4.
Appartement de Cadélya – Cité de Tréréa – 27 mai 2060
Je suis rentrée surexcitée ce soir-là, la lettre entre les mains. Le sourire ne me quittait plus depuis la venue de cet homme, et j'avais eu du mal à réfréner mon enthousiasme toute la journée. Mais mon frère fit immédiatement disparaitre toute la joie qui brûlait au fond de mon cœur. Je crois n'avoir jamais vu autant de peur au fond de son regard.
Il s'était levé d'un seul coup du canapé de velours beige, ne comprenant pas pourquoi je venais de hurler comme une folle. Je me suis jetée dans ses bras, le serrant si fort contre moi qu'il avait fini par me repousser pour ne pas étouffer. Puis je lui avais mis le courrier sous le nom, espérant qu'il partage mon bonheur. Or, il s'était refermé complètement, le visage assombri et la mâchoire crispée.
— Est-ce une blague, Cade ? m'avait-il demandé, passant une main tremblante entre ses mèches châtaines.
Je ne l'avais encore jamais vu dans cet état. Il semblait au bord de la crise de nerf. Certes, ses examens pour ses études d'architecture s'annonçaient difficiles, mais sa réaction n'avait pas pour origine sa grande fatigue. Non, il paraissait réellement furieux contre moi. Cela avait douché immédiatement tout mon enthousiasme, tellement que des larmes de tristesse avaient roulé sur mes joues.
— Quoi ? Mais non, je... pourquoi es-tu aussi en colère ?
Il m'avait jeté un regard noir, étincelant d'une rage qu'il ne m'avait jamais adressé. Déconcertée, j'avais reculé jusqu'à buter contre le mur du salon. Grégore ne tenait plus en place, il faisait les cents pas dans la pièce comme un lion en cage. Il se mordait la lèvre inférieure, jusqu'au sang, qui dégoulina sur son menton non rasé.
Je ne savais plus où me mettre, ni quoi dire. Je ne comprenais absolument pas sa réaction aussi excessive. J'avais enfin la chance de pouvoir réaliser mon rêve, et mon frère brisait tout par simple accès de colère. Hors de question, m'étais-je dit en me décollant de la paroi pour m'approcher. Mais il avait brandi les mains devant lui pour m'empêcher de le toucher.
— Tu sais ce qui a conduit nos parents dans les bras de la mort, Cade. Tu le sais parfaitement, et pourtant, toi aussi, à ton tour, tu t'y jettes tête baissée. Je ne te laisserai jamais partir, tu m'entends. L'espace est un vide sans fond, dans lequel tu perdras la vie, comme eux auparavant.
— Je... Tu n'as pas le droit de m'en empêcher, avais-je hurlé, faisant presque vibrer les murs de l'appartement. C'est mon rêve depuis toujours. Les étoiles m'appellent, me guident vers elles. Elles sont toute ma vie, Grégore. Je n'ai pas besoin de ta permission ! avais-je conclu.
Il avait alors attrapé violemment mon poignet, le serrant si fort qu'une marque rouge était apparue sur ma peau, virant doucement vers le violet. Surprise par sa poigne et la force dont il faisait preuve, j'avais écarquillé les yeux quand des larmes scintillantes avaient roulé sur ses joues.
— Je t'en supplie Cade. J'ai si peur de te perdre... avait-il murmuré d'une voix tremblante d'émotion.
Mon propre cœur était sur le point d'exploser, traversé de part en part d'un amour puissant, mais également d'une déception immense. Grégore aurait dû être content pour moi, ravi que mon rêve le plus cher ait enfin une chance de se réaliser. Je savais que nos parents avaient emporté une partie de lui en disparaissant, mais tout comme moi. Il nous fallait avancer et ne plus se laisser envahir par le passé.
La lumière du coucher de soleil, magnifique, d'un étonnant mélange de rose et d'orangé, se reflétait à travers les baies vitrées de notre appartement du premier étage. Elle était si belle, qu'elle m'avait donné encore plus envie de pleurer.
Je m'étais alors dégagée de la poigne de Grégore, et m'étais éloignée en me frottant la peau.
— Je comprends ta peur, Greg, mais il m'est impossible de renoncer. Je ne peux pas faire ma vie en fonction de toi, ni restée prisonnière de cette Terre, simplement parce que tu as la trouille. Le danger fait partie de l'existence de tout le monde. Je t'aime... avais-je murmuré en voyant son visage me ressemblant tant se défaire un peu plus. Mais je partirai pour ce voyage, et je te jure que je reviendrai vivante.
J'avais alors tourné les talons pour m'enfermer dans ma chambre, avant d'éclater en sanglots. Je m'étais jetée sur mon lit, avais serré si fort mon ours en peluche blanc hérité de ma naissance que j'avais cru le mettre en miettes. La gorge nouée d'émotion, je m'étais jurée de ne jamais laisser personne entraver la moindre de mes ambitions, même s'il s'agissait de mon jumeau, la personne que j'aimais plus que tout au monde.
Roulée en boule dans ma couette, j'avais assisté, le cœur lourd, aux éclats de colère de mon frère, jusqu'à ce que le silence retombe, sinistre.
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