chapitre 11

Sa fille. Elle était sa fille. La fille d'un homme sans visage qui nous guidait tous sur le chemin de la liberté. Je m'attendais à ce qu'elle fonde en larmes entre ses bras. Pourtant, elle était aussi abasourdie que moi à ces deux mots. Elle ne savait pas qu'elle avait un père. Le silence se fit. Le temps s'arrêta. Le monde entier stoppa son cours, attendant sa réaction. Lentement, elle se rapprocha de lui. Elle saisit une à une les lanières retenant son masque. Chacun de ses gestes était aussi long qu'une année, aussi lent qu'une rotation terrestre. Elle souleva cette façade métallique qui l'emprisonnait. Le masque tomba au sol dans un éclat sourd. Sa chevelure argentée scintilla, éclairée par les premiers rayons de lune. C'était lui. C'était l'homme du désert.

Il fut enterré simplement. Une sépulture anonyme. Une rue à son nom. Quelques paroles lors de son éloge funéraire. Son souvenir ne devait pas s'éteindre. Mais la douleur de sa perte devait disparaître. Le vide laissé par son départ devait être comblé.

Elle reprit le masque. La dernière volonté de son père était qu'elle nous dirige. Alors c'est ce qu'elle fit. Mais elle le fit selon sa vision. Elle pensait que le mensonge de nos dirigeants qui nous avaient caché la véritable nature des Elus était une aberration, une folie qui nous condamnait tous. Pour elle, nous ne pouvions pas choisir notre destin car une seule vision du monde s'offrait à nous. Pour elle, ils se comportaient exactement comme ces tyrans.

Un jour, elle nous convoqua tous dans l'immeuble des archives. Elle nous fit prendre l'étrange machine de déplacement. Nous dûmes faire plusieurs passages afin de tous atteindre le treizième étage. Elle nous montra les documents. Elle nous raconta toute la vérité. La vérité était pour nos dirigeants une arme dangereuse, une arme qui permettait de contrôler la population. Pour elle, la vérité était un droit, une liberté dont tout le monde devrait pouvoir profiter.

Certains parmi nous ne comprirent pas pourquoi ils n'avaient été pas mis au courant de cette vérité. Ils se révoltèrent. Ils voulurent détruire tout ce que nous avions bâti au nom de leur liberté. Mais ils n'avaient pas compris que se faisant, ils laissaient les Elus gagner. Ils laissaient les Elus imposer leurs lois, ils les laissaient les utiliser à leur guise.

Si eux n'avaient pas compris, les autres, la majorité d'entre nous comprirent comment utiliser la vérité pour renverser les Elus. Nous avions les plans d'une des tours de communication. Comme toutes les autres, elle était dissimulée à l'intérieur d'une église de la création. Afin de préserver le secret, les infrastructures étaient devenues d'antiques pierres. Tout ce qui permettait de transmettre des informations était camouflé, aux yeux du monde, les signaux étaient des émanations du pouvoir divin détenu par les Elus. Leur foi était récompensée par la propagande des fanatiques de l'Empereur.

En théorie, il aurait suffi de s'introduire dans le bâtiment, puis de trouver le système de communication et d'envoyer un message à tous les peuples sous le joug des Elus. Mais, le monde n'est pas un endroit où la théorie règne. Nous savions pertinemment que l'endroit serait gardé par toutes les légions infernales de l'armée impériale. Nous savions que nous courions à une mort certaine. Seule l'ombre de la faucheuse nous attendait. Mais nous avions choisi. Nous avions choisi de mourir libres plutôt que de vivre dans un monde qui ne nous appartenait pas.

Dans les forges, le fer fut chauffé, les lames affutées, les flèches aiguisées. Nous avions réussi à récupérer plusieurs autres armes des Elus. Les cors de guerre retentissaient. Les rebelles se mettaient en marche. Nous étions plus qu'une armée, nous étions des frères. Nos bras vengeurs étaient unis sous une même bannière.

Le désert accueilli notre passage. A chaque village, notre compagnie était renforcée par des volontaires qui n'avaient plus rien à perdre. Tous les lieux que nous traversions n'étaient pas habités. Dans certains, l'odeur de la mort emplissait l'air. Notre vue était rouge. Nos armes frémissaient de faire couler le sang des oppresseurs.

Nous franchîmes un amas de ruines. Je reconnus avec effroi le village brulé par les cavaliers. Les corps étaient toujours à la même place, dans la même position. Ils avaient été laissés à pourrir à même le sol. Les habitants que j'avais connu étaient méconnaissables. Ils étaient rongés par la poussière, et mangés par les bêtes. Je me fis un devoir de venger chacune des vies qu'ils avaient prises.

Le désert fit place à la plaine. La plaine fit place à l'immensité aquatique de l'océan. La brume marine se dissipa. Le son des vagues se fracassant sur le rivage rocheux remplaça celui des cors. Lorsque nous nous arrêtâmes, nous étions au bas mot, trois fois plus nombreux qu'à notre départ de la cité-mère. Nous nous alignâmes dans un silence de plomb. Nous savions tous pourquoi nous étions là. Nul besoin de discours. Aucune parole, pas même la meilleure des harangues qu'un être humain aurait pu prononcer n'aurait eût plus d'effet que la vérité qui avait circulé dans nos rangs. Elle s'était répandue telle une trainée de poudre. Nous savions tous.

Mais, notre enthousiasme ne fit pas long feu lorsque les portes de l'église s'ouvrirent. C'était comme si tous les êtres les plus malfaisants de ce monde s'étaient donnés rendez-vous en ce lieu, en ce jour, afin de célébrer notre venue. L'enfer se dressa devant nous. Les soldats ne semblaient pas vouloir cesser de surgirent de l'ombre de l'ouverture. La côte entière était recouverte de leurs silhouettes détestables.

Sous les ordres de Vivianne, nous saisîmes nos arcs, et bandâmes notre première flèche. La tension était palpable. La douleur s'accumulait dans les muscles de nos bras contractés. Nous ne devions décocher nos mortels aiguillons qu'à son signal. Mais, l'un d'entre nous flancha. Il était épuisé par la route, et ses vieux bras ne pouvaient supporter plus longtemps la tension accumulée dans la corde. Sa flèche vola haut dans le ciel noir. Un éclair zébra un ciel lorsqu'elle amorça sa descente. Le tonnerre gronda lorsqu'elle toucha l'un de nos ennemis. Un hurlement de rage jaillit de leurs gorges. Alors, notre première volée s'abattit. Elle aurait obscurci le ciel s'il n'avait pas déjà été aussi noir que la plus sombre ébène. Le premier sang avait coulé. La bataille avait débuté.

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