chapitre 12
Les soldats qui reçurent notre cadeau de bienvenue plièrent le genou et s'écroulèrent au sol. S'ils n'avaient pas tous succombé, en revanche, ils étaient dans l'incapacité de répliquer. Notre triomphe fut de courte durée. En effet, la débandade dans les rangs ennemis ne dura que quelques trop brefs instants. La colère fit dans leur esprit place à la stupeur. Ils chargèrent.
La piétaille n'était pas de noble lignage. Aucun d'entre eux n'était armé de l'un des mystérieux bâtons de mort. Seuls les cavaliers semblaient posséder ces abominations. Les simples hommes de troupe étaient équipés d'armes similaires aux nôtres. Pour la plupart, ils étaient des paysans qui, enrôlés de force dans l'armée, avaient troqué la fourche pour la lance. Les bûcherons maniaient leur cognée pour fendre des crânes au lieu d'abattre des arbres.
Les cors résonnèrent dans un écho infini. Les deux camps annonçaient l'absence de toute forme de pitié. Nous lançâmes à notre tour l'assaut.
Le choc de la rencontre se répercuta dans chaque partie de nos corps. Le sang coulait à flots alors que l'affrontement venait à peine de commencer. Des rivières écarlates se formèrent à nos pieds. Lorsque l'un des belligérants, peu importe son camp chutait, il était aspiré par le courant. Le sol poisseux était traitre. La moindre crevasse devenait une nécropole.
L'écœurement ne tarda pas à nous gagner. L'excitation du combat avait quitté même les plus farouches d'entre nous. Nous étions bien loin des récits héroïques que l'on nous comptait étant petits. La guerre est le plus répugnant des charniers. Je ne tirais aucune gloire à prendre la vie d'inconnus. Aucune cause ne devrait être supérieure à une vie. Dans les légendes, la guerre était un acte honorable qui servait une noble cause. Mais la réalité était injuste. Nous n'étions plus des êtres humains. Juste des animaux qui se battaient pour vivre encore un peu.
Mon bras se levait et s'abattait par instinct. L'homme qui s'effondrait au sol devant mes yeux, qui était-il ? Je ne saurais dire s'il était mon ennemi ou mon allié. Nous n'étions plus que des bêtes couvertes de sang lorsque nous parvînmes à faire une percée dans leur formation.
Le vent d'Est se leva. Il apportait les ténèbres dans l'orage. Les cavaliers arrivaient. Nous savions que s'ils parvenaient à atteindre le champ de bataille avant que nous n'ayons pu pénétrer l'édifice, tout serait perdu. Le vent d'Est s'était levé, et il s'apprêtait à nous emporter dans son sillage. Son noir panache allait nous balayer.
Notre rage de vaincre se fit plus intense encore si cela était possible. Les coups pleuvaient de toutes parts. Ma vision était emplie de l'argent des lames et du rouge sanglant qui s'écoulait de nos plaies.
La horde ennemie se replia. Elle se réfugia dans l'ombre des hautes tours du lieu saint. Les survivants de notre armée se regroupèrent. Je constatai avec soulagement que celle qui faisait brûler dans mon cœur le feu de la passion était en vie. Ce carnage n'avait pu apposer sur elle la marque du sang.
Les quelques fantassins adverses qui s'accrochaient encore à la vie furent décimés dans l'embrasure de la porte. Ainsi, nous pûmes pénétrer le lieu qui avait coûté tant de vies. Nous devions trouver dans les plus brefs délais le moyen d'envoyer un message à toutes les populations de ce monde.
Chaque recoin, chaque pièce du sanctuaire fut fouillée. En vain. Il n'y avait aucun lieu secret. Aucune cache dans laquelle nous aurions pu trouver ce que nous cherchions. Les plans que nous avions récupérés n'indiquaient pas l'endroit qui cristallisait tous nos espoirs. Seule une phrase y avait été inscrite :
"La foi est la clé."
Nous étions au bord du gouffre du désespoir, lorsque je compris le sens de ces mots. Nous avions pensé que la tour était dissimulée dans le bâtiment. Que cette antique structure n'était qu'une façade. Mais, en réalité, l'église était la tour. Nous ne trouvions rien qui n'aurait pas dû être là, justement car tout était à sa place. La foi est la clé. Dans une église, la personne qui exalte la foi des fidèles est le prêtre. Alors, comme le prêtre parle depuis l'autel, l'autel devait être la solution de notre problème.
Le marbre blanc et austère de l'autel semblait à première vue uni. Pourtant, en laissant glisser mes mains sur sa surface, je senti une légère faille. Presque imperceptible, et pourtant bien réelle. La faille avait une forme circulaire. Ce n'était pas une faille causée par le temps. Quelqu'un l'avait créée. Ne sachant que faire, j'appuyai dessus. En l'espace d'un battement de cœur, la nef fut nimbée d'une clarté presque au-delà du réel. Tout le monde se tut dans un silence presque religieux. Le temps d'une vie se déroula dans l'immobilité la plus complète. Seule une voix troubla ce mutisme général :
"Qu'est-ce que tu attends. Vas-y. On n'a pas le temps de se reposer."
Vivianne avait parlé. Mais je ne pus m'empêcher de lui demander :
"Pourquoi moi ? C'est toi notre chef."
Elle me répondit simplement :
"Parce que j'ai confiance en toi."
Alors je pris la place qui revenait au prêtre. Derrière l'autel, je sentais le poids des regards de tous mes camarades, le poids d'un monde d'espoir qui reposait sur mes épaules. Il ne me fallut que quelques secondes avant de savoir ce que j'allais dire. Seuls quelques instants me permirent de réfléchir aux paroles les plus importantes de ma vie. J'essayai de parler avec la voix la plus assurée possible, bien qu'en mon for intérieur, j'étais terrifié :
"Habitants du monde. Mes frères et mes sœurs. On vous a abusé. Les Elus vous manipulent depuis le commencement de cette ère de misère. On vous a dit qu'ils étaient les envoyés du Créateur. En réalité, ce ne sont que des gens comme vous et moi. Ils ont utilisé leurs ressources et profiter d'une crise afin de vous réduire en esclavage, afin de vous soumettre à leur volonté.
Depuis trop longtemps, on nous opprime. Depuis trop longtemps, ces tyrans règnent grâce à la peur. Vous pensez peut-être que vous ne pouvez rien faire. Mais si vous laissez cette pensée vous dominer, alors vous laissez les Elus gagner. Si vous laissez la peur vous enchaîner, alors vous acceptez de vivre dans un monde qui n'est pas le vôtre.
Mais rien n'est perdu. Il n'y a pas si longtemps de cela, j'étais comme vous. Je tentais seulement de survivre. Je pensais que j'étais impuissant. J'étais une ombre qui n'avais rien. Mais, j'ai rencontré la Résistance. Ce sont des gens à qui on a tout pris. Ils ne se battent pas pour leur survie. Ils se battent dans l'espoir que leur lutte permette un jour de changer les choses. Ils se battent afin que le monde devienne un endroit juste pour tous.
Je pensais être impuissant, et pourtant je suis là. Pensez-vous que je pourrais vous parler si nous n'avions pas mené bataille contre les forces de l'oppresseur ? Pensez-vous que je pourrais vous parler si nous n'avions pas défait nos ennemis ? Cette victoire s'est payée du prix du sang. Cette victoire n'est qu'une étincelle. Nous avons besoin de vous pour nourrir sa flamme. Cette lutte est la seule qui vaille la peine que les gens meurent pour elle. Rejoignez-nous, et ensemble, allumer le brasier de la liberté."
Lorsque ma voix se tut, je levai les yeux, et je vis. Je vis une larme couler sur la joue de Vivianne. Elle y roula longuement. Elle ne semblait pas vouloir la quitter. Pourtant, elle finit par tomber, et se mêler à la roche, accompagnée de celles de tous les autres.
Nous avions oublié que nous n'étions pas seuls. Un hennissement retentit. Les portes furent enfoncées par les sabots des chevaux. Les cavaliers étaient arrivés. Ils étaient armés de longues dagues recourbées. Nous ne pouvions rien contre eux. Ils firent un carnage parmi nous, puis sans raison, ils partirent. Je vis mes camarades s'effondrer. Mais seule une chute retint mon attention. Elle. Elle avait été touchée. Je pensais que tout était finit, lorsqu'un vrombissement infernal emplit le ciel. Un engin tout droit sorti des tréfonds les plus obscurs de l'enfer nous survola. Il laissa tomber sa cargaison sur la bâtisse.
Une déflagration retentit. C'était comme si tout le feu infernal avait été libéré au-dessus de nous. La dernière chose que je vis avant le noir complet, fut la silhouette d'un cavalier sortir du brasier.
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