Le poids du pouvoir
Clovis, en tant qu'unique représentant de sa majesté, décida de prendre les choses en mains. Arvor n'était pas revenu de sa confrontation avec Susano, et Raijin ne se situait actuellement point dans la capitale. Le centre-ville se vida excessivement vite, puisqu'il appela une centaine de soldats à escorter les citoyens confortablement en essayant tant bien que mal de les rassurer. Le reste de l'armée se divisa équitablement en brigade en rang. Les brigadiers présents se répartissaient différents emplacement de l'enceinte. Chaque coin avait son chef. Aucun banni ne devait la traverser, c'était l'ordre à respecter absolument. Pendant la dispersion, Clovis alla rapporter la nouvelle de la menace à son suzerain qui attendait dans le palais, bien au chaud.
L'immense édifice, symbole du pouvoir despotique, ressemblait à un temple. Son architecture était digne des plus grands chefs-d'œuvre de l'art humain. La somptuosité ressortait de la façade grâce aux pierres blanches régulièrement nettoyées pour conserver le renvoi des éclats. Le feu des torches se reflétait naturellement dessus comme un reflet sur l'eau. On y avait inscrit une carte de la région pour notamment admirer l'ampleur du Royaume de Kolvary. Une coupole servait de toit. Elle demeurait à peine visible à l'intérieur de la ville. Mais tel un phare de jour, elle diffusait la lumière du soleil à travers la plaine dont elle dessinait l'horizon. Elle faisait mouche avec la flèche de la cathédrale dont le sommet représentait la sainte croix du berkholisme.
À côté de l'imposant porche, deux statues représentaient les actuels Commandants. Arvor avait l'allure d'un colosse dont les traits de sa musculature ont été affinés. Quant à Raijin, son sabre pointait vers l'extérieur. Ses yeux attestaient sa détermination sans faille qui transperçait les passants.
Au milieu de la façade se tenait l'imposant porche en demi-cercle qui était soutenu par six colonnes. Malgré l'entretien, ces dernières dégageaient un blanc grisâtre. Leurs bases volumineuses en forme de lotus soutenaient le fût orné de cannelures verticales. Sur chaque chapiteau, quatre humains y étaient sculptés. Ces statues humanoïdes représentaient chacune une fonction dans la société. Un soldat prêt à combattre, un cuirassier, un agriculteur, un marchand et tant d'autres rôles préservaient le plafond d'une chute. Un plus grand nombre se renvoyaient à l'être masculin, car la misogynie infectait cette civilisation. Réduites à n'être que des procréatrices, des couturières ou des courtisanes, quelques sculptures témoignaient de leur rôle considéré comme secondaire. Néanmoins, seules les descendantes des lignées nobles réussissaient à s'immiscer chez les hommes. La présence des familles nobles était également ancrée dans la pierre, dont celle des chevaliers-dragons à présent roturier.
Ce monument avait à lui seul la précision artistique de la capitale. Nul autre, hormis la cathédrale, n'avait été fait avec autant de détails. L'édifice lestait les passants de la puissance du roi. Ils étaient oppressés quand ils traversaient la place, comme si le bâtiment, recueil des âmes des souverains, les jugeait. Clovis entreprit l'ascension des marches blanches précédant le porche. Une fois escaladée, au centre du demi-cercle, une double porte en fer se tenait devant lui. D'une main sûre, le ministre de la Guerre ouvrit la frontière vers les poumons du royaume. Durant le laps de temps de l'ouverture, la lumière sanctifiée du roi pénétrait l'extérieur.
L'entrée donnait directement sur une pièce emblématique, la Salle des Héros. Plus coruscante que la façade, elle était dominée par deux couleurs : le blanc et le noir. Un damier dont les carrés alternaient entre lesdites nuances recouvrait le sol. À l'opposé, un blanc resplendissant assujettit le plafond auquel chacun demeurait sous la coupe. Plusieurs colonnes corrélaient ces deux plans. L'absence de base à ces dernières permettait aux cannelures, alternées de blanc et de noir, de prendre racine dans le damier pour ensuite s'épurer à travers un surplus d'épaisseur horizontal au milieu des colonnes où figuraient des humains qui travaillaient. Les moulures en sortaient blanches et aussi pures que le plafond. Sur ce dernier, il y avait aussi une sculpture représentant l'ancêtre de l'aigle royale, le Rokh. Ce symbole de Wolkart pendant la Guerre de l'Origine contrastait avec la dénomination des pontifes nains qui était identique, les Rocs. Ses ailes majestueuses s'étendaient sur tout l'espace offert aussi libre que l'air, et fort qu'un dragon.
Outre cette peinture en trois dimensions, les anciens rois avaient une place dans cette immense salle. De nombreux statues préservées du passé détruit s'érigeaient. Une particularité qui avait marqué leur règne permettait de les différencier. Sous chacun d'eux, furent inscrits sur une plaque en or leur nom, surnom, et les dates du début de règne et sa fin qui étaient numérotées en chiffres inintelligibles. Des experts ont tenté de les déchiffrer, en vain, car aucune autre source antique n'utilisait un système similaire. L'inscription numérique moderne débutait avec Moltir, c'est-à-dire il y a cinquante ans avant l'armistice. Sa plaque avait été changée dernièrement.
Au total, il devait y avoir une vingtaine de rois. Des espaces vacants attendaient la venue des futurs descendants. Cependant, il n'était guère possible que seulement vingt générations de suzerains les séparent du fondateur du royaume de Kolvary. Quelqu-uns ont dû se perdre dans les méandres du passé, pour une raison inconnue. Peut-être les dynasties concurrentes, ou des pitoyables rois.
Certains ont obtenu une place particulièrement importante du fait de leur exploit. Aux yeux de Clovis, ils étaient ces déités. Il les contemplait à chaque fois pour se souvenir de l'héritage qu'on lui a confié de protéger au prix de sa vie. Lesdits façonneurs de royaumes étaient Faersyth le juge qui tenait une balance où s'équilibrait une plume face au vide ; Moltir le balafré dont le visage a été marqué par la torture naine ; Therrba le penseur qui visualisait l'avenir en caressant la barbe ; Pierre de Nazareth le religieux avec les mains jointes de la prière ; Khal le conquérant, qui empoignait sa garde d'épée ; et Wolkart le premier des rois, illustre fondateur de la cité, surnommé l'automate. Ce dernier était représenté de façon sommaire. L'originel était tellement vieux que sa véritable apparence a été aspirée par le passé oublié. Néanmoins, certaines coutumes actuelles témoignaient d'une partie de l'ancien temps, notamment la famille Éole qui pratiquait des rites instruis par des rois au nom oublié. Durant ces derniers, ils psalmodiaient des phrases dont le véritable sens s'était aussi volatilisé.
Leur empreinte persévérait à travers les époques, ainsi que quelques-uns de leurs actes héroïques ou novateurs. Par exemple, c'était depuis Pierre de Nazareth que le berkholisme est devenu une religion d'État. Une histoire narrait que Therrba avait réussi à retrancher tous les nains dans leur modique Olympe, la montagne qui accueillait leur capitale, Barbe-fer. Un exploit que nul récit ne témoignait, pas même les légendes.
De plus, un sentiment d'immensité immergeait dans chacun des individus qui avaient pénétré de la Salle des Héros. Deux murs transversaux et opposés accueillaient des miroirs qui les recouvraient. Tels des démiurges, une armée de héros en pierre se dressaient jusqu'à l'infini.
Et pour finir, d'immenses tableaux étaient incrustés de part et autres de la pièce. Ils relataient des batailles contre les nains ou les elfes. Un seul fut différent. Malheureusement très mal conservé, il illustrait la construction de Wolkart par le roi du même nom. D'une main de fer et aux côtés d'un magicien au nom inconnu, il dirigeait les constructions. Rares étaient ceux qui pénétraient dans la demeure de sa majesté ; seuls les sujets proches du suzerain et ceux appelés avaient le privilège d'y entrer. L'Histoire, la puissance et la magnificence de l'architecture humaine frappaient quiconque d'émerveillement. Un sentiment d'appartenance et de fierté du fait d'être humain culminait, comme l'étaient tous les soldats suite à une victoire.
Clovis avançait dans ce lieu d'une symbolique puissante à ses yeux. Lorsqu'il passe à côté des colonnes, il regarda ces piliers aux reflets divins. Le matériau qui les composait était ardûment convoité par les Sum'taris. Au loin, dans une immense forêt, au-delà d'un lac dont la taille égalait celui d'un royaume, aux pieds des montagnes des Pinde longeant le sud de la plaine de Zéphyr, on vénérait l'ivoire. Les restes d'une de leurs déités. On racontait que celle-ci avait de longues défenses, bien plus grandes que celles des trolls, qui les protéger contre toute menace. Chaque pas provoquait des tremblements de terre, et de sa trompe, des torrents se déversaient. Dorénavant, son existence résidait dans ces blocs d'un blanc aussi pure qu'un nuage.
Outre l'extraordinaire enchantement qu'accordait la Salle des Héros, il y avait trois portes sur le mur longitudinal ; deux aux extrémités et une au centre surplombé par des escaliers blancs. Reflétée sur les marches, la lumière des braseros illuminait le chemin vers la salle du trône.
Clovis continua son odyssée en empruntant les marches qui conduisaient au cœur battant des humains. Au même moment, la porte au fond s'ouvrit. Un homme d'Église fort bien habillé sortit de la salle du trône. Il portait la mitre, les écharpes, et la sainte croix qui évoquait l'instant où Berkholt se fit crucifier par les elfes, selon la vérité religieuse. C'était l'évêque de la cathédrale berkolique de Wolkart.
Le travail à la haute responsabilité imposait à l'individu un sérieux inébranlable et un contrôle parfait de ses pulsions. Cependant, des maigres gouttes de sueur coulaient sur son front. Le souffle saccadé exprimait sa peur. Malgré le fin escalier, l'évêque ne posa point le regard sur Clovis qui esquissait un léger sourire.
Soudain, les jambes s'alourdissaient de plus en plus à la montée des marches anodines. Les rires effrénés de Faersyth s'entendaient dans les escaliers. L'éminent conseiller poussa la porte, et pénétra dans l'antre du trône. Le cœur du royaume de Kolvary. La salle était assez grande pour accueillir une vingtaine de personnes. Élevé grâce à un gradin, Faeryth était confortablement assis sur le siège du roi. Le velours rouge mettait en valeur les contours et les accoudoirs en or. Derrière celui-ci, un majestueux rokh doré était une énième magnifique sculpture que le palais regorgeait. La poitrine bondée avec des plumes parfaitement sculptées. Les ailes écartées formaient un cercle qui avait pour centre sa tête, et plus précisément un œil représenté par un joyau en sigilith. Le vert opalin prononcé du cristal laissait penser qu'elle renfermait l'héritage d'une magie ancienne.
Les vêtements en soie vêtus par le roi contrastaient avec son apparence douteuse. En effet, il était loin des rumeurs le décrivant comme un héros du champ de bataille. Rien que sa surcouche de graisse et ses bras flasques désillusionnaient. Un morceau de son repas était coincé dans sa bouche, rassasié comme chaque soir, à l'opposé de son peuple. Néanmoins, d'un simple regard il arrivait à déstabiliser n'importe qui, sauf Clovis. Par ailleurs, l'homme résistant remarqua la présence dans la pièce d'un homme qu'il jugeait indésirable. Assis à côté de la table de guerre, l'individu recouvert d'une armure de cuirassier n'émit aucun mouvement, comme figé par l'espace.
Faersyth se leva avec difficulté, et demanda en soupirant :
– Clovis, quelles nouvelles me ramènes-tu ?
– Deux bien fort contrariantes. Un homme a provoqué Arvor en combat. Le Commandant qui a saigné durant a tout de même réussi à le maîtriser. Nonobstant, Susano s'est immiscé dans le duel, et s'ensuit un débarquement de ces subordonnés traîtres. Phœnix a tenté d'apaiser nos soldats. Leur appartenance à notre autorité a vaillamment riposté.
– Toujours illusionné par la paix. Des pertes à déclarer ?
– Un faible nombre. Puis la seconde nouvelle m'est parvenu durant la rixe, ce qui a eu pour conséquence de l'interrompre. Les bannis se sont réveillé et menace dangereusement la capitale.
– C'est donc finalement arrivé. En es-tu sûr ? Les insurgés sont peut-être derrière cette mascarade.
– La surprise marquait tout autant le visage de Phœnix que de l'héraut. Nous savons pertinemment que l'ancien Commandant ne sait point mentir sur ses expressions. Il ne l'a jamais su. Nous avions prévu cette éventualité, la cavalerie piétinera ces cadavres. Wolkart peut résister aisément. Les insurgés marchent vers les quartiers est pour défendre la cité. Les brigadiers s'occupent de la défense. Toutefois, Arvor n'est point revenu de son combat. Il faudrait mieux...
Clovis se fit interrompre par le son de la cloche qui retentit dans tout Wolkar ; le glas alimentait la ville.
– Nous ne courrons aucun danger, formula le roi de Wolkart au sourire malicieux. Magni va régler ce léger problème.
– Vous avez donc accepté sa proposition, malgré le refus que je vous ai fait part.
– Il nous sera d'une grande utilité, si les choses tournent mal cette nuit.
– Cette mission aurait dû être confié aux Éoliens.
– Certes, intervint l'homme assis au fond de la pièce. Mais dois-je vous rappeler qu'à ce jour aucun de vos magiciens de souffle ne m'égalise.
Le mercenaire se leva. Son armure en plates recouvrait entièrement son corps. Les ombres des braseros dansaient sur ses plaques de métal. Ornée d'aiguilles, elle était ouvragée minutieusement. Un véritable chef-d'œuvre comme les nains n'en fabriquaient pas. Un cuirassier expérimenté ne pouvait néanmoins se lester d'un blindage aussi lourd. Nulle imperfection n'affectait la rose. À sa taille étaient fixés deux rapières dans des fourreaux au style peu commun. Des arabesques arboraient le cuir. Sur la table de guerre, il y avait une double masse aux boules hérissées situés à chaque extrémité. Tout d'abord, le cuirassier défia du regard Clovis via son œil droit. La cicatrice qui traversait l'autre l'empêchait sûrement de l'ouvrir. Le borgne prit sa double masse, se dirigea vers la porte. À chaque pas, son armure brisait le silence pesant.
– Je vais m'occuper de vos affaires, annonça-t-il en sortant libérant Clovis d'une insoutenable pression.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top