Wolkart
Cela faisait déjà un moment que le sauvetage de l'incendie s'était déroulé. Le soleil quittait lentement le ciel en se cachant derrière la mer du Jugement. Le monopole céleste évoluait en faveur de la lune qui renvoyait la sainte lumière obscurcie aux Erzians.
Hura apercevait nettement les contours de la flèche de la cathédrale ainsi que les valeureuses murailles de Wolkart. La marchande avait de nombreux doutes sur la survie du pauvre fermier. La pitié à son égard la submergeait, le sort s'en était pris à cet homme innocent. Celui, qui en plus de vivre pauvrement en tant que simple producteur, devait élever seul son enfant sur le vide vert qu'était la plaine de Zéphyr. Le fermier oscillant entre la vie et la mort se réveilla, il marmonna quelque chose d'incompréhensible à Hura. Tout en hochant de la tête et en souriant afin de le rassurer, elle lui dit solennellement :
« Ne vous inquiétez pas, nous sommes bientôt arrivés. Je connais le meilleur guérisseur du royaume. »
Quand elle arriva devant les murailles de la cité, la porte nord en bois était gardée, comme d'habitude, et également agitée. Chaque chose qui la traversait devait être fouillée. L'entrée fut ralentie à cause des cargaisons de blocs de pierre issue des mines de Tyrma et de Blechesbury. C'était une livraison régulière allongée de plusieurs charrettes, elle servait à réapprovisionner la capitale. La femme bloquée avec le corps agonisant força le passage et pénétra dans la ville sans l'intervention des gardes qui ne lui prêtaient qu'un regard suspicieux. Et ceux qui la reconnaissaient furent bien surpris. Elle était arrivée plus tôt et sans la marchandise litigieuse.
La cité était divisée en de nombreuses ruelles, mais toutes plus maigres les unes par rapport aux autres. Emportée par le courant, Wolkart avait redoré sa réputation provocatrice avec grâce à la ruée des personnes dépensières. Étant un carrefour du fait d'être à mi-chemin entre les différents peuples, la ville s'ensevelissait par l'argent. Elle attirait des voyageurs venus du monde entier. Ils visitaient ces allées bondées de marchés, et s'emprisonnaient dans un espoir de s'enrichir. Les nains peuplaient massivement les rues qui n'étaient de base pas les leurs. Quelques trolls vendaient des objets suspicieux, et rares étaient les orcs, qui étaient d'ailleurs de très mauvais marchands, essayant de trafiquer leurs armes de divers clans. Autrefois, le secteur commerçant se situait au sud, dorénavant positionné au nord. L'expansion financière de la ville, les projets d'aménagements des quartiers nord anciennement militarisés ont transformé le bastion des humains en un lieu attractif et touristique. Les anciennes casernes rénovées en galeries marchandes, les camps d'entraînements remaniés en forums. Des choses qui relevaient de la culture des lilliputiens. La paix avait aliéné Wolkart qui par le passé animait le devoir de guerroyer. Cependant, les affaires n'avantageaient pas à la hauteur que cela devrait l'être les wolkins, elles renflouaient plutôt les coffres avides d'argent des nains, leurs anciens ennemis, officiellement.
Sur la grande allée qui menait vers le palais, Hura ordonna aux passants de se pousser. Néanmoins, elle arrivait difficilement à se faire entendre à cause du nombre excessif de marchands qui aboyaient pour vendre tout et n'importe quoi. Par exemple des armes naines jusqu'aux produits alimentaires en passant par des livres dont l'authenticité restait à prouver, ou quelques mobiliers. Le cheval espaçait uniquement les gens attentifs, les autres médisaient Hura du fait de monopoliser la rue. À la vue de l'état épouvantable du fermier, ils se poussaient. Cela éveilla quelques souvenirs lugubres de la Guerre chez certains. Soudain, la marchande prit une venelle pour se diriger vers les quartiers à l'est. Par ailleurs, dans la multitude de produits à vendre, Hura ne comprenait pas pourquoi des livres où étaient écrites une soi-disant vérité seraient vendus dans une ruelle quelconque. L'idée de s'enrichir approvisionnait les beaux parleurs qu'étaient les commerçants. Ainsi, vendre des babioles, des étrons ne les dérangeaient pas tant que la contrepartie rayonnait au soleil. Le bénéfice constituait la raison. Les nains avaient le sens des affaires, ce qui teignait leur apparente mentalité de cupide. Les humains avaient tendances a être lassés de leurs sournoiseries, déjà qu'ils ne les appréciaient guère. Les huit années de paix n'avaient pas changé les esprits, bien au contraire, la rancœur crevait davantage les wolkins.
Après la traversée de la cité, Hura arriva dans le quartier est, un endroit fort délabré et abandonné. Il fut inhabité depuis la bataille de la Concorde, l'ultime affrontement qui opposait les deux peuples de la plaine. Les humains subissaient de plein fouet l'avantage militaire et la supériorité technologique des nains. La ville était assiégée pendant que le sort s'acharnait sur les grands humanoïdes. L'intervention de Sperat les sauva de l'anéantissement. Contraint par la défaite, les humains n'ont pas eu d'autre choix que de s'abdiquer à la paix. Quant aux séquelles de la bataille, elles demeuraient bien présentes : tout un quartier jonché de ruines où seul la désolation y régnait. Le passé belliqueux demeurait à travers l'ère d'abnégation. L'air sentait encore la braise, et la terre ressemblait à des tombes dont chaque pavé représentait un défunt. L'alcool au parfum d'oubli permettait aux individus de s'échapper de cette triste réalité, mais ils foulaient à chaque instant les bières de leurs anciens compagnons.
Elle et le fermier mourant rentrèrent dans un des bâtiments encore entièrement debout. Dans l'antre, un homme l'engagea :
– Salut Hura, tu as réussi à ramener la marchandise ? (Ce dernier, à la vue du corps inerte dans les bras de la marchande, changea sa jovialité en une vive inquiétude). Ah ! Viens, je t'accompagne jusqu'à Phœnix !
– Merci Wimor, le temps presse.
Hura et son ami arrivèrent dans une sorte d'infirmerie. Il y avait de nombreux lits où se trouvaient des hommes blessés, mais seulement quelques couchettes étaient occupées.
– Phœnix ! cria Wimor.
– Je pars le chercher immédiatement, ajouta un homme qui s'occupait d'un blessé.
– Pose-le ici ! ordonna un autre en regardant le fermier aux portes de la mort.
Quelques instants après, un homme arboré par un air sérieux et par un charisme infaillible apporté par sa musculature avancée et sa prestance implacable, rentra dans la salle. Il avait les cheveux cendrés comme s'ils avaient été brûlés, et était vêtu d'un garde-corps rougeoyant. Cet individu se démarquant des autres. C'était Phœnix, le chef de ce groupe de personnes, que les humains appelaient les révolutionnaires, une communauté hostile à la Couronne.
Il accourut vers le fermier.
– Que se passe-t-il ? demanda-t-il.
– Un bandit l'a torturé, il a de nombreuses plaies partout, répondit Hura.
Phœnix pensif retira les bandages usagés, inspecta les plaies. Elles étaient enflées. C'étaient des œdèmes, le signe d'infection. Aucunes n'a été épargnées par la maladie, sûrement l'œuvre d'une lame empoisonnée.
Ainsi, le guérisseur rapprocha ses mains face à face, prêt à utiliser son pouvoir pour sauver cette âme. En très peu de temps, l'aorass se concentra. Un point noir apparut entre ces paumes, un point si sombre qu'aucune lumière ne pouvait s'en dégager. Puis quatre étranges lignes perpendiculaires, aussi obscures que le point, sortaient de ce dernier, formant une croix. Aux extrémités de ses lignes, un cercle apparut reliant le tout et eut pour centre le trou noir. Durant ce temps, le disque se remplit de formes géométriques anarchiques. La précision des traits étaient spectaculaires. La création du sigil fut en un éclair.
Il sépara ses mains ce qui scinda le cercle en deux. Au-dessus de chacune d'elles, un sceau était présent. Ensuite, depuis l'obscur point, une lumière flamboyante émergea. Petit à petit, les sigils s'embrassèrent, une flamme recouvrait toutes les lignes, toutes les formes, et les deux cercles. Le sceau disparut, laissant place à un feu lévitant au-dessus de chacune de ses paumes. Il positionnait les flammes au plus proche des plaies afin de stériliser davantage. Le chirurgien faisait des effluves avec précision pour toucher spécifiquement une zone. Le fermier hurlait de douleur, Phœnix ordonna à ses compagnons de le maintenir fermement.
Une fois que l'opération finie, il fit la même manipulation avec ses mains, mais à la place d'une lumière flamboyante et des arabesques, ce fut une lumière d'une couleur blanche avec une pointe d'émeraude qui insufflait la vie à des figures de branches accompagnées de bourgeon à leur extrémité. La traversée de la lumière sur ces représentations de la vie transformèrent les bourgeons en de magnifiques fleurs. L'ensemble fleuri créait une zone de paix, de béatitude, et de récupération. Il mit ses mains à côté des entailles. Par sa magie héréditaire, les plaies se refermèrent.
– Attendons demain, voir s'il ira mieux, annonça Phœnix.
– Merci de l'avoir soigné, affirma Hura soulagée. Je vais à l'auberge du Nordien, je dois attendre mon mercenaire pour notre cargaison.
*
La cloche du crépuscule réveilla Taryum, à l'opposé du soleil. Son travail nocturne le décalait par rapport à la population. Dès lors, il débuta sa fin de journée, avant de commencer sa nuit en haut des murailles. L'habituelle faim du réveil lui intima de se nourrir. Il devait donc rendre visite à son ami, Beldy. Le wolkin habitait dans les quartiers sud, là où les habitations abondaient. Un coin bien tranquille, loin des affreux commerçants criards. Cependant, Taryum alla aux bains locaux pour se nettoyer. Ça faisait deux jours qu'il ne s'y était pas rendu. La crasse se dilua dans les vapeurs, et la fatigue se dissipa à travers une prostituée des lieux.
L'homme était un garde-muraille, un des fidèles protecteurs de Wolkart. Son puissant patriotisme l'avait conduit à devenir un veilleur nocturne. L'urgence d'avoir un travail se dirigeait également en ce sens. Cependant, ce dernier n'était point commun et assez déstabilisant socialement. Affecté de nuit, le soldat de la Couronne luttait contre les menaces de nuit, notamment les quelques bandits et les bannis qui vivaient exclusivement sous les ténèbres. Le contact avec le soleil ou du feu accordait la bénédiction de mourir à ces créatures. En effet, attaquer des bannis avec une arme tranchante ne servait à rien ; leur corps, même coupé en deux, restait en vie aussi mystérieusement que cela puisse paraître. Quel que soit le morceau du corps, il continuait à gesticuler. Sans arrêt. Leur corps n'était qu'un ensemble et non un bloc. Des histoires de rues décrivaient ces monstres humanoïdes comme des rescapés de la mort. Ils étaient condamnés à vivre, aux dépens du repos éternel. Il existait un autre moyen de s'en débarrasser, mais celui-là n'était point acceptable. La mort accordait sa bénédiction à la condition qu'il tue un vrai vivant. Certaines personnes, notamment influencées par les multiples religions, diffusaient l'idée que ces créatures auraient bafoué les lois divines et que les Dieux leur auraient refusé l'accès aux autres mondes. D'autres prétendaient qu'une malédiction d'origine magique aurait condamné la vie à l'éternité. Quelques-uns affirmaient que les corps renaissaient par eux-mêmes, par ordre de la Nature. Ces êtres, présents depuis l'aube de l'Histoire écourtée, étaient sujets à mystères réunis en de nombreux tomes. Aucun autre monstre qu'accueillait Erzia ne leur ressemblait. Cependant, leur dangerosité était peu élevée, ils étaient lents, et donc facilement maîtrisables du fait de leur isolement respectif.
Sur le chemin, Taryum acheta sa pomme de déjeuner, comme d'habitude au marchand à proximité de chez lui. Le plaisir fut apprécié par ses oreilles du silence grandissant au fur et à mesure que les commerçants fermaient en raison de la nuit tombante. Taryum arriva à l'étal de Beldy. Tout d'abord une connaissance à l'auberge dont le temps renforça leur amitié. Depuis, il lui achetait à chaque crépuscule de travail.
– Salut mon ami, j'espère la nuit n'a pas été dure ? lui demanda Beldy qui se mettait toujours au courant des nouvelles. Je prie pour que nos chers gardes nous protègent du mal extérieur.
– La routine, les bannis font le travail à notre place. Et quand il tente de nous envahir, face à leur agilité légendaire nous ne pouvons rien faire, ironisa Taryum.
– Sacré créatures. Que Berkholt nous vienne en aide. Passons. Aujourd'hui, mes chers amis de la plaine ne m'ont fourni que des produits forts goûtus, vendit-il en balayant de sa main ses légumes et ses rares pièces de viande. Qu'est-ce qui ferait plaisir aux papilles de notre vaillant chevalier-dragon.
– Toujours à déblatérer tes louanges de vendeurs pour attendrir l'acheteur. Je t'exempte de me les réciter chaque matin à l'avenir. Je sais pertinemment que tu vends les meilleurs produits de la capitale, répondit Taryum qui tâtait de l'œil la récolte.
– Soir, tu veux dire. Calibre-toi correctement, ça fait pourtant bientôt deux mois que tu bosses.
– Ah oui. Ma langue a fourché. À ton plaisir je voudrai bien ces légumes, dit le soldat en pontant du doigt un caisson de carottes et pommes de terres.
– D'ailleurs, vas-tu voir ton protégé ? demanda Beldy qui avait une idée derrière la tête.
– Oui, ça fait quelques jours que je lui ai pas rendu visite.
– Bien. Alors veux-tu bien lui offrir ces fruits de ma part, ordonna le marchand en tenant un sac rempli de pommes. Il faut prendre de la force pour devenir aussi fort que son soldat préféré.
– À la revoyure vieux, rigola Taryum en se retournant.
– À demain saleté ! injuria-t-il tout en souriant.
Taryum échangea le panier des fruits si gentiment donné et ses légumes contre dix pièces de cuivres. Il repartit chez lui, pris par un sentiment de culpabilité. Il lui avait menti, contraint par son devoir de protection. La nuit dernière une inquiétante présence les avaient menacés. En effet, un attroupement de bannis s'était regroupé étrangement, puis enterré dès l'aube autour de Wolkart.
Normalement, les bannis étaient des monstres stupides. La bave constituait la seule chose qu'ils sortaient de leur bouche. Tel à l'égard des animaux, la communication était tout bonnement impossible. Leur unique raison d'exister était de causer la mort. Ainsi, ces poussières erraient constamment sans but. C'est pourquoi, voire une horde se constituer devant les murailles sans l'attaquer était inconcevable. Et cela tourmentait fortement Taryum. Les cauchemars avaient leur place dans les songes et non dans la réalité.
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