La pénombre de la victoire
Le crépitement du feu était agréable à écouter. De temps en temps, les échos de cris et pleurs du désarroi parvinrent jusqu'à Lazare. À force, personne n'y réagit. De plus, un étrange bruit s'immisçait dans les échanges. Cela faisait déjà un long moment qu'on l'entendait. Son origine intriguait le second des révolutionnaires. Normalement le silence était éternel en ces lieux. Le temps passait, les inquiétudes avaient donc leur place à présent. Que sa passait-il donc à la surface ? Les hurlements de la surface n'aidaient pas non plus à apaiser l'anxiété. N'ayant aucune réponse, les insurgés voyageaient parmi les asiles de terre pour discuter et rassurer les wolkins. Pour les plus démunis, ils fournissaient de quoi faire un feu, ou les invitèrent autour du leur, là où Lazare et d'autres patientaient. Vers la fin de l'Originel, où moment de la création de la communauté sous l'influence grandissante de Sperat, ils avaient déjà instauré ces habitudes de réunions. La paix établie, la pauvreté s'était creusée chez leurs congénères. Lazare a eu la bonne idée de ramener de la nourriture pour subvenir aux manques des victimes de la dépossession. Ainsi, des cuisiniers s'amusaient à cuire des ragots en masse pour les partager. Certes de piètre qualité, mais ça réchauffait assurément les cœurs. Se voir exister auprès des personnes demeurait être la meilleure sensation imaginable.
Les royalistes refusaient leur aide et les injuriaient d'hérétiques de la Couronne, voir de traîtres à la nation. Leurs oreilles avaient pris l'habitude d'écouter les postillons se dégainer. Amicalement, il répliquait après avoir appelé à un calme citoyen :
« Nous aidons les personnes dans le besoin, loin de vouloir attaquer votre Couronne. Nous comblons ces erreurs, et l'oubli de son devoir de protection. Rien de plus simple. »
Généralement ça calmait les tensions qui se concluaient par des soupirs imbibés de mépris. Aussi insignifiant qu'influenceur, leurs remarques n'impactaient pas. Les wolkins s'attroupaient vers l'emplacement des révolutionnaires qui n'étaient autres que leurs concitoyens. Différents groupes d'insurgés se formaient çà et là dans le dédale de terre. Les révolutionnaires pouvaient aussi apporter l'ordre dans ces profondeurs, car les criminelles remontaient des abysses pour tenter de dérober. Les cloaques qui leur servaient d'abri se situaient là où l'obscurité régnait, au plus loin de la surface.
Durant les échanges, il arrivait qu'un débat d'idées survînt. Les rebelles, sous consignes de Lazare ou de Phœnix, devaient rester amicales et ne guère s'imposer. Ils arrivaient généralement à mettre en doute les principes. Il était facile de faire changer d'avis à des personnes incultes et non instruites. Ces wolkins désiraient un changement, quel qui soit, car leur situation ne pouvait pas être pire qu'à l'heure actuelle. D'autres rejetaient l'idéologie sans pour autant les blâmer de leur souffrance ; une qualité sincèrement admirée par Lazare. Les principaux sujets abordés étaient la volonté de créer un système d'autorité plus juste et transparent, une éducation pour tous, ou encore l'Histoire. C'étaient des thèmes qui passionnaient la plupart des personnes.
Cette stratégie redorait leur mauvaise réputation entachée par leur passé. « Qu'il soit maudit Georges », pensait Lazare. Il ne tolérait point l'erreur, et comblait donc l'imprévision de Phœnix. De plus, le second des révolutionnaires avait appris que des détracteurs de la Couronne se faisait passer pour un des siens et prônait la violence. Clovis était vicieux, l'insurgé avait un adversaire redoutable en manipulation.
Une famille médisait leurs actes, sous motif que le père qui avait soutenu Georges était décédé. Trépassé à cause de ses convictions de renouveau partagés par les insurgés, son enfant et sa femme les haïssaient pour cela. Lazare tenta seul d'établir un dialogue avec. En vain. Après l'enchaînement de colère à son égard, il décida de s'excuser, pour un mal qu'il n'a jamais participé, et de partir. Il détestait perdre son temps avec des individus butés comme une pierre. Malgré sa rogne, le révolutionnaire les invita tout de même à se servir en ragoût. Soudain, un sourd fracas interrompit ce moment énervant. Un silence saisit les trois personnes inquiètes. Un effondrement ?!
Une fois sorti de la salle, ses oreilles lui transmettaient des maigres bruits de pas dans un couloir annexe conquis par les ténèbres. Lazare remarqua des faibles mouvements qui se dessinaient. À travers la pénombre, deux points rouge sang le fixaient. Un banni ?! L'homme immédiatement saisit une torche. Vaillant comme un soldat, il s'approcha. Une simple étincelle suffisait à les incendier. C'était simple comme bonjour.
« Y a-t-il quelqu'un ? », demanda Lazare à la prudence exemplaire.
Seul un puissant souffle lui répondit. Perplexe, il avança armé de sa lumière. Il était impossible qu'un banni puisse atteindre cette profondeur. Le feu de sa torche lui donnait du courage, et elle éclaira peu à peu deux pattes, puis deux bras, puis une tête de démon. Il ne ressemblait pas à un banni. La créature était relativement petite, mais bien plus qu'un nain. Son corps était recouvert de poils, et sa peau avait une apparence plus épaisse et solide. Des griffes acérées recouvertes de terre labouraient, comme avant la charge d'un taureau. Le plus étrange était la présence de cicatrices sur lesquelles des sceaux noirs figuraient. Il en comptait plusieurs sur son bras droit ; trois à première vue.
Qu'était-ce ?!
Le révolutionnaire fut abasourdi par la scène qu'il observait : un visage sans cheveux se pourléchait, deux yeux vivement ensanglantés, un sourire macabre ostensible, et une queue ressemblant à une lance balayait l'air. Plus le corps sortait de l'obscurité, plus un corps pourvu de poils, de cicatrices, et de terreur se dressait. Une telle bête avait sa place dans les cauchemars les plus effrayants. C'était un corps humanoïde à quatre pattes totalement nu dépourvu de partie génitale. Jamais il n'avait vu ce genre d'abomination. Arvor demeurait presque normal à côté.
Par réflexe, Lazare recula tandis que le démon avançait lentement sondant son futur repas. Elle se délectait du moment. L'humain, à quelques pas du monstre, remu sa torche afin de le faire fuir comme il le ferait face à un banni. Il implora la femme et l'enfant de décamper. Cependant, la mère, toujours colérique, refusa d'écouter. Apeuré, il insista en leur décrivant l'incarnation de la mort dont il faisait face.
Une fois sortie de leur antre, la famille remarqua l'horreur. Apeurés, elle et Lazare fuirent dans le sens opposé. Cependant, l'enfant trébucha et tomba. Le démon en profita pour lui sauter dessus. Avec sa queue, il captura la jambe infantile. Le jeune wolkin hurla ; son effroi résonnait dans toutes les profondeurs. Le monstre positionna ses griffes en pointe au-dessus de son cœur, puis il transperça son buste tel une lance. La pompe biologique fut extraite. La créature le dévora en le savourant.
La mère sous adrénaline vola la torche de Lazare et le chargea. Se sentant en danger, l'abomination lui saisit la jambe avec sa longue queue, et la fit chuter. Il s'approcha de sa proie tout en lui broyant sévèrement le membre emprisonné. Cependant, submergée par un désir intense de vengeance, elle lui incendia le bras qui prit facilement feu grâce aux poils secs. Hurlant, le démon recula. Il se mit sur ses deux jambes tel un humain. Il éteignit les flammes en frottant son bras contre le mur. Lazare remarqua que les sigils noirs disparaissaient avec le feu. Les cicatrices, désormais ouvertes, dégageaient une étrange et fine fumée rouge.
En représailles, le démon cracha le sang du fils sur la mère paralysée du pied, puis il s'enfuit vers ses ténèbres. À l'écho des hurlements particuliers, des compagnons de Lazare se joignirent à ce lieu mortuaire. Ils portèrent secours à la femme agonisant. Son pied brisé était arpenté par des fleuves de sang. Sa tête contre le torse de son défunt enfant. Elle pleurait de désarroi, de peine, et de désespoir toutes les larmes de son corps. Plus de mari. Et dorénavant plus d'enfant. Le destin s'en était pris à elle.
Lazare reprit lentement ses esprits, il chercha dans ses souvenirs si un tel monstre n'avait pas été décrit dans une histoire, une légende, ou un quelconque mythe. Mais, aucune illumination ne lui parvenait. Le cadavre de l'enfant et la mère paralysé de la jambe furent transportés à la surface, observés par les wolkins désemparés sur le chemin. La peur et le chaos se matérialisaient sur leur visage. Une scène irrationnelle qui n'avait pas lieu d'être dans le refuge souterrain. Cet endroit devait protéger de la terreur, mais actuellement, elle était sa quintessence.
« Un animal aussi terrifiant pouvait-il réellement exister ? Les affrontaient-ils à la surface ? » se demanda Lazare en proie à la panique.
*
Les augures étaient enfin arrivés à la demande du front nord. Après une communication étroite avec la nature qui consistait à étudier le ciel et les vents, ils délivrèrent une prédiction négative sur l'avènement de la pluie. Merci Berkholt !
L'officier rassuré en charge du front nord remarqua d'étranges mouvements à l'intérieur de la horde. Son inquiétude poignarda son soulagement. Brusquement, à travers les pieds des bannis, il vit une chose étrangement fine... une queue qui se mouvait tel un serpent. Elle saisit la jambe d'un soldat, puis le tracta vers l'essaim affamé qui le dévorait.
« Qu'est-ce que ça pouvait être ? » se demanda-t-il angoissé sur le parapet de sa tour.
C'était aberrant, jamais de son vivant il n'avait vu une telle chose. Éparpillés dans la horde, des têtes démoniaques surplombaient les bannis. Ils apparurent simultanée çà et là. Les foyers éclairaient leur visage enténébré où des rictus effrayant se dessinaient. Leur queue balayait l'air et l'espoir d'une victoire absolue. C'étaient des démons, des atrocités poilues couvertes de cicatrices scellées sur les bras. Ce fut la première fois qu'ils attestaient leur existence. Une sidération absolue saisit l'officier. Son réel adversaire se montrait. Il fit rapidement le lien entre ces créatures qui lui étaient inconnus et le massacre des chevaliers. Leur présence avait-elle pu provoquer cette horde si anormale ? Les bannis ne leur prêtaient nullement attention, comme s'ils étaient invisibles à leur égard. Ils avaient attendu que la fatigue n'arrive pour se manifester. Ils étaient donc contrairement aux cadavres, des êtres dotés d'une intelligence développée. Quel diable avait bien pu toucher Erzia pour créer de telles abominations ?
Les démons retiraient les torches et ils projetaient les bouts de bois éteints sur les foyers afin les faire taire à leur tour. Les soldats au sol ne réagissaient pas assez vite ; dès qu'ils apercevaient la queue, elle avait déjà saisi leur âme. Tractés tels des objets, ils hurlaient à la mort. Malgré la précision spectaculaire des sagittaires, les monstres de la bassesse esquivaient le courroux de Berkholt comme le font des enfants qui jouaient au chat et à la souris. Le brigadier avait donné l'ordre aux meilleurs tireurs de les cibler en priorité, mais en vain. Aucune de ces extravagantes créatures ne fut touchée. Le wolkin espérait secrètement qu'un effleurement les aurait incendiés. Ces entités étaient devenues plus menaçantes que les bannis en obscurcissant considérablement le champ de lumière, et donc le temps de repos des soldats épuisés. Ils agissaient différemment des bannis, eux réfléchissaient. C'était une évidence.
En plus d'être intouchable, les démons narguaient les archers en surplombant de temps en temps les bannis. Un vulgaire jeu de taupes dont aux vainqueurs d'ors et déjà déterminés. « Pour l'instant ! » se juraient les sagittaires. Ils piquaient au vif la détermination et la bravoure des wolkins se sentant humiliés. Un challenge se relevait à eux, beaucoup ne baissaient nullement pas les bras. Certains archers se focalisaient profondément sur ces monstres : ils suivaient, épiaient scrupuleusement leurs mouvements à travers les intenses ténèbres. Les mouvements des créatures se répétaient assez souvent. Ceux en amont leurraient dans le but de laisser leurs jumeaux agir.
Puis soudain. Eurêka ! Un archer réussit finalement à transpercer une de ses horreurs. La satisfaction agrippa l'heureux gagnant. Les entités provocatrices changèrent d'expression. Les sourires s'abandonnaient aux dents assoiffées. Davantage prudents, le jeu de taupe s'était clos. On remarqua que certains démons se dirigeaient vers l'est, vers un autre champ de bataille.
L'officier profita de l'arrivée des premiers messagers, dont un de la ligne sud qui ne mentionnait guère ces créatures, pour envoyer les arrivants aux autres fronts afin de les prévenir de cette nouvelle menace qui allait altérer fortement l'issue de la bataille. Si un seul front tombait, c'était toute la cité qui était perdue.
Le nord commençait à perdre du terrain, face à une horde qui s'impatientait. On tuait sans savoir réellement si ça impactait leur effectif démentiel. Le temps allait être déterminant. Et les démons s'ajoutant, le cours de la bataille changea. Les humains subissaient leurs actes réprimés rarement, mais fatalement.
*
Le messager provenant du front nord rejoignit les révolutionnaires. À l'instant de l'annonce de la survenance d'étranges ennemis, ces derniers se dévoilaient. Phœnix constata de ses propres yeux un nouvel ennemi de la vie.
Les démons s'en prenaient direct aux archers en escaladant grâce à leurs sauts vertigineux et leurs griffes perforantes. Heureusement les tours et les parties défendues par l'enceinte étaient plus élevées que la hauteur de leur saut. Mais l'effet de surprise fut totale, et pleinement usée. Au moins une dizaine d'eux apparurent au même instant. Pendant que certains accrochés aux pierres saisissaient les sagittaires avec leur queue ou leurs mains articulés et les projetaient dans la foule des affamés, d'autres s'élevaient devant eux les désemparant au plus au point. Tous mesuraient une coudée supplémentaire par rapport aux humains ou aux nains. Face à eux, les petits humains devaient pencher leur tête vers le zénith pour pouvoir les regarder. Extrêmement humiliant.
« Baissez-vous ! » hurla Phœnix.
Une boule de feu fusa, et éclata dans le dos d'un démon qui hurla son agonie par un cri portant à un aigu strident brisant les oreilles, comme si on rayait du métal. Cela surprit encore une fois les combattants nerveux d'écouter. Le feu magique éveilla la rigueur des soldats qui se relevaient avec la détermination de ne point se laisser abattre. Percevant nettement leur environnement, la vitesse de réaction de leurs adversaires dépassait l'entendement. Les contre-attaques étaient vives, et fourbes, comme s'ils connaissaient toutes les failles des êtres humains. Les vivants bien plus nombreux réussirent à en éliminer quelqu-uns. Des trancheurs furent déployés sur la muraille pour protéger les précieux archers. Toutefois, les monstres étaient immensément plus agiles et rapides qu'eux. Cependant, le nombre de soldats permit de maîtriser l'attaque, et d'en tuer quelqu-uns. Les cris d'agonies apportaient une ambiance malfaisante et malaisante. Le timbre de voix fluctuait parmi eux.
Menacés, les créatures s'enfuyaient en bondissant dans la horde qui s'écartait volontairement avant l'impact afin de créer un espace où atterrir facilement. Les démons contrôlaient les bannis ?! Phœnix le remarqua.
La situation avec les bannis était déjà difficile à stabiliser, l'apparition des démons allait compliquer davantage les choses. On ne savait pas grand-chose sur eux. Ils attendaient parmi la horde en inspectant les mouvements des wolkins. Le bombardement constant des sagittaires les mettaient en danger s'ils s'approchaient de la ligne des boucliers. Chaque erreur était punie d'une mort assurée. L'inattention, le regard perdu, ou durant le chargement de l'arc.
*
Sur le champ des lumières, les torches s'éteignaient petit à petit, malgré l'unité des brûleurs qui essayait tant bien que mal de les renouveler. Seulement quelques démons furent éliminés au sur le front. Leur nombre avait diminué depuis leur migration à l'est. De plus, les carquois se vidaient à une vitesse affolante. Avant l'aube, les stocks seront épuisés. C'était évident.
En vu de la situation tendue, l'officier qui s'octroyait un pouvoir de commandement se plongea dans son esprit dans l'optique de concevoir une nouvelle stratégie. Après un léger moment, il avait décidé d'un plan : à la place de maintenir la horde à l'écart grâce au feu, ils devaient canaliser leurs flux ennemis, et faire sortir les démons de leur cachette. La tactique actuelle n'était pas efficace. Les bannis n'avançaient pas. Cependant le manque d'information sur le démon le tracassa. Il débuta l'opération en ordonnant aux brigades vacantes de ramener le plus de bois, de foins et de jarres d'huile inflammable afin d'instaurer des véritables murs enflammées. Les entrepôts qui stockaient les matériaux se trouvaient dans le quartier portuaire, à l'ouest de Wolkart. Le transport allait nécessiter un temps considérable.
Le raid wolkin allait également vider les faibles stocks de bois, déjà qu'ils soient bien entamés avec le champ de lumière. Mais ils n'étaient pas assez nombreux pour tout transporter. Par conséquent, Taryum, suivi de quelques camarades, prit l'initiative d'aller chercher de la main d'œuvre dans les profondeurs. La nation se lèvera certainement pour faire face la menace qui désirait la réifier.
*
Phœnix s'illustrait dans toute son ampleur avec ses jets de flammes, ce qui lui valut d'attirer l'attention des nouveaux arrivants. Plusieurs démons ascensionnaient simultanément les tours de guets, parmi lesquels trois montèrent sur la tour au centre là où se situait Phœnix. Préoccupé par ses nouveaux adversaires qui s'approchaient dangereusement de lui, l'aorass essaya de les neutraliser à distance grâce aux boules de feu, mais ces êtres agiles les esquivèrent sans soucis. Escalader était dans leur gène ; leurs griffes pointues perçaient la pierre suffisamment pour s'agripper. Ils voltigeaient tels des oiseaux et s'agrippaient en cours de vol à la tour. Cependant, au moment où un des démons lui sauta dessus, il réussit à l'enflammer. Son assaillant chuta sous l'emprise des flammes purificatrices en étranglant le ciel de ces hurlements.
Un démon apparut derrière lui à quelques mètres, et tua les archers à proximité aussi rapidement que la faucheuse. Seul face à lui, Phœnix fit apparaître son épée dans sa main droite. Le monstre le feinta en s'arrêtant brusquement après quelques pas vers lui, alors que lui avait débuté sa riposte. La créature avait réussi à détourner l'attention ; une énième créature lui bondit sur le dos. D'une part, elle l'immobilisa en s'agrippant à son dos. De l'autre, elle le dépeçait ; du sang coulait des nombreuses lésions.
Le feinteur le chargea de nouveau pour lui donner le coup final avec sa main en pique. Malgré la faucheuse qui le guettait, Phœnix, meurtri par la fatigue du combat, ferma les yeux, se concentra pour réunir ses dernières forces. Puis il fit apparaître des sigils qui recouvrèrent son dos. Une déflagration embrasa son geôlier qui s'efforça de le maintenir entre ces griffes. Mais ce dernier lâcha prise rapidement, contraint par l'intense douleur. Ensuite, l'aorass rassembla le feu sur ses bras. D'une main de flamme, il saisit la lance humaine, et l'attira vers lui. De l'autre, il empoigna la tête du démon, et serra fort son emprise. Les démons enflammés hurlaient des sons stridents. Phœnix conserva son sang-froid. Tailladé au cou, au torse et aux bras, Phœnix avait vaincu. Néanmoins, il fut abattu par la fatigue qui le dominait puissamment et les douleurs qui sinuaient en lui.
Soudain, quand il se retourna, l'exténué vit un démon passer inaperçu grâce à ses semblables. L'abomination trancha les cordes qui maintenaient un pont rudimentaire en place. Tous les archers dessus tombèrent sur le rempart des boucliers.
L'aorass puisa dans ses ressources vitales. Tout en s'effondrant sur le sol froid de sa tour, il envoya ces dernières boules de feu pour conférer un temps de répit à la muraille humaine afin de se reconstituer correctement. Dans les deux camps, un carnage eut lieu. Les démons mourraient à petit feu, et les corps des humains morts jonchaient l'enceinte. Une bonne moitié des monstres réussirent à s'évader dans la horde, et deux assaillants s'enfuirent dans Wolkart. Personne ne les poursuivit. Il allait trop vite, mais on ordonna à quelques soldats de surveiller leurs arrières, notamment les frondeurs.
Les salvateurs continuaient à ensevelir de feu les êtres assoiffés de mort, tout en marchant sur les cadavres de leurs confrères. Quant à Phœnix, il succomba à la fatigue extrême, et se plongea dans un coma comme son ami Susano.
« Pour la vie », se disait-il.
*
Les premiers soldats arrivèrent avec le bois demandé, suivi quelque temps après par des civils avec les cargaisons de rondins, émouvaient énormément les combattants dans lesquels la volonté de les protéger battait à son paroxysme. Certains voyaient le visage de leur tendre moitié et de leurs adolescents dignes d'être de fervents défenseurs de la cité. Une dernière caresse affective, un dernier contact avant de repartir au front. Les flammes de la détermination ravageaient la fatigue.
Après la retraite des soldats du champ de lumière, le brigadier ordonna de fermer la solide porte en bois. Certes, cela ne défendra pas la cité d'une horde, mais elle devra brûler pour les repousser. Un sacrifice hautement acceptable, ce n'était qu'une banale porte. En attendant, on la solidifia avec des rondins posés en biais. Des tas de bois furent disposés derrière elle, ainsi que des grandes quantités de foin.
Le blocage au nord était fin prêt. Tout en renforçant les rangs des trancheurs sur l'enceinte, la majorité de soldats s'acheminait vers le front est. Laisser le sort de la cité entre les mains des révolutionnaires dégoûtaient amèrement les soldats de la Couronne. Une brigade resta pour protéger les sagittaires des escalades ennemis. Les bannis formaient des montagnes pour s'élever et les démons bondissaient et voltigeaient tels des fauves. Une petite brigade commandée par Taryum était chargée d'embraser les amas de bois à la porte et simultanément cette dernière.
Les démons étranglaient le champ de lumière. Ils avaient redoublé de vigilance dans tous leurs actes. Les archers lisaient dans leurs mouvements. Le repos conséquent que beaucoup de soldats ont reçu couplé au fait de revoir leur famille avaient de nouveau gonflé leur héroïsme et leur ténacité. La fatigue ne constituait qu'un souvenir. Ces sentiments communs se partageaient entre tous ces braves guerriers. Cependant l'exténuation traçait son chemin. Et personne ne pouvait l'arrêter.
Pendant que les troupes se dirigeaient à l'est, la grâce de Berkholt les accueillait. Derrière la chaîne de montagne du Pinde, le ciel prit une couleur plus vive, un mélange de nuances colorées chaudes, le signe de l'aube, symbole d'une victoire qui s'approchait. Le rêve de l'achèvement du dur combat qui affectait tant le moral que le physique s'illustrait devant eux. La nation reprit des couleurs de l'espoir. Cependant, il fallait encore tenir jusqu'à la levée complète de l'astre solaire. Si les bannis atteignaient les profondeurs de Wolkart, toute la bataille n'aurait servi à rien. Certains bunkers se situaient non loin des lignes de combats.
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