Réveil
Kenshin se réveilla après un jour dans le coma. La lourdeur de son corps lui faisait penser qu'il avait dormi une éternité. La faim l'avait soutiré du sommeil réparateur. Il avait des douleurs aux dos. Il pensait innocemment qu'une simple nuit était passée.
Pendant qu'il s'étirait, il inspecta le lieu qui ne lui évoquait absolument rien. Assez peu rassurant. La salle abritait de nombreux pieux, environ une vingtaine de chaque côté. Tous étaient occupés par des blessés. Certains dormaient profondément, tandis que d'autres agonisaient. Les râles d'agonies résonnaient dans l'infirmerie. Kenshin était le seul éveillé. En plus de l'incompréhension, un sentiment de solitude le conquit.
Les murs étant en pierre laissaient passer une brise fraîche. Étonnamment, il ne faisait pas si froid grâce aux deux cheminées centrales qui réchauffaient l'ensemble. Malgré l'environnement peu entretenu, le lit où il avait dormi était néanmoins confortable.
Pourquoi se trouvait-il ici ?
Perplexe, le mercenaire fouilla dans sa mémoire. Il avait un vide à partir de sa fuite dans la réserve de l'auberge suivant l'humiliation d'Arvor. Rien que d'y repenser le mettait en rogne.
Retournant dans le présent, l'homme encore mal réveillé s'assit sur le côté du lit. Puis se leva lentement. Il saisit ses affaires qui étaient posées sur une petite table à sa droite. Dans son sac en peau, il y avait même le livre Aorras, les êtres de magie et élus des Dieux qu'il avait laissé à l'auberge. Quelqu'un l'avait placé ici. Il était content de se mouvoir sans trop souffrir à cause de son dos.
Les râles accompagnaient ses pas. Il inspectait les blessures des hospitaliers. Des griffures ! Comme si qu'un banni les avait attaqués. Étrange ! Pourquoi autant de personnes avaient de telles lésions ?
En vagabondant dans la salle, Kenshin remarqua la présence du fermier qu'il avait sauvé durant l'escorte d'Hura. Allongé dans un lit, le sauvé était très mal au point. Des vêtements imbibés de sueur, un front brûlant, une respiration irrégulière et forte, et des œdèmes sur ses nombreuses plaies. Emprisonné dans un cauchemar, il gesticulait. Le sort s'en était pris à ce serviteur de Berkholt. Vu son état, il n'allait pas survivre longtemps. Déçu d'avoir sauvé quelqu'un inutilement, l'indifférent face à la mort continua à vagabonder dans la salle.
Tant de questions hantaient le mercenaire.
Qui l'avait amené ici ? Et pourquoi ?
Que c'étaient-ils passés ?
Pourquoi ne se souvenait-il plus de rien ?
La frustration entraînant une colère l'empêchait de correctement raisonner. Kenshin décida de partir. Personne dans la salle ne pouvait lui fournir des réponses, et son estomac gargouillait tel un ogre.
L'obscurité de la nuit dominait le ciel. Aucune lumière ne façonnait le ciel. Les masses noires cachaient les étoiles.
Dehors, Kenshin vit un homme aux cheveux cendrés assis par terre en compagnie d'une bouteille d'alcool. Il faisait papillonner avec une minuscule boule. Suivant les doigts de son créateur, la flamme se serpentait, se condensait, se dilatait, se divisait ou se regroupait dans les airs. Le spectacle envoûtait le mercenaire émerveillé.
Il savait à qui il avait affaire, Phœnix, mais n'était point effrayé de le rencontrer. Pourtant les actes du fameux aorass de feu révolutionnaire avaient fait écho jusqu'à ses oreilles. Les élus le fascinaient, et pour la première fois, il en avait un en face de lui.
Phœnix l'aborda :
– La princesse s'est enfin réveillée de son long coma. As-tu fait de beaux rêves ?
– Pourquoi suis-je ici ? demanda Kenshin promptement.
– Assieds-toi. Il s'est passé beaucoup de chose depuis ton affrontement contre Arvor.
– Arvor ?! Le commandant des hommes ? ria le mercenaire croyant à une mauvaise blague. Arrêtez de vous moquer de moi ! Aucun humain n'arrive à sa cheville. Que s'est-il réellement passé ?!
Surpris de sa réaction, Phœnix le fixa. Le fracas contre le mur avait peut-être provoqué son amnésie.
– Quel est ton dernier souvenir ? interrogea l'aorass.
Kenshin soupira. Il hésitait à partir, mais se résilia rapidement.
– C'était quand je me trouvais dans l'auberge.
– Ah... Je te prie de t'asseoir. Il s'est passé de terribles évènements.
Troublé, le mercenaire obéit. Une peur préméditée naissait.
Sous la voûte céleste maculée de nuages, la nuit de l'horreur fut décrite. Son combat contre Arvor. Le sauvetage de Susano. La terrible bataille contre les bannis et les démons.
Au début, la blague le faisait encore sourire. Puis le sentiment disparu...
À chaque révélation, la réalité frappait le sage.
À chaque phrase, la nervosité montait.
À chaque mot, l'effroi avançait dans son âme.
Son visage normalement impassible se rembrunit. Il refusait d'y croire ! Mais pourquoi mentirait-il ? Cela n'avait pas sens. Il priait pour que cela ne soit qu'un simple cauchemar lucide. Ainsi Kenshin se mordit désespérément la langue. Ne quittant pas la réalité rejetée, il enfonça encore plus profondément ses dents.
Cependant la douleur était trop réelle. Il était emprisonné dans la terrible vérité.
Comment avait-il pu défier Arvor en duel ? Certes il le détestait de toute son âme, mais jamais il aurait trouvé le courage de l'affronter. La peur était bien trop grande. L'homme victime d'un opprobre dans l'auberge avait lutté pour ne pas se pisser dessus.
Une armée de bannis ? Ces êtres aussi débiles que des animaux ne pouvaient pas s'unir. C'était totalement aberrant !
Cependant, la vision des blessés par des griffures réémergeait. Les pièces du puzzle s'emboîtèrent, celles qui décrivaient la réalité authentique. Motivé par la peur, il les balayait dans son esprit. Pourtant, elles réapparaissaient. Le passé était déjà écrit.
Cette histoire devait être fausse ! Kenshin essayait de se rassurer. Mais au plus profond de lui, il ne pouvait que y croire. Le songe avait cessé d'être, c'était la vérité.
Dès que Phœnix finit, l'amnésique angoissé demanda :
– Comment tout cela est arrivé ? C'est impossible de voir une meute de bannis.
– Nous pensons que c'est l'œuvre des démons. On a remarqué durant le combat qu'ils les contrôlaient. Mais nous ne sommes pas tous du même avis... Hura passe beaucoup de temps dans les auberges et dans la rue en vue d'obtenir des informations. Et elle affirme qu'une opinion populaire a surgi, et malheureusement, le peuple a trouvé un coupable.
– Comment ça malheureusement ?
– Les rumeurs parlent d'un mage sanguinaire qui a volontairement attiré l'attention pour faciliter l'attaque de la horde. Cet homme est celui qui a attaqué leur cher commandant... Toi.
L'effroi le plus pur avait sonné le gong de son cœur qui battait à la chamade. À chaque silence, il l'entendait résonner dans sa tête.
– Comment ?! C'est totalement invraisemblable. (Dévasté, Kenshin se leva, rejetant encore une fois la réalité.) Je ne suis aucunement un mage ! dénota-t-il.
La voix tremblante et les réactions de terreur du condamné renforçaient l'avis de Phœnix pensant qu'il était innocent.
Étant froid, Kenshin ne divulguait normalement jamais ces émotions publiquement ; néanmoins, la force fracassante de la vérité perça sa défense. Sous le choc, il s'abandonna à une rage.
La lumière de la boule de feu éclairait l'œil du mercenaire qui s'obscurcit brusquement. Sa pupille devint noire et se dilata jusqu'à recouvrir totalement l'iris. Une pesante aura s'abattit sur l'aorass. Un sentiment glacial de faiblesse l'ébranlait. Croyant faire face à un monstre, il était pétrifié par Kenshin. Malgré l'anxiété, le malaisé réussit à poser amicalement sa main sur l'épaule de la bête, et lui annonça solennellement :
– Ne t'inquiète pas, je ne crois pas à cette accusation irréaliste. Les gens sont faibles, ils cherchent des excuses pour surmonter leurs émotions. Des faits leur sont présentés, ils s'en emparent sans se soucier de leur véracité. Il leur faut un bouc-émissaire pour purger leur colère. C'est la terrible loi de la peine, celle que Faersyth utilise pour diriger son peuple. Mais moi et mes compagnons révolutionnaires croyons en ton innocence.
Le blanc reprit possession de l'iris de Kenshin. La rage du berserker s'évanouit tout comme l'ambiance pesante. Sans s'en apercevoir, le mercenaire reprit conscience grâce aux paroles réconfortantes de Phœnix. Malgré le soutien, il n'arrivait pas à sourire.
Phœnix ne comprit pas l'origine de cette étrange sensation. Qu'est-ce qu'il venait de faire ? Le mercenaire avait l'air de pas l'avoir fait exprès en vue de l'absence de réaction. Les élus voyaient leur pouvoir s'éveiller après quelques années d'existence ; Kenshin était bien trop vieux pour ne pas en avoir connaissance. L'aorass avait des amis mages, il connaissait donc bien l'étendue de leur pouvoir et aucun d'entre eux n'altéraient leur corps de cette façon, et surtout pas inconsciemment. L'idée qu'il mentait lui effleurait l'esprit. Beaucoup de sorciers jouaient sur les illusions. Mais pourquoi lui montrer son pouvoir ? Une telle erreur ne se combinait pas avec son possible jeu d'acteur.
Pour détendre l'atmosphère, Phœnix lui partagea sa boisson. Kenshin se rua de prendre un coup.
Pendant quelques instants, les deux réveillés se plongeaient dans un silence total. Un simple coup de vent les réveillait ainsi que les afflux d'odeur rance de l'alcool. À travers la beauté du ciel, ils cherchaient réponses aux mystères qui se présentaient à eux, tout en abaissant le niveau de la bouteille jusqu'à la vider.
Kenshin ne pouvait pas remettre en cause les dires de l'aorass. Il luttait pour ne pas devenir tomber dans la folie. Quant à Phœnix, il le laissa tranquille, il fallait du temps pour digérer toutes ces révélations. Il était passé d'un homme dont personne se souciait à un ennemi du peuple.
Phœnix se contenta d'oublier cette mystérieuse perception. La fatigue lui avait peut-être joué des tours. Le chef de révolutionnaires devait se pencher sur la suite des choses.
La mort du roi nain l'inquiétait. Son informateur lui informa qu'il se sentait mal quelque temps avant. Maladie ou assassinat ? Il devait mener l'enquête. Le devoir l'appelait à Barbe-fer. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas mis les pieds dans la magnifique capitale naine. Ses fiers compagnons révolutionnaires qui s'y trouvaient lui manquaient également.
De toute façon, les insurgés ne pourraient rien attenter contre la couronne wolkaine à cause des vives tensions populaires. Le royaume connaissait une ère de deuil. La colère du peuple se déchaînera sur le prochain scandale venant.
Un nouveau voyage se dessinait.
Un gargouillement interrompit le silence.
– Ton ventre me dit que tu as faim.
– Oui... répondit Kenshin d'une faible voix.
– Moi aussi j'ai un creux, ria l'aorass accaparé par un appétit soudain. Allons discuter autour d'un bon ragoût. L'aubergiste du marchand nordien a l'habitude de me voir débarquer durant la nuit. Suis-moi !
Ils se dirigèrent vers une revigoration tant désirée, envieux de nourrir leur faim. La boule de feu leur servait de guide dans les ruelles dépourvues de sources lumineuses. Phœnix se pourléchait rien qu'en imaginant le succulent plat qu'il allait dévorer.
Toujours dévasté, Kenshin reprit la discussion :
– Pourquoi es-tu réveillé aussi tardivement ?
– Une insomnie. Mon esprit m'empêche de bien dormir. Éveillé, je rêve de mon sommeil. Et quand je réussis enfin, ce sont des cauchemars qui me poussent à en sortir.
Le mercenaire ne trouvait pas les mots pour répondre. Insensible, il se contenta de le regarder avec un faux air triste. Pour y remédier, le bienveillant aorass essaya de l'amener sur un autre sujet. Il ne fallait pas le laisser seul dans son désarroi. Il savait que Kenshin lisait, et donc qu'il aimait entendre des histoires.
– Le démon de la destruction ne pourra jamais trouver la paix, manifesta l'aorass en souriant. Quelle ironie du sort !
La mention de ce surnom remémora à Kenshin les dires de Babdel narrant une obscure histoire. Une légende urbaine accusait les aorass de feu d'être impliqué dans les casus belli de la Guerre de l'Origine. Pris d'une folie meurtrière, ils répandirent flammes et désolation à travers le continent pour nourrir leur égoïste plaisir. Ainsi, leur réputation leur donna ledit pseudonyme, les démons de la destruction. C'était un vulgaire mythe populaire, Kenshin n'avait aucune raison d'y croire.
– Est-ce vrai ? demanda-t-il soucieux.
– Tu parles du mythe autour de nous ? (Kenshin acquiesça de la tête. Phœnix sourit de son coup de maître.) Eh bien, j'en ai aucune idée, mon père m'a raconté beaucoup de choses concernant notre famille. Les pensées du peuple forment bien souvent la réalité qu'elle soit vraie ou fausse. Les aorass de feu ont toujours été très nombreux, ainsi nous avons beaucoup de branches familiales. La légende dit qu'un démon intérieur submergea nos confrères. Beaucoup se sont retrouvés déshumanisés. Certains ont fait un culte macabre sur le feu, ce qui explique sûrement l'existence de la secte des pyroierós, les orcs pyromanes.
Durant tout son discours, la flamme se reflétant dans les yeux du narrateur apportait une dimension mystique aux paroles. Kenshin l'écoutait sans broncher, fasciné par les histoires. Des éléments supplémentaires pour façonner la stricte vérité.
Les deux acolytes arrivèrent dans les quartiers habités. Les premières torches illuminaient leur chemin, alors l'aorass fit disparaître sa boule enflammée. Le mercenaire soucieux demanda :
– Comment sais-tu que ce mal n'a pas atteint votre famille ?
– La folie ne nous a pas encore dominé.
Kenshin fut troublé par la réponse vague.
– D'ailleurs, d'où viens-tu mercenaire ? demanda Phœnix.
– Je n'en ai pas la moindre idée. J'ai été recueilli par mon grand frère sans connaître mes parents, répondit-il en se dévoilant sous les effets progressifs de l'alcool. Nous avons esquivé la guerre parce que nous n'existions pour personne.
– Ne t'a-t-il rien dit sur vos parents ?
– Il n'a jamais voulu répondre à mes questions, car il jugeait que cela me ferait souffrir. Il me disait qu'on ne peut pas pleurer pour des gens qu'on ne connaît pas. Ainsi, il m'a éduqué tout seul pendant un certain temps. Cependant, un jour quand j'avais treize ans, je me suis réveillé, il m'avait abandonné sans raison. Après ça, je suis devenu mercenaire pour continuer à survivre, et sans jamais le revoir...
Le mercenaire fut interrompu par le gargouillement de son ventre. L'histoire surprit l'auditeur triste que le sort s'abatte encore une fois sur un innocent. Les mots ne venaient pas.
Ils rentrèrent dans l'auberge étrangement silencieuse. Les ivrognes avaient déjà eu leurs heures de gloire. La nuit était trop avancée pour qu'ils puissent encore être conscients. Certains survivants, qui ont sombré dans un sommeil forcé, gisaient sur les tables tout en ronflant assez fort pour laisser l'assistant de l'aubergiste éveillé, un ami de Phœnix. Dans l'ombre, l'auberge soutenait le mouvement révolutionnaire.
Après une salutation réciproque, l'aorass commanda deux ragoûts en levant deux doigts et l'assistant s'empressa d'aller préparer les repas. Le feu était encore allumé en vue de son arrivée nocturne.
Les deux clients se placèrent à un coin de l'auberge. La douce odeur de la terre promise les remplissait d'une joie incommensurable.
L'alcool, qui avait transformé les connaissances en confidents, chutait peu à peu ; les esprits se rationalisaient. Les estomacs savouraient le délice rapidement préparé.
Pendant leur repas, l'aube commençait lentement à signer son retour. L'assistant dégagea les cadavres alcooliques tout en nettoyant leurs supercheries. Les premiers marchands descendaient pour manger à leur tour.
Brusquement, un groupe de soldats pénétra dans l'établissement. Ils s'approchaient de l'assistant qui fit sonner une cloche pour monopoliser l'attention. Un garde de Wolkart annonça d'une puissante voix pour que tous puissent l'entendre :
« Un discours sur la place du palais sera tenu dans la matinée. Une chasse à l'homme à l'égard de la bête sanguinaire est lancée. C'est un mercenaire que l'on nomme Kenshin. Toute personne ayant des informations dois nous en faire part. Une récompense sera versée pour chaque aide, et une conséquente pour sa capture. »
– Combien ? questionna un marchand nain les yeux remplis de pièces d'or.
– Cent pièces d'or pour sa capture.
Kenshin et Phœnix se regardaient. Le mercenaire priait pour que son compagnon de nuit ne cède pas à la tentation, mais il avait foi en lui. Il était devenu un vulgaire animal à traquer, l'ennemi du royaume.
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