Le vélo

Quand j'étais petite, mon grand-père aimait bien me raconter qu'à sa mort, un vélo volant l'attendrait. Et ce vélo ne l'emmènerait ni en enfer, ni au paradis. "Car ça, ce sont des sornettes qu'on raconte aux tartufflons !" disait-il. Le vélo, il le conduirait jusqu'au château de la mort. "Là-bas, il parait que c'est sympa", disait-il.

Je l'entends me raconter cette histoire, d'une voix lointaine. Qu'est-ce qui ce passe ?

J'ouvre les yeux. Les contours d'un décors crémeux se dessinent petit à petit.

-Lisa, me dit Greg. Nous sommes à l'hôpital. Les médecins sont en train d'examiner Mathieu.

Je regarde Greg, sans répondre.

-Ils... ils ne sont pas très positifs quant à sa survie...

-Ce n'est pas grave, répondis-je.

Greg ouvre des yeux tout ronds.

-Hé, dis-je en me relevant. Où sont Vincent et Claude ?

-Déjà partis régler des choses avec l'Administraire à propos de cet incident.

-Qu'ont-ils dit à la police ? demandai-je.

-Hum... Que c'était un fou qui est venu s'asseoir avec nous, qu'il semblait gentil au début et qu'il voulait simplement nous parler car il avait entendu que nous étions français puis... et bien... qu'il a pété un câble sans raison.

-Oh, très bien. Et est-ce que Anatole est... ?

-Oui, soupire Greg d'un air sombre. Oui.

-Et nous n'aurons pas de problèmes pour avoir tué un homme ?

-Légitime défense, répond Greg d'un air absent. Et surtout, l'Administraire et l'Ambassade s'en sont mêlés pour nous éviter des problèmes. Nous serons rapatriés très bientôt.

-Oh ? C'est bien, souriai-je.

Greg semble terriblement gêné. Il a l'air de ne pas savoir de quelle façon se comporter. Il est si maladroit, c'est mignon.

Je voudrais lui dire qu'il n'a pas à s'en faire, et que tout se passera bien. Mais je n'en suis pas tout à fait certaine.

-Lisa, s'exclame-t-il au bout d'un moment. Tu sais ton frère... il... Écoute ! S-si je peux faire quoi que ce soit...

-Justement, oui. Va à l'hôtel. Ma valise est sous le lit. Là, tu prends le miroir que j'ai laissé dedans. Tu vois de quel miroir je veux parler hein ? C'est celui que tu m'as donné, qui permet de voir les souvenirs des autres.

-Euh... Oui, mais tu sais...

-Parfait ! Tu me l'apporte ici. Et aussi autre chose. C'est un tout petit grimoire en peau de bête. Je l'ai volé chez Vincent une fois (je le soupçonné d'ailleurs d'être au courant mais de m'avoir laissé faire). Prends-le aussi, tu seras chou !

-D'accord.... J-je vais te faire confiance là-dessus aussi, articule-t-il dans un déglutissement.

-Merci Greg !

Il se lève et s'en va. Je n'attends pas pour demander, tant bien que mal en anglais, si je peux voir Mathieu.

Un gentil infirmier m'y accompagne, un sourire compatissant aux lèvres.
Je n'aime pas les hôpitaux.

Il m'ouvre la porte, et ajoute que je peux prendre mon temps.

Je rentre de découvre avec un énorme pincement au cœur, mon frère. Il n'est pas conscient. Ou du moins, il n'en a pas l'air. Il est entouré d'un nombre impressionnant de liquides et de machines, dans une chambre qui sent le désinfectant.

Plus je m'approche, moins j'arrive à le reconnaitre. Sa pâleur, son expression loin d'être la tête de bienheureux joviale habituelle, et tous ces tubes, qui tirent son visage dans tous les sens. Je l'entends respirer difficilement, mon cœur se brise entièrement, et semble répandre ses éclats au sol si propre.

J'enjambe les débris de mon pauvre cœur, et file m'asseoir aux côtés de Mathieu. Tremblante, j'attrape sa main. Aucune réaction visible de sa part.

-Yo, le moche. C'est moi.

Pas un geste.

-Bon... Soit tu me fais la gueule, soit tu ne peux vraiment pas réagir, c'est pas grave. En tout cas, je suis sûre que tu m'entends. Tu m'entends, hein ?
Oh. Je suis bête, excuse-moi.

Je me pince les lèvres, et regarde un peu ailleurs, pour me donner le temps de réfléchir à mes mots.

-Je sais que dans ton état, ça ne doit pas être facile de comprendre tout ce que je dis, mais je vais parler lentement, alors accroche toi, c'est très important. Je vais te sortir de là, d'accord ? dis-je fort, et en articulant le plus possible. Mais avant, j'ai deux ou trois choses à te dire, donc concentre toi au max.

Je marque une pause, le temps de le laisser comprendre. En même temps, je tente de guetter une réaction, toujours rien. Je regarde l'écran devant moi, il vit encore. C'est déjà ça.

-Alors déjà, t'es vraiment stupide. Greg a dû te le dire aussi, je sais. Mais là, je te jure que je rigole pas. Si tu me refais ça, je t'achèverai moi-même ! Je comprends (probablement à moitié) tout ce que tu as pu ressentir, je t'assure, alors pas la peine de sortir la carte sentimentale. Retiens juste que plus jamais je ne veux te voir jouer les héros comme ça. Crétin. Tu me le promets, hein ?

Aucune réaction.

-De toute façon, t'as pas le choix. Sinon, je te renie en tant que frère, un point c'est tout. Voilà, soupirai-je. Maintenant que j'ai été claire là dessus, je voulais aussi te dire merci. Merci pour ce que tu as fait, et pour m'aimer même si je suis une effroyable personne, et... tout ça. Hum... c'est tout.

Je ne supporte plus d'être assise. Je me lève, fais quelques tours dans la pièce avant de revenir auprès de mon frère qui n'a toujours pas envie de me parler.

-Aussi, euh... Je voudrais m'excuser. Parce que tout est ma faute, tu sais bien. Ah non, hein ! Pas de "Mais non". Je sais que c'est de ma faute, pas la peine de faire le gentil qui rassure. Tout ce que tu as à dire c'est "Oui, tu es aussi idiote que la barbe de papa".
Alors voilà. Je te promets... non je te jure sur mes chaussettes à moustaches qu'à partir de maintenant, je serai une sœur géniale. Irréprochable, même et bla-bla-bla. Tu connais la  suite, je déteste m'excuser.

Je me lève une nouvelle fois, incapable de tenir en place dans des pareils moments de malaise.

Je sors donc dans le couloir, et regarde à gauche, à droite. Un médecin vient me demander si j'ai fini, je fais non de la tête. Il s'en va alors, interpellé par quelqu'un d'autre.

Pourquoi faut-il que ce soit toujours aussi rempli de monde ? Je hais vraiment les hôpitaux.

Je ferme aussitôt la porte, et rentre une nouvelle fois dans la chambre. Je slalome entre tous les artifices qui aident mon frère, et ferme le rideau autour de lui. Je m'assieds alors une nouvelle fois auprès de lui et lui  caresse le bras pour lui signaler ma présence.

-Mathieu, maintenant je vais te demander de me faire confiance, et de m'écouter attentivement. Alors voilà, normalement tu devrais sentir une force irrésistible qui te donne envie de dormir. Laisse la faire. Dès que tu le vois, prends le vélo dont parlais papy, et monte dessus. Bon, ce n'est pas obligé d'être un vélo, mais un truc du genre. En bref, écoute la voix qui t'invite à te laisser glisser vers le sommeil. Fais moi confiance, hein. Je sais ce que je fais.

Je m'arrête de parler, et reste fixée sur mon frère. J'espère qu'il va m'écouter.

Je le laisse cogiter en calme, et profite de ce temps pour sortir de ma poche la petite flamme. Je la regarde onduler, pensive.

Est-ce que ça va vraiment marcher ? Moi-même je n'en suis pas sûre. Lisa la sorcière me dit que oui, mais Lisa la sœur me dit que je suis en train de faire une énorme bévue que je ne pourrai jamais me pardonner.

En temps normal, j'écouterais la sœur, c'est ce que j'ai toujours fait. Mais peut-être que c'est là, le problème et que si j'avais écouté la sorcière, nous n'en serions pas là. Après tout, elle est un peu effrayante, mais elle n'est pas méchante. Et puis elle a un bon instinct la sorcière.

Je n'ai pas le temps de pousser mon introspection plus loin, je sens que le cœur de Mathieu ralentit. Il a décidé de se laisser mourir, à mon plus grand soulagement.

Rassemblant toute ma concentration, je n'écoute que la respiration de Mathieu qui se fait de plus en plus difficile. Je me focalise sur l'essence de vie qu'il dégage. J'attends que la dernière goutte ne s'évapore.

Pas maintenant.

Pas maintenant.

Ça y est ! Il est mort.

En un quart de seconde, j'ouvre la fiole et brandit la flamme vers lui. Je vois une mince filet en sortir et se diriger vers mon frère. Je sens que son cœur se remet à battre.

J'avais raison (enfin... La sorcière avait raison). Si on lui insuffle une âme en même temps qu'il ne perd la sienne, on lui offre une nouvelle vie, sans pour autant provoquer une mutation.

Le tout maintenant, est de savoir bien doser. Quand dois-je arrêter ?

Pas maintenant.

Pas maintenant.

Pas maintenant.

Là !

Je referme le tout, et retient mon souffle.
Tout un tas de médecins et autre personnel se précipite dans la chambre, ayant été alertés sans doute par le cœur de mon frère qui a cessé de battre pendant un très bref instant.

Dans l'agitation, on me met à la porte.

J'attends dans le couloir, anxieuse. Est-ce que ça peut être si simple ?

Logiquement, je n'ai fais qu'échanger son âme contre une nouvelle. Ça n'a peut-être rien changé à la blessure qui le menaçait.

Le cœur battant à m'en faire mal, je me laisse tomber sur le banc.

"Tout va bien, me dit la sorcière au fond de moi. Il est hors de danger."

"Si t'as merdé, je te tue", me dit la sœur Lisa en râlant.

Ils sont là dedans depuis un moment, non ?

Peut-être que...

-Lisa !

Claude arrive en courant, suivi de Vincent qui prend son temps.

-Alors ? me demande aussitôt Claude en s'asseyant à mes côtés

-'Sais pas.

Pendant un moment, je me contente de fixer les gens qui passent dans le couloir. Ils semblent tellement animés, en contradiction avec nous trois qui ne sommes qu'assis sur un banc.

J'ai l'impression un bref instant d'être dans un autre univers, d'où je les contemple.

Je vous ai déjà parlé de mon aversion pour les hôpitaux ?

Les médecins finissent par sortir de la chambre de mon frère, le teint pâle. Ils ont l'air agités, ils parlent fort et Claude s'occupe immédiatement de me faire une traduction express :

-Ils disent qu'ils ne comprennent pas, et que c'est un miracle, me chuchote-t-il.

Je hoche la tête, parfaitement soulagée.

Un sourire radieux illumine complètement mon visage et malgré tous mes efforts, il m'est impossible de le cacher.

-Lisa, est-ce que vous y êtes pour quelque chose ? me demande discrètement Vincent.

-Non, mentis-je. Je n'y comprend pas grand chose moi même.

Les médecins nous autorisent à voir Mathieu, je suis la seule à y aller. Ils disent qu'il ne se réveillera néanmoins pas avant un moment. Il va s'en sortir, et qu'il ne restera pas un légume toute sa vie, mon cœur bat à tout rompre.

Je devrais vraiment l'écouter plus souvent, la sorcière Lisa.

Au bout d'un moment, Greg revient enfin, essoufflé. Il rentre dans la chambre avec une violence qui ne devrait pas être autorisée en de tels lieux.

-Lisa, qu'est-ce que tu as fais !? m'apostrophe-t-il aussitôt.

-Chuuuut, tu vas réveiller Mathieu, répondis-je calmement.

-Arrête de dire des conneries et dis-moi ce que tu as fais bordel, s'énerve-t-il à voix basse.

-Rien du tout, je lui ai simplement causé. 'Faut croire que ma douce voix l'a incité à s'accrocher au mince fil de la vie.

Pas du tout touché par mon brin de poésie, Greg s'affale sur la chaise à côté de moi. Il regarde dans le vide, sceptique. Je m'attendais bien à ce qu'il comprenne. Il est malin, Greg.

Espérons juste qu'il détienne assez d'intelligence pour respecter mon choix de taire mes actions. Qu'est-ce que je raconte, Greg dispose d'une intelligence amplement suffisante pour comprendre l'humain, non ?

-Ton miroir, et ton bouquin, dit-t-il en me tendant brusquement les deux objets.

-Merci, Greg. Je compte modifier ses souvenirs, si c'est ce que tu comptais me demander.

-Comment ?

-Tu vois, ce miroir permet de lire les souvenirs des gens. Mais avec un petit sort bien difficile ici, je peux essayer d'effacer ou modifier sa mémoire.

-Tu as déjà essayé ? me demande Greg paniqué.

-Non. Mais ma sorcière me dit que je devrais y arriver. Il faut toujours écouter la sorcière. Elle a de bons conseils.

Greg me dévisage complètement perdu, comme s'il avait Luna Lovegood en face de lui.

-T'en fais pas, j'ai pas perdu les pédales, lui dis-je. Tu peux sortir un instant ? J'arrive dans un petit quart d'heure.

Ayant perdu ses mots, il se lève et s'en va. Derrière lui il referme la porte.

-Bon. Au travail ma fille, me dis-je.

Je pose alors le miroir sur le lit de Mathieu et ferme les yeux pour rassembler toute la concentration nécessaire.

*********

Bonjour ! Comment allez vous en cette sale période qu'est l'hiver ?

J'ai mis très longtemps à écrire ce chapitre, mais j'en suis finalement venue à bout !

Du coup... Je ne l'aime pas mais bon. Il est nécessaire, dirons nous.

À la revoyure,

Muffin.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top