Le début de la pérégrination
Kenshin et la marchande devraient rejoindre Wolkart peu avant le crépuscule. Le royaume de Kolvary siégeait sur l'immense plaine, dite de Zéphyr, surélevée à l'ouest par de hautes falaises encerclant une grande partie de la mer du Jugement. Ces façades de roche pouvaient atteindre une centaine de coudées de haut. L'érosion permanente de la pluie et de la mer la grignotait, façonnant une multitude de cavités et de ravins de diverses dimensions. La hauteur des murs de pierres étaient assez variables pour accéder à quelques grottes à pied. L'imposante chaîne de montagnes de Pinde dessinait l'est de l'horizon verdâtre. À une éternité de lieux, ces pics enneigés se mélangeaient avec l'éclatant ciel bleu.
Selon la légende, un ancien aorass du vent, Zéphyr insuffla sur la plaine son doux souffle apportant félicité et douceur ; à n'importe quel jour, n'importe quelle année, n'importe quel âge, une brise caressait ces habitants. Nombreux étaient ceux qui sortaient pour observer la plaine et se faire transcender par son pouvoir qui apaisait la plus profonde des peines, comme la tendresse d'une main féminine. Zéphyr voilait la colère, et la volait. Même l'intrigante insensibilité de Kenshin ne pouvait y résister.
L'après-zénith était bien avancée. L'escorte se déroulait sans encombre. Un calme sans pareil conquis les deux voyageurs sur la charrette. La marchande admirait l'horizon, et le mercenaire se plongeait dans sa lecture. Le livre décrivait les types de familles des aorass accompagné d'un bout de leur histoire respective. Chacune d'entre elles possédait un pouvoir spécifique tel que le feu, l'eau, la terre, la vie, etc. La plupart des choses écrites confirmaient ce que Kenshin savait d'ors et déjà. Hormis un point, notamment sur l'aorass de vie et des arbres-mondes :
Yumis était l'une des dernières aorass contrôlant le vaste domaine qu'est la vie, plus précisément la végétation pour sa branche familliale. Elle arpentait les monts, traversait les plaines, naviguait sur les mers et affrontait les déserts dans l'unique but de créer les magnifiques et somptueux arbres-mondes. Aux nombres de quatre, du plus vieux au plus jeune, Gaokerena, Yggdrasil, Garoé et Irminsul avaient été plantées sur des zones ravagées par la guerre, en l'honneur des morts qui, on espère, ne renaîtront jamais en tant que bannis. Un lieu d'accueil pour le repos de toutes les âmes. Le seul moyen d'empêcher une résurrection en ces ignominies serait de les enterrer près d'un arbre, qu'il soit naturel ou magique. Ainsi, ces merveilles naturelles qui embrassent nos nuages et pénètrent dans les abîmes de la terre sont devenus des symboles de paix dans chaque contrée. Quel que soit l'endroit où ils sont édifiés, la vie renaît autour, même dans le Vide, le désert naturel le plus aride d'Erzia.
Suite à la lecture de cet extrait, le lecteur leva les yeux et admira au loin l'arbre en l'honneur des défunts nains et humains, Irminsul. Malgré les trois jours à cheval qui les séparaient, il apercevait son sommet qui se tenait devant l'imposante chaîne de montagnes de Pinde.
Puis, en regardant son feuillage, il se plongea dans son imagination. Étant très imaginatif, la légendaire forêt qui avait précédé la plaine se recréait dans son esprit. Les livres, s'ils demeuraient justes, expliquaient qu'elle était gigantesque, une des plus importantes du continent. Elle partait des environs de Wolkart pour aller jusqu'à la mer de Njörd, celle qui englobait tout le nord d'Erzia, en longeant les montagnes. Cependant, la guerre de l'Origine condamna les forêts les unes après les autres, les seules inchangées étaient celles des Sum'taris et la jungle interdite de Wool. Aujourd'hui, le bois de la plaine se limitait à la forêt des Damnés située au nord-ouest, célèbre pour ses légendes macabres sur d'inquiétantes disparitions. Le propriétaire de la plaine avait changé, la forêt avait laissé sa place aux êtres vivants.
Aujourd'hui, la plaine abondait de cultures agricoles produisant des légumes, tels que des carottes, des pommes de terres, et pleins d'autres succulents aliments. Mais depuis la paix, les bandits devenaient nombreux, et leurs attaques fréquentes ; des fermes étaient victimes de vol, ou de saccage, malgré le profond respect envers ces agriculteurs qui nourrissaient le monde de leurs mains. La volonté de survivre éprouvée par le manque d'argent les forçait à commettre de tristes actes. Les bannis ne se faisaient également point rares la nuit. Lesdits humanoïdes surnaturels ne propageaient que la désolation. Ces créatures effrayaient occasionnellement, ils constituaient généralement des cibles isolées et faciles à abattre. Le moindre contact avec l'astre solaire les tuait instantanément. Idem avec les flammes. Tout soldat privé, dont Kenshin, avait déjà incendié ces vagabonds durant des gardes nocturnes.
Le sourire aux lèvres, sa patronne lui adressa la parole dès qu'elle le vit contempler l'arbre-monde :
– Je suis surprise à te voir amadouer par la beauté de cet endroit. Après, je comprends ton sentiment, il est vrai que cette plaine a quelque chose d'unique, même si j'ai énormément voyagé dans ma vie. Notre peuple a indéniablement construit un merveilleux royaume.
– C'est plutôt l'ancienne forêt qui me fascine, répondit-il sans aucun émerveillement dans la voix.
Ostensiblement, la marchande regarda son livre et sourit. Kenshin n'aimait pas discuter, c'était une perte de temps selon lui, donc il ne réagit point. Son orgueil le poussait à penser qu'il savait bien plus de choses que les autres qui demeuraient, à ses yeux, inintéressants. Sa vision pessimiste du monde n'aidait en rien celle qu'il avait des personnes. Dominée par l'envie d'échanger, elle ajouta :
– Il est rare de voir des personnes passionnées par la lecture, et en plus, d'avoir l'œil pour reconnaître les ouvrages de qualité.
C'était la première fois du voyage que Kenshin, étonné de sa remarque, la regarda.
– Il est rare de voir des personnes qui y font attention. La lecture fait fuir plus d'un.
– Les livres sont sources de savoirs, uniquement s'ils sont écrits par les bonnes personnes. Celui est excellent, tu peux avoir une totale confiance en ses propos, affirma la marchande souriante.
Elle changea d'expression lorsqu'elle vit une épaisse fumée qui provenait d'une ferme à quelques lieux. Un feu !
– Ne vous inquiétez pas, c'est certainement un fermier qui brûle son fumier, reprit le mercenaire fier.
– Détrompe-toi, celui-là n'est pas contrôlé. La fumée est anormalement épaisse. Par ailleurs, je ne pense pas que les flammes à la hauteur du moulin soient normales, répliqua la femme modestement.
En continuant leur route, le silence saisit les deux protagonistes absorbés du regard par l'évènement. Plus ils s'approchaient, plus les flammes capturaient le moulin et l'habitation. Soudain, un cri de désespoir brisa le mutisme pesant.
– Va mercenaire, ordonna la femme en tirant les rênes. Je te rejoindrai une fois préparée.
Malgré lui, le mercenaire obéit, sauta et accourut vers le lieu en proie aux flammes. Il souhaitait que cela soit une erreur humaine, et non pas une attaque de bandits avides. Par doute, il mit quand même son gant qui était tenu à son baudrier, nullement craintif par ce qui l'attendait. Si un combat devait survenir, confiant en ses capacités, Kenshin gagnerait.
Arrivé sur les lieux, Kenshin observa les flammes ardentes qui avaient dompté le moulin, à quelques instants de son effondrement. Des bouts d'ailes tombaient. C'était certainement un acte criminel. La paille stockée à l'intérieur et le bois flambaient à une puissance telle que les pierres éclataient, après avoir noirci. Contiguë au moulin, l'habitation était moins atteinte, mais allait inéluctablement subir le même sort.
Kenshin entendit une conversation peu aimable provenant de la maison. Le mercenaire se rapprocha. À travers les flammes et les craquements du bois, son oreille distingua de l'agressivité dans une voix humaine :
– Arrête de chouiner ! Cha te chauvera pas, dis-moi où tu caches ton argent, ou tu pourriras en brûlant avec che qu'il te rechte de ton trou à rat.
– S'il vous plaît ! bredouilla une autre voix pleureuse. Arrêtez ! On a à peine de quoi pour vivre... Que l'Éternel ait pitié de nous.
Kenshin entendit une lame se dégainer entourée du crépitement environnement qui s'amplifiait comme les pleurs.
– Rien à foutre, reprit la première voix. Donne-moi tes japs !
– Libérez mon enfant, je vous en supplie.
Le nombre de personnes à l'intérieur était indéterminable. Pourtant sans hésiter, il dégaina son épée. Montrer à la marchande qui y l'était lui facilitera l'obtention d'un pourboire. L'affrontement était certain.
– Chi tu nous dis pas où che trouve ta richèche je te fais chaigner comme un porc, reprit l'homme à la voix grave.
Les prochains cris de douleurs le fit réagir, Kenshin se décida enfin à pénétrer dans l'habitat. Il vit six personnes, dont quatre debout et armées de serpes ou d'épées. Leur équipement était aussi maigre qu'eux, comme s'ils sortaient d'un taudis. Le manque d'argent les a transformés en truands. Il y avait également deux personnes agenouillées, certainement le fermier et son fils vu l'âge. L'otage, qui luttait pour son fils, s'était pourtant effondré par perte d'espoir. Les sanglots et les bégaiements parlaient pour lui. Néanmoins, dès lors qu'il vit Kenshin intervenir, une ouverture d'allégresse le saisit.
L'homme qui avait mutilé le fermier, lui grogna :
« Dégage clabaud, ne te mêle pas de nos affaires ! »
C'était certainement le chef, il était le mieux équipé, et son pathétique tricorne lui donnait un style scabreux tel un pirate échoué. Sans répondre, Kenshin plaqua un bandit qui se trouvait à droite de lui contre le mur par la force de son gant. Deux autres hommes dégainèrent leur arme et foncèrent vers Kenshin qui répondit en projetant l'homme maîtrisé contre le brigand de droite, puis bloqua l'attaque de celui de gauche, et suite à un rapide désarmement, lui trancha la gorge d'un coup net. Le sang gicla comme un canard, et le cadavre chuta.
Le mercenaire se remit dans sa posture de garde : le gant en avant, au niveau du torse, et la pointe de l'épée surélevée, et maintenue par la main gantée. Il faisait incroyablement chaud dans la maison ; des gouttes de sueur dégoulinaient sur les corps. Un bruit sourd et puissant se diffusait, suivi d'une forte secousse. Le moulin venait de s'effondrer.
Certains bandits étaient surpris de sa maîtrise d'arme, le reste paniquait. Le chef ordonna à ses larbins de riposter. Cependant, son affolement se transparaissait dans ses gestes et sa voix, ce qui ternit le calme et la confiance de ses acolytes. Les deux hommes tombés au sol se levèrent et foncèrent vers Kenshin. Concentré, aucun sentiment ne le perturbait, même pas la culpabilité d'avoir tué ou la crainte de mourir ; dans le même état que lorsqu'il lit un livre fascinant, une sérénité inaliénable le transcendait.
Le chef des bandits combattit sa frayeur, et chargea le mercenaire. Ce dernier pouvait résister à deux hommes, mais difficilement à trois. Il bloqua les deux adversaires mineurs respectivement avec son gant et son épée, tandis que le meneur continuait sa percée. L'homme résistait avec ardeur pendant que le pleure-misère se rapprochait de plus en plus. Ne pouvant se libérer des deux autres qui retenaient ses armes, Kenshin désarma le brigand qui retenait son gant en prenant l'arme ennemi à pleine poigne, puis le tira vers lui ce qui le fit chuter. Kenshin libéra l'épée de l'autre afin d'abattre son allié. Il saisit celui debout, et le projeta contre le chef qui trébucha avec lui. L'épée qui sortait de torse du sous-fifre attestait sa mort. Les râles d'agonies se mélangeaient avec la crépitation. Le mercenaire en profita pour tuer celui au sol déjà entailler. Sa vélocité lui fit dominer ce combat. Il n'avait même pas eu besoin de l'aide de sa patronne qui n'était d'ailleurs toujours pas arrivée le regarder. Dommage.
En outre, le fermier adulte était tombé dans le coma à cause des nombreuses lacérations qui l'arboraient. La torture des cupides fut violente, beaucoup de sang coulait sur lui. Le mercenaire le mit sur son épaule. Son fils, sous le choc, suivit mécaniquement Kenshin en dehors de la baraque qui commençait lentement à s'écrouler. Ils coururent en dehors de la maison fermière, le moulin s'était effondré sous l'emprise des flammes, bientôt la maison connaîtra le même sort. Kenshin réussit à sauver l'innocente famille agressée.
Soudain, un bruit sourd se fit entendre derrière eux, la porte de la maison fut fracassée en sol. Le chef des bandits recouvert du sang de son ami sortit des flammes. Armé de son arc, il hurla en tirant sa flèche sur Kenshin :
« Meurs, sang impur de Berkholt ! »
Mais l'attaque surprise surprit le mercenaire pris au dépourvu. Il ne pouvait pas se déplacer, s'il esquivait son tir c'était la mort assurée pour le fermier. Pourtant, à ces yeux, cette vie valait moins que la sienne. Le sacrifice serait donc légitime. Néanmoins, par la grâce de Berkholt, son tir fut intercepté. La marchande sortit de nulle part, bloqua la flèche avec son bouclier. Par son agilité, elle saisit son arc et décocha un trait qui transperça le torse du bandit, ce qui l'acheva définitivement. L'archère à la précision remarquable regarda Kenshin et lui dit :
« En fait, mon nom est Hura, j'ai oublié de te le dire. Ravie d'avoir sauvé l'homme qui est censé me protéger. »
Son visage souriant disparut dès qu'elle vit l'ampleur de la blessure du fermier, et d'un ton sec ordonna à son employé :
« Assez parlé. Va chauffer ton épée avec les flammes pour la stériliser, puis ramène des bouts de tissus pour le bander. »
Il partit chauffer son épée, la donna à Hura, puis alla chercher des bouts significatifs de tissus en déchirant les vêtements des bandits, et les stériliser approximativement avec la chaleur encore bien élevée. Hura sortit de sa sacoche un baume d'Aerith, issu d'une fleur blanche ayant un effet sédatif, et qui poussait dans les forêts des arbres-mondes et celle des Sum'Taris. La marchande l'appliqua sur les plaies du fermier. Kenshin avait entendu parler de ses baumes médicaux, mais c'était rare de voir une personne ordinaire en posséder. Le savoir médical s'était perdu. L'humaine, qui était aussi bien lectrice que soigneuse, fascinait de plus en plus le mercenaire.
Quelques instants plus tard, Kenshin revint avec les chiffons servant de bandages de fortune. Hura les appliqua sur la jambe, l'épaule, le bras et le torse ensanglantés. Troublée, elle regarda Kenshin. Elle prit le corps en agonie du fermier. L'enfant de celui-ci les suivait toujours, encore sous le choc, ça devait être la première fois qu'il se faisait attaquer par des bandits. Inquiet, il leur demanda :
– Mon père va bien ?
Kenshin sentait sa voix se mollir par la peur.
– Je vais de ce pas à Wolkart avec un cheval, annonça sérieusement Hura. Je connais quelqu'un qui pourra sauver ton père. Kenshin prend l'enfant avec toi et, avec l'autre cheval, allez à Wolkart en emmenant la marchandise. S'il y a des gardes, montre ce certificat. On se rejoindra dans l'auberge du Marchand Nordien à l'entrée nord de la ville, à la tombée du crépuscule. Demande-moi à l'aubergiste. Que Berkholt soit avec nous.
Elle monta sur son cheval avec le corps du fermier agonisant, et s'élança vers Wolkart.
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