Les entrailles du cauchemar
Les griffes de l'ombre encerclaient Wolkart. Les bannis sortaient un par un des ténèbres. Ces créatures à l'intelligence à peine supérieure à un orc s'étaient belle et bien réunis pour satisfaire leur appétit.
Malgré sa lumière interne, la sainte cathédrale de la capitale fit résonner le glas. Ce tintement de cloche particulier avait pour but d'alerter la population d'une menace importante aux abords de la cité. Cette note, à l'air funéraire plus vieux que l'Histoire connue, imprégnait toujours de terreur les wolkins. Chaque humain né pendant la guerre connaissait aussi bien l'augure alerte que leur propre prénom comme si, depuis leur naissance, l'agonie gisait dans leur esprit. Le cœur des hommes battait au même rythme que cette onde qui rythmait inlassablement leur vie de mortel.
Le chaos suivait irrémédiablement. Les citoyens qui dormaient paisiblement se réveillaient en sursaut. Ils quittaient un cauchemar onirique pour un autre dans la réalité. L'effroi de la guerre réémergeait, et tous en avaient affreusement peur. Néanmoins, un temps de répit fut accordé par la paix. L'entendre aussi brutalement après tout ce temps rendait la situation terrifiante. Une question rongeait les habitants : par qui étaient-ils attaqués ? Par conséquent, beaucoup d'humains sortaient armées. Certains pensaient à une attaque de nain, à tort, d'autres accusaient les révolutionnaires, également à tort. Le réel les inquiétera encore plus. Les soldats mobilisés étaient ralentis par les inquiétudes. Les rues s'imbibaient de terreur et d'incompréhension. Quant à Wolkart, le jugement dernier l'assiégeait. Ce soir, l'ennemi des vivants n'était pas la horde, mais la faucheuse elle-même qui se pourléchait à l'idée d'opérer à sa plus grande récolte d'âmes demeurant depuis l'armistice.
*
Lazare Wallace était un wolkin adulte. Dans le passé, ses parents aux talents artistiques connus auprès de l'Église lui ont interdits de proférer ces propos hostiles ou douteux à l'égard de la Couronne. Sa liberté de penser et de s'exprimer, il y tenait tellement qu'il fugua de plein gré. Il comprit par la suite le manque de l'argent qui lui était autrefois inconnu. Toutefois sa fierté l'avait empêché de s'excuser auprès de ses ascendants. Héritant du don de la lecture, il s'est battu pour survivre, voyagea pour lire les bibliothèques, notamment celle de Barbe-fer et de Khun Bolis. Le sage se questionnait sur l'existence, sur la Guerre de l'Origine, sur sa cité et tant d'autres sujets, ce qui lui permit d'acquérir un savoir spectaculaire. L'homme n'était pas un guerrier, mais un redoutable intellect. L'autodidacte avait su développer son talent d'orateur de par son ton amical et ses argumentations aussi solides et transparentes que du diamant. Il assassinait les idées de ses ennemis, et surtout celles des pions de la Couronne qu'il détestait amèrement. Phœnix avait remarqué ses rares compétences qui seraient fortement utiles à la communauté. Ainsi adhérant à sa philosophie, Lazare fut rapidement élevé en tant que bras gauche, au même grade que Susano, le bras droit.
On avait mis au courant Lazare de l'intervention des révolutionnaires au centre-ville. Elle avait pour but d'ouvrir un dialogue, depuis longtemps mis en défaut par la Couronne, pour tenter de s'imposer dans le débat public inexistant. Par ailleurs, c'était le meilleur moyen de gagner des membres. Briser le dévouement des royalistes envers Faersyth constituait une priorité pour mettre à mal le régime. Escorté par des insurgés, Lazare devait établir un débat avec les passants. La majorité avait l'esprit aussi impénétrable qu'un roc, à l'image de leur suzerain. L'éveil du glas le surprit énormément. Considérez un débat comme une sérieuse menace le plongeait dans une inquiétude. Le royaume allait donc si mal ? Par la suite, lorsque la panique se manifestait dans les rues par les ruées de citoyens, le révolutionnaire comprit que chose n'allait pas. La cloche rendait fou, mais pas autant pour un simple échange de point de vue.
À l'écho du son, les civils décampaient pour se réfugier dans les profondeurs, un dédale de galeries souterraines sous la capitale. Ce lieu au contact des ténèbres avait été creusé en conséquence des pluies de projectiles naines. Des bunkers disséminés dans Wolkart permettaient d'y accéder. Le torrent de panique lui faisait dévaler les rues, ruelles et venelles. Les cris guidaient les âmes égarées. Toutefois, Lazare conservait un calme exemplaire. Un passant lui apprit la véritable situation, comme les autres hypothèses il la rejeta sans sourciller. La sagesse lui interdisait d'y croire. Cependant, au regard de la convergence d'informations, toutes identiques, sa reflexion fut obligé de concéder. Un mensonge dans l'unique but de mettre fin au débat ? L'incident et sa solution lui paraissaient tout autant invraisemblables. Ce n'était pas dans sa nature de succomber à ce genre de sentiment.
Lazare pénétra dans un bunker dans le quartier commerçant. Ces lieux de la taille d'un placard étaient faits en brique rouge. Celui dans lequel se trouvait le révolutionnaire était bien conservé. Peu de fissures, des marches intactes, et une structure stable, contrairement à d'autres dont l'entretien laissait à désirer. Dans le pire des cas, l'accès était condamné à cause des effondrements, notamment ceux des quartiers est et nord. L'insurgé entreprit sa descente aux enfers. Il rencontra sur le chemin plusieurs de ses compagnons qui avaient eu la bonne idée de ramener des sacs de nourriture et de bois.
Durant la descente, les wolkins avançaient calmement ou basculaient pour dépasser, cela dépendait de leur niveau d'anxiété. Les moins sereins contaminaient les habitués qui infectaient les autres à leur tour. Les escaliers étant étroits, la proximité était obligatoire. Lazare, spectateur des craintes, écoutait les spéculations. D'une part, certaines accusaient les nains, ce qui énervait profondément lesdits individus présents. La nanophobie alimentait encore un grand nombre de discours humains. Les nains répondaient à ces diffamations par des hurlements. De l'autre, des nombreuses voix accusaient les révolutionnaires. Tels des boucs émissaires, on les blâmait de tous les maux de la société. Les insurgés présents, sans savoir que Lazare serait à leur côté, défendaient les convictions qui leur étaient propres.
Au milieu de ces élocutions colériques, Lazare fut tiré entre la frustration et la pitié. Il était offensé face aux profondes critiques à l'égard de sa foi. Néanmoins, il considérait ces blasphémateurs comme des êtres malades chez qui le sentiment nationaliste avait ôté leur lucidité. Lazare doutait encore de l'origine de l'attaque, mais en aucun cas il n'adhérait à ces spéculations fondées sur la panique ou la haine. Rien dans son esprit n'était suffisant pour faire sonner le glas.
L'avancée vers les profondeurs ralentissait à cause de la multiplication des querelles. Les barils de haine explosaient un à un. Pendant que les plus peureux bousculaient, le chaos se frayait un chemin à travers les échanges haineux. Les arguments disparaissaient au profit des insultes. Quelques cailloux fusaient. Domptés par la rage, certains commençaient à lever le bras. La peur rendait les gens fous, Lazare en avait conscience.
Tel un prêtre apportant la bonne foi, Lazare prit la parole pour apaiser les âmes victimes d'eux-mêmes :
« S'il vous plaît ! (N'étant pas le centre de l'attention, il hurla plus férocement :) S'il vous plaît ! (Cette fois, il réussit ; les hostilités cessèrent. Tous les yeux étaient rivés sur lui.) Je vous conjure d'arrêter de rejeter les fautes sur les autres. Cela ne sert à rien de conjecturer sur qui nous attaque, personne n'en sait rien. Vos cris ne font qu'engendrer troubles chez vos frères, vos femmes, et vos enfants. Ceux qui accusent les nains, pensez-vous réellement qu'ils laisseront leurs confrères dans l'ignorance et aux mains de leurs ennemis ? Ceux qui accusent les révolutionnaires, pensez-vous réellement qu'ils s'attaqueront à la population. Les vrais rebelles ne peuvent point s'attaquer à ce qu'ils prétendent défendre. Réfléchissez ! Avancez dans le calme, ne partagez pas vos théories superflues. À la place de nous déchaîner sur vos voisins, encourageons de vives voix nos protecteurs qui se battent pour notre vie ! »
Les révolutionnaires qui reconnaissaient leur chef l'applaudirent, puis de plus en plus suivirent. Quelques anciens perturbateurs s'excusèrent auprès de leur cible, pas tous néanmoins ; certains continuaient à charger de haine leur regard. Un homme interpella Lazare sur l'attentat des rebelles fait il y a quelques années. Il s'attendait à cette intervention.
« Ces individus n'appartenaient pas au groupe. Je peux vous l'affirmer », répondit-il.
En réalité si ; ils avaient agi en secret. La Couronne en avait profité pour condamner le groupe en sa totalité qui jusqu'à lors était pacifiste.
Dans l'ambiance détendue grâce à Lazare, le chemin se déboucha comme si on brisait un barrage. Tout le monde avançait normalement vers le refuge. Les conflits laissaient place à des applaudissements pour soutenir les soldats. Mais le savant révolutionnaire n'avait pas réussi à guérir l'incompréhension qui habitait chez lui et ses voisins. La masse d'individus se déchargeaient à travers les multiples étages.
Cette cité des profondeurs était un dédale de galeries à l'intérieur d'une pyramide tronquée pouvant accueillir la moitié de la population de Wolkart. Elle se composait de plusieurs étages eux-mêmes décomposés en plusieurs salles. Des ossatures de pierre soutenaient la structure de terre. Les murs non solidifiés avaient des nuances de marron, de blanc et de noir par les matériaux que le sol abritait, cela apportait un certain charme au lieu. Ce sanctuaire était aussi habité par les wolkins les plus pauvres, ceux dont l'existence n'influençait personne. En plus des stocks de bois placés dans certaines salles, les quelques riches solidaires amenaient leurs matériels pour faire un feu et laissaient en profiter les plus démunis. Ceux qui avaient des torches alimentaient les braseros disposés un peu partout. Chacun cherchait une salle en attendant la fin de la bataille. Beaucoup de wolkins solitaires se regroupaient dans le dôme central pour faire front ensemble.
L'ambiance fut très accablante due par le mystère autour du glas sonné. Par ailleurs, La vérité se propagea petit à petit. Mais elle n'améliorait pas la situation, car tout le monde savait que les bannis ne pouvaient pas volontairement former une horde.
Concernant Lazare, il rejoignit le point de réunion des révolutionnaires en cas de crise, au nord-ouest. Les coins des profondeurs étaient peu peuplés, la population se concentrait essentiellement au centre pour chercher du réconfort. Une femme de soldat attesta de la véracité des propos concernant la horde. Elle était seule, c'est pourquoi les rebelles l'invitèrent à se rejoindre à eux. La solidarité était heureusement très présente dans ce dédale afin de faire front à la solitude, maîtresse du doute. De nombreuses amitiés se sont créées grâce à la guerre. Le savant et ses quelques compagnons allumèrent leur feu de camp, s'installèrent tout autour, tracassés par leurs amis qui se battaient certainement à la surface. Les bouches se déliaient dans ces tunnels obscurs pour faire front à la peur.
*
La situation à la muraille empirait de manière exponentielle. La plaine devenait une véritable fourmilière ; les atrocités continuaient sans cesse à faire irruption sur le vide vert. Elles se baladaient à la recherche des derniers humains hors de la capitale, les dernières sources de nourritures vulnérables. Les fermes s'embrasaient les unes après les autres. Pris au dépourvu, beaucoup de vivants mouraient. Leur seule protection était le feu, mais étouffer un torrent relevait de l'impossible. Les cadavres les plus affamés n'hésitaient pas à se ruer, contrairement aux plus jeunes encore effrayés par la lumière.
Quand Taryum regardait les archers, il n'apercevait que la terreur sur les visages. La peur s'installait sur l'enceinte. Les yeux rouges luminescents les dévoraient du regard, comme eux à l'égard d'une courtisane. Tous se demandaient s'ils allaient survivre ? C'était la première fois qu'une telle horde attaquait Wolkart, et c'était la première fois qu'une telle masse de bannis existait. Le lancier se retourna vers l'officier en charge de la muraille, mais la peur l'empêchait d'agir. C'est pourquoi, Taryum prit l'initiative par sa vaillance d'ordonner, malgré son absence de grade.
« Archers, transpercez de vos yeux et de vos flèches enflammées ces monstres d'outre-tombe. Trancheurs, descendez avec moi, et défendons la porte. Ensemble ! Les renforts se préparent, ils vont arriver d'ici peu. »
Il réussit à réveiller l'officier de sa torpeur qui immédiatement saisit les rênes et déblatéra ces ordres. Suivi des trancheurs, Taryum descendit par la tour de garde, pendant que les brûleurs décochaient leurs premières flèches.
En effet, Wolkart avait établi une stratégie particulièrement simple, mais terriblement efficace contre les bannis. Les soldats se divisaient en deux groupes. D'une part, l'unité des trancheurs qui avait pour but d'immobiliser les bannis en les découpant afin de réduire leurs mouvements et leur frénésie sanguinaire. Puis de l'autre, l'unité des brûleurs qui incendiaient les monstres. Tout le monde ne pouvait pas avoir un flambeau sous la main, surtout à cause de la pénurie de bois et donc du manque de torche.
Outre ces soldats banaux, l'armée possédait des guerriers bien particuliers qu'on appelait des cuirassiers. Ces colosses de métal étaient recouverts entièrement d'une armure qui les protégeait des morsures. Peu réussissaient à intégrer ce groupe, car le poids démesuré nécessitait une force considérable. Il ne suffisait pas de pouvoir la porter, il était nécessaire d'être endurant et fort afin de tenir le plus longtemps possible. Ainsi, une mince partie de l'armée accédait à ce statut. Les cuirassiers ne se servaient pas d'arme pour riposter, à l'image d'Arvor ; il fracassait les envahisseurs par leurs gantelets avec des pointes en métal au niveau des phalanges.
Devant la porte en bois, les trancheurs s'équipaient d'armes à mi-distance. Un ensemble d'armes les armait tel que des haches, des armes d'hasts de tout type, etc. Par extension, le groupe admettait l'utilisation d'armes contondantes comme des masses, des marteaux de guerre ou encore des gourdins pour briser les corps fragiles des cadavres. Chacun avait ses armes, car chacun achetait ses armes. Auparavant, le défaut de l'armée humaine était sa grande taille. Ainsi, la Couronne avait toujours laissé les soldats acheter leur équipement. Il en allait de même sur un niveau éducatif. C'était la famille qui s'occupait d'éduquer, et d'apprendre à manier une arme. Cela constituait la raison pour laquelle les humains demeuraient fortement inégaux sur le champ de bataille.
Taryum était meilleur au corps-à-corps grâce à son agilité. Pour l'instant, peu d'individus composaient l'escouade au contact. L'apparition soudaine de la horde les prit tous de court, normalement les créatures mortuaires sortaient au fur et à mesure de la nuit de manière assez hasardeuse. Par ailleurs, suite au glas, de nombreux cris s'abattaient sur la ville les déstabilisant. Tous les habitants étaient censés aller dans les profondeurs de la cité. Toutefois, quelque-uns se rendaient néanmoins à la muraille pour obtenir des informations sur les raisons de la sonnerie, mais furent expulsés en leur affirmant que la situation était belle et bien grave.
En prévision de l'attaque des bannis, cinq cuirassiers étaient présents. Les colosses de métal apportaient réconfort dans les rangs. C'était une valeur puissante, sûre et rassurante. Les gardes-murailles se composaient de soldats traditionnels et de rares nobles. Ledit titre s'attribuait aux familles qui se démarquaient par leur vaillance et leur combativité. Ces lignées rivalisaient entre eux pour recevoir la reconnaissance divine du roi. Une sorte de récompense pour les plus méritants et exemplaires citoyens. Certains d'entre elles avaient développé un style de combat bien spécifique, comme celle des chevaliers-dragons. Cependant cette dernière a perdu sa noblesse, car cela faisait longtemps que leurs actes ne transcendaient plus le présent. Outre leur faiblesse banale, il ne restait plus qu'un seul survivant, Taryum.
Aux côtés des trancheurs, on retrouvait par exemple Carnus, un spécialiste de la faux, et Liana, une femme qui combattait avec deux lames capables de s'emboîter en une seule, et Taryum, un descendant des chevaliers-dragons.
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