Les Humains

Quand j'ouvre les yeux, je me retrouve dans un décors familier.

Un salon. Je suis sûre que je ne l'ai jamais vu ici, mais le style et l'ambiance m'indiquent qu'il fait clairement partie de ce manoir.

Sur la table basse, un verre d'eau accompagné d'une petite pastille blanche crie mon nom :

-Par ici, Lisa. Regarde par ici.

Je tourne la tête et m'en empare aussitôt.

-Monsieur le médicament, je compte sur vous pour chasser les nains qui confonde mon crâne avec leur mine.
Dites leur bien qu'ils ne trouveront pas de pierres précieuses là-dedans. Merci d'avance.

J'avale alors le médicament d'une traite et me recouche dans le sofa.

Moelleux. Confortable.

Comme tous ceux de cette maison, je présume.

Un instant, j'hésite à aller arpenter les couloirs comme il était de coutume que je le fasse d'antan.

Non.

Pas raisonnable.

Je vais devoir attendre Vincent, pour qu'il m'explique en quoi je dois aider Maxime.

Maxime...

Non. Je ne veux pas.

"Plus de retour possible"

Je ne veux plus rien avoir à faire avec lui.

Quand je me positionne par rapport à ce que je ressens à son égard, les premières paroles sont :

Dégoût.

Haine.

Peur.

Voilà qui est bien joli.

"Vous en viendrez à nous détester" avait dit Vincent.

Ouais. Je peux cocher cette case dans la liste To do.

Ah, Vincent. Le coquin, il s'était bien gardé de me dire tout ça.

Il est resté fidèle à lui-même, le petit.

Je me sens vide. Incapable de penser.

Je suis déprimée, maintenant. Nostalgique, d'une certaine façon.

"C'est toi qui a voulu ça"

Je sais. Et j'assume. Je vais me reprendre, il le faut.

-Je vais le faire ! criai-je dans le vide.

"Et dire définitivement adieu à ces affreux zigotos par la suite"

Je veux avoir l'âme en paix. Et pour ça, je suis déterminée à en venir à bout.

Pour illustrer mes propos et faire comme dans les dessin-animés, je me lève, d'un geste déterminé.

C'est ce moment que le tapis choisit pour me rappeler à quel point il m'aime, et me fait un petit croche-pied.

Quand mon front entre en collision avec la table basse, je ne peux m'empêcher de sourire.

-T'as pas changé, toi, murmurai-je à l'intention de la bâtisse tout entière.

Je m'assieds sur le tapis, et le caresse approximativement.

Il frémit.

Je m'allonge dessus, en position étoile de mer ventrale. Voyez y une forme de câlin à un manoir.

-Ton mauvais caractère m'a manqué, petit.

Je reste dessus un instant, mélancolique.

Je peux dire tout ce que je veux. Ici, je me sens bien. J'ai l'impression d'être à l'abris de tout.

"Il faudrait juste chasser les habitants, et ce serait parfait."

Soudainement, et alors que je suis encore au sol, la porte décide de s'ouvrir sur Vincent.

Je me relève alors précipitamment, tandis qu'il se dirige vers moi.

-Mademoiselle Lisa ! Vous êtes tombée du canapé ? Vous ne vous êtes pas fait mal ?

-Ce n'est plus la peine de faire les gentils pour m'amadouer, lâchai-je pour toute réponse en me réinstallant.

-De quoi parlez vous ? demande-t-il sincèrement étonné.

Je ne réponds rien.

Est-t-il possible que devenir humain l'ait réellement rendu plus....
humain...?

"Je ne ferai aucun commentaire"

C'est bon. Tout le monde m'a comprise.

Est-ce que la malédiction l'a vraiment radouci ? Ou est-ce là une nouvelle comédie de sa part ?

Je ne sais pas.

-Lisa ?

Trop perdue dans mes pensées, je n'ai pas eu l'occasion de voir qu'il était accompagné.

Non. C'est pas possible.

"Je dois encore être en train de rêver", me répétai-je en me pinçant discrètement le bras.

Ou alors, il a un jumeaux maléfique.

Ce n'est pas possible autrement.

"Visiblement si"

Mais qu'est-ce qu'il fait là ?

L'homme s'assied sur le canapé en face de moi, aux côtés de Vincent.
Configuration qui signifie sans doute que les choses sérieuses vont réellement commencer, et que je ne vais pas apprécier.

-Qu'est-ce que tu fais là, Raphaël ? demandai-je plus agressive que je ne l'aurais voulu.

Il se dérobe à mon regard, et tourne tout son être vers Vincent. Celui-ci commence alors :

-L'autre jour, enfin, il y a quelques semaines de cela, vous m'avez montré une conversation eue avec Grégory, vous vous souvenez ? Ou c'est trop flou ?

-Je m'en souviens très bien, dis-je dans une voix cassée.

-Vous n'avez eu aucun mal à le croire. Hors (d'après ce que j'ai lu) tout être humain n'y aurait pas cru aussi vite que vous. Ma déduction a donc été la suivante, et arrêtez moi si elle est fausse : vous aviez déjà recouvré vos capacités ou du moins, une partie qui vous a permis de comprendre que vous n'étiez pas comme les autres humaines. Vrai ?

-Je parlais effectivement aux chats, répondis-je d'une petite voix, sachant déjà à quelle sauce je vais être cuisinée.

-Hors, il n'existait qu'un seul moyen pour vous de les retrouver. Vous n'aviez pas débloqué la totalité de vos capacités à nos côtés, puisque vous vous êtes toujours abstenue d'avoir des relations trop tactiles avec mon frangin. Maintenant, il semblerait que ce soit chose faite. Vous vous êtes récemment offerte à quelqu'un, ai-je tort ?

Je fais non de la tête, ne sachant pas quoi ajouter de plus.

À ce moment, je ne peux m'empêcher de jeter un petit coup d'œil à Raphaël. Voilà donc la raison de sa présence ici.

Il daigne enfin me lancer un regard, plein de culpabilité.

De la culpabilité, alors que je m'attendais à y voir de la peur, ou de l'incompréhension.

Il semble parfaitement au courant de la situation. Plus que moi, même.

"Est-ce que..."

Non...

-Vous aviez "prévu" que je... que je m'offre à lui ? Vous l'avez mis sur mon chemin exprès ?

Avant même qu'il ne réponde, je trouve la réponse par moi-même.

Non. Je suis bête.

Je le connaissais avant. De vue, en tout cas.

Le vice n'aurait pas été poussé jusque là et si tel est le cas, je n'attendrai pas une minute de plus avant de claquer les portes et de fuguer en Islande.

-Non, répond Vincent, confirmant ainsi mes idées. C'est justement ce qui m'a intrigué. Ça raye définitivement une des solutions que j'avais trouvé à notre problème avec Maxime. La plus évidente, mais pas la plus simple, puisque je ne vois pas par quel moyen j'aurais pu vous convaincre de laisser mon frère disposer de vous. Vous avez votre fierté, je l'ai bien compris.

-Alors pourquoi suis-je ici ? demande Raphaël qui pour la première fois depuis qu'il est assis ici ose enfin desserrer les lèvres.

-Vous devriez vous en douter. J'aurais pu laisser tomber là, mais quelque chose clochait. Tout le monde ici sait qu'un humain meurt, lorsqu'il prend la virginité d'une sorcière. Si son partenaire avait perdu la vie sur le coup, je crois que j'aurais eu à faire à une sorcière nettement plus traumatisée que celle qui se trouve ici. Donc, son partenaire n'était pas humain. Juste ?

Un silence, sans doute le plus incommodant de ma vie, s'installe durant lequel non pas un ange, mais carrément toute une armée passe.

Raphaël n'est pas humain. Enfin, il n'était...

Il est quoi ?

Un vampire ?

Un ogre ?

Un Triton ?

Ma théorie du Bisounours infiltré n'était pas si débile, au final.

"Si. Objectivement elle l'était".

Raphaël était peut-être une fée.

-Je ne savais pas qui elle était, répond le concerné pour toute défense.

-Tu savais que j'avais les cheveux violets, tu m'avais déjà vue avant, l'accusai-je.

-Je croyais que ce n'était qu'une teinture. Quand je t'ai réellement rencontrée, tes cheveux étaient bruns. Je n'ai pas cherché plus loin.

-Quand as-tu su, alors ? Avant, ou après ?

Il ne répond pas.

-Quand !? insistai-je.

-Je suis... enfin... J'étais un loup. Je l'ai su quand j'ai flairé que tu étais traquée par lui, dit-il en désignant Vincent du menton, et l'autre loup. Je me suis dit que peut-être... Je suis désolé, Lisa. Je te jure que je savais pas, quand je suis venu te causer et quand on s'est mis ensemble mais...

"...mais bien avant que je te saute " complétai-je dans les pensées

Il souffle, je souffle encore plus fort, et Vincent a profité du moment où il n'avait pas à s'expliquer pour se plonger dans un livre.

-Va-t'en, sifflai-je entre mes dents. Vite, si tu ne veux pas finir défenestré dans les rosiers, avec la canne de l'autre chapelier fou dans le cul !

Greg n'aurait pas approuvé le sort de ses rosiers.

Vincent n'aurait pas approuvé le sort de sa canne.

Tant pis. Je m'en fiche, d'eux. Je m'en fiche de tout le monde.
Plus rien n'existe sauf moi, et Raphaël l'humain en fait inhumain.

Raphaël qui m'a menti.

Raphaël qui n'insiste pas, qui ne me demande pas pardon à genoux, qui ne me supplie en rien.

Raphaël qui s'en va, docilement.

Attitude lâche de celui qui se sait coupable.

J'ai compris.

-Vos cheveux ? demande Vincent une fois la porte refermée sur mon désormais ex-compagnon.

-Teinture, répondis-je d'un ton sec, en essayant de ne pas trahir les larmes supplient que je les laisse sortir.

Non, les larmes. Retournez au fond de votre antre, vous sortirez plus tard. Quand je serai seule.

Je respire. Elles obéissent.

Merci.

-Vous me suivez depuis combien de temps ?

-Quelques mois après votre départ, avant de trouver le moment opportun pour vous aborder.

C'est ça qu'il appelle aborder...

Souffle Lisa, souffle.

La violence ne résout rien. La violence ne résout rien.

-Vous m'avez suivie pour voir avec qui j'ai couché ? Pourquoi !?

-Pour vous éloigner de lui. Pour que votre dévotion et votre implication dans cette tâche soit optimale.

Je serre les dents, les poings, tout ce qui peut se tendre dans mon corps.

Et j'ai cru qu'il avait des sentiments humains normaux ? Quelle naïveté.

Il est de plus en plus détestable.

Maxime, est-il dans la combine ?

Qu'importe ! Je ne suis plus sous l'emprise de la malédiction.

Il n'est rien. Rien qu'un vampire mâle, violent, à rayer de ma liste de connaissances.

Subitement, je me lève à mon tour et mime une affreuse révérence.

-Adieu, comte Debray. Mes hommages à votre frère, dis-je avant d'ouvrir la porte pour quitter définitivement cette maison de timbrés.

-Notre marché ! s'écrie Vincent en me suivant.

-Parti se cacher avec ma dignité, rétorquai-je en avançant dans le couloir.

-Vous ne pouvez pas faire ça, affirme Vincent d'un ton dangereusement calme.

Je m'arrête dans ma marche, et lui fais face.

-Et pourquoi donc ? Qu'allez-vous faire ? Ôter mes souvenirs ? Allez-y ! criai-je en écartant les bras. Je ne demande que ça. Qu'attendez-vous ?

Il ne bouge pas, muet.

-Vous ne pouvez pas, crachai d'un ton mauvais, digne d'une vipère. Vous n'êtes plus qu'un simple humain, incapable de quoi que ce soit. Faible, et insensible. Je vous préviens que si je vois ne serait-ce qu'une fois, votre petit minois trop parfait, j'appelle la police. Votre diable de frère devra de toute façon se débrouiller sans moi.

-Je ne peux rien faire, c'est vrai. Si ce n'est lâcher le rat sur vous. Je l'ai toujours éloigné de votre chemin, et il y a une bonne raison. Il n'a plus rien à voir avec le charmant vampire que vous avez connu, croyez moi. La police ne saura rien faire, dans ce cas-là. Vous voulez sacrifier des innocentes ? Parce que ce rat, mademoiselle, n'aura aucun scrupule à exterminer tous les gêneurs pour vous avoir. Famille et amis en premier. À vous de choisir les circonstances dans lesquelles vous souhaitez collaborer, mademoiselle.

Vincent et moi, nous nous toisons. Le défi règne dans nos pupilles.
Le couloir se fait calme, penaud. Il ne sait pas ou se mettre, le pauvre.

Dans nos têtes, tout s'assemble, s'entasse, se mêle, mais nous refusons de laisser paraître quoi que ce soit.

-Je reviendrai demain, finis-je par abdiquer froidement.

Sur ce, je traverse rageusement l'immense salle de bal, et sort de l'enceinte du manoir.

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