant de se fondre dans son sourire. Jamais plus je n'entendrai la plus douce des mélodies, celle de son rire. Jamais plus je ne me perdrai dans les sombres abimes de son regard.
Même la mort ne pouvait masquer sa beauté. La flamme qui l'animait était éteinte. Mais son souvenir brûlerait pour toujours en moi. Tel le plus ardent des brasiers, il illuminerait mon cœur de sa lumière. Elle m'avait fait devenir plus qu'une ombre. Jamais elle n'avait cessé d'avancer. Jamais elle n'avait jeté un regard en arrière. Elle n'aurait pas voulu que sa mort me brise. Je devais continuer ma route. Je lui devais de continuer de vivre. Les ruines qui nous entouraient ne devaient être ni son tombeau ni le mien.
Lorsque je quittai l'ombre de la destruction, je l'emmenai avec moi. Elle méritait de reposer dans un lieu digne de ce nom. Elle méritait que le monde se souvienne d'elle. Elle méritait que le monde sache qui elle était. Elle méritait que le monde sache pourquoi elle avait vécu et pourquoi elle était morte.
Mon chemin resta solitaire neuf jours et neuf nuits. J'étais le seul à transporter son corps. J'étais le seul à vivre dans un monde de mort. Je commençai à croire que plus jamais je ne verrai un autre être vivant. Dans le ciel, les oiseaux de mort décrivaient des cercles autour de moi. Ils sentaient l'odeur de la mort. Le matin du dixième jour, ils disparurent, chassés par la vie comme la nuit est chassée par le jour. Je n'étais plus seul.
Un groupe de personnes apparurent, ils déchirèrent le voile de l'horizon. Ils furent rejoints par d'autres. A chaque pas, ils étaient plus nombreux. Le groupe devins un peuple. Lorsqu'ils nous virent, ils dévièrent de leur route. Ils avaient répondu à l'appel. Ils avaient parcouru toutes les villes et tous les villages de cette région du monde. Ils venaient de tous les horizons. Quand ils nous virent, ils comprirent qui nous étions.
Les nouvelles du combat s'étaient répandues comme une trainée de poudre. Certains avaient vu le champ de bataille. Ils avaient vu les corps. Ils avaient récupéré ce qu'ils pouvaient. Ils savaient reconnaître l'un des nôtress. J'avais l'impression de revivre ma première rencontre avec les rebelles. La seule différence était qu'à l'époque les rebelles m'avaient guidé, alors que ce jour-là les gens en face de moi avaient besoin d'un guide. Ils avaient besoin que je les guide.
Je les conduisis vers le seul lieu sûr que je connaissais. Je les conduisis à notre camp. Ils avaient répondu à l'appel, car ils n'attendaient qu'un signe avant de se soulever contre Eux. Je savais que je devais leur montrer la vérité. Ils devaient voir pour avoir quelque chose en quoi ils pouvaient croire. Ils avaient trop entendu de mensonges dans leur vie pour que des paroles seules puissent les convaincre.
Lorsqu'ils virent la vérité, je sus que devant moi, se tenait l'avenir de la Résistance. Chaque matin en me réveillant, je pensais à elle. Chaque jour, je voulais organiser une cérémonie d'enterrement digne d'elle. Pourtant, chaque jour, il fallait que je règle un nouveau problème. Chaque soir, avant de m'endormir, son souvenir venait me hanter, comme un esprit qui attend de pouvoir accéder au repos éternel. Chaque soir, je m'endormais avec le regret de ne pas avoir pu tenir la promesse que je m'étais faite.
Un jour, l'un des nouveaux rebelles vint me voir. Je pensais qu'il voulait que je l'aide à régler l'un de ses problèmes, mais il n'en était rien :
"Chaque jour, vous faîtes tout pour nous. Chaque jour, vous réglez nos problèmes. Je vois bien que vous n'avez pas le temps de vous occuper de régler celui qui vous tourmente à chaque instant. Dites-moi quoi faire, et je vous y aiderais. Je vous dois bien ça."
Ce jour-là, personne ne vint me parler de ses problèmes. L'homme qui était venu me parler, Luc, il s'occupait d'eux. Ce jour-là, j'eus enfin le temps de préparer l'enterrement. A la tombée de la nuit, Luc me rejoignit, et il m'aida à fabriquer son cercueil. Elle aurait voulu qu'il soit le plus sobre possible. Mais, je ne pouvais me résoudre à ce que sa dernière demeure soit une simple caisse de bois. Le lendemain, dès l'aube, je creusai sa tombe. Cette tâche me prit la journée, car je refusais toute l'aide que l'on me proposa. C'était quelque chose que je devais faire seul.
Au crépuscule, tout le monde me rejoignit sur la place où la fosse funéraire était creusée. Le silence se fit durant de longs instants. Je voulais que son souvenir ne disparaisse pas.
Mon récit étant achevé, je me tus. Je guette leur réaction. Je viens de leur raconter l'histoire de ma rencontre avec Vivianne, et la brève tranche de vie que nous avons partagée.
"Une question me taraude. Puis-je vous la poser ?" demande Luc.
"Tu peux." dis-je.
" Quel est le nom qu'elle vous a donné ?"
-" Merlin."
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