chapitre 13
Les flammes rougeoyaient dans les ruines. Leur crépitement, clameur infernale emplissait mon âme de peur. Autour de nous les cavaliers de la mort rôdaient toujours. Ils piétinaient les corps. Ils brisaient les os avec une effroyable précision. Leur ouvrage barbare me répugnait au plus haut point, mais il me gardait éveillé. Je savais qu'en ce lieu, le sommeil rimait avec la mort.
De ma bouche, sortait un sérum écarlate. Le sang avait coulé à flots. Les sillons dans le sol se faisaient veines de la terre. Une odeur de viande grillée hantait l'air. Des corps calcinés jonchaient le sol. Ils avaient été mes amis, ou mes ennemis. Le brasier consume tout ce qui se dresse sur son chemin. Ma vue était troublée. La fumée sombre qui se dressait comme une muraille infranchissable commençait à emplir mes yeux, et les enflammer avec son dard ardent. Le ciel flambait. Reflet du carnage, il se parait de toutes les couleurs des flammes de la mort. Cette terre désolée, me parut être l'antichambre de l'enfer.
Durant ce qui me sembla une éternité, mon monde se réduisit au craquement des os, et au crépitement des flammes. Enfin, les cavaliers s'en allèrent au loin. Ils entrainèrent d'une main de fer leurs montures, avec une rage telle que même ces impitoyables destriers poussèrent un hennissement de détresse. L'écho de leur galop effréné résonna dans l'air au supplice. Le martèlement implacable de leurs sabots se glissa dans nos têtes et dans nos cœurs, nous glaçant le sang. Je ne souhaitais pas savoir sur quelle contrée s'était portée leur soif de destruction, et pourtant, je ne pouvais cesser de voir le monde s'embraser dans leur sillage dès que je fermais les yeux.
Après leur départ, je me mis à ramper comme un ver sur le sol, en quête de survivants. Mais mes efforts furent vains. La terre était rouge. Les corps n'étaient plus que des amas informes de matière brisée. Les rares visages qui par miracle étaient encore intacts montraient toutes les facettes d'effroi dont l'homme peut faire preuve. Ces sculptures morbides eurent raison de ma volonté, et firent couler mes larmes. Quelques perles égarées, depuis si longtemps refoulées.
Dans mon périple, je m'écorchai sur des tessons de verre colorés, vestiges d'un antique vitrail, qui, fut un temps, ornait la bâtisse. Des débris de pierres parsemaient le sol. Leurs arrêtes tranchantes me firent endurer milles supplices. Ces rocs provenaient des blanches colonnes, ou bien de la voute qui, par le passé, s'élevait comme un dôme céleste. Autrefois, cette arche divine était si blanche que quiconque la regardait trop longtemps était condamné à la nuit d'une vie aveugle. A présent, elle était noire, assaillie par les cendres. Ma chair fut labourée de milles entailles, percée par mille pointes cruelles.
Alors que je trouvai la force de me relever, je surpris une silhouette familière, prostrée dans la pénombre du crépuscule. Je pouvais l'entendre supplier, hurler mon nom dans un cri muet. Avec douleur, fournissant un ultime effort, je vins m'effondrer à ses côtés. La cascade ébène de sa chevelure se fondait dans l'éclat pale de sa peau nue. L'harmonie de son corps était brisée. Son charme était rompu par l'océan écarlate qui l'entourait, telle une île au sein de la tempête. Elle reposait ainsi, dans son sang, tel un diamant dans son écrin de soie vermeille. Elle endurait d'infinies souffrances dans sa lutte acharnée contre la grande faux qui met fin à toute vie. Elle repoussait l'ombre implacable de son trépas. Son râle d'agonie, semblable à un grognement animal, faisait trembler les morts eux-mêmes. Je pensais avoir pleuré toutes les larmes de mon corps. Pourtant, un torrent salé se mit à ruisseler sur mon visage, et se vint se perdre dans la mer sanglante qui nous entourait. Elle murmura au creux de mon oreille sa dernière volonté, l'ultime requête d'un ange mourant tombé parmi les hommes :
" Laisse-moi voir le visage qui se cache derrière cette capuche. Laisse-moi voir le visage de l'homme que j'aime. "
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