Idée 3

Aujourd'hui est un nouveau départ pour moi. C'est toujours ce que les gens disent quand ils achètent une nouvelle maison. Mais au final, une fois la déco terminée, l'ennui reste le même. 

Ce que j'ai bien aimé dans ce vieux village, c'est la persistance des vieilles valeurs et des coutumes populaires. Les gens sont loin d'être compliqués, toujours à l'écoute, la vie à l'abri des cons que je cherchais. 

Enfin installée, je pointe mon nez à la brocante du village. J'espère trouver deux trois trucs pour pouvoir finir l'appart. Les vieilles portes françaises, les tables massives en chêne, les luminaires à huile, l'odeur des greniers qu'on ne vide qu'une fois dans l'année. 
Une vieille porte de placard, incrustée d'un grand miroir, irait parfaitement bien dans le salon sur la cheminée. La vendeuse m'aperçoit. Se présente alors à moi une vieille dame, les cheveux coincés en un chignon ébouriffé qui se battent pour en sortir, la longue robe d'époque qui se termine avant les chevilles, le col roulé stricte, les bottines lustrées. 
En me rendant la monnaie, elle me dit simplement : "les ombres ne se cachent plus la nuit". 
Je n'y prête pas plus attention et repars finir mon tour. 

Le bois foncé accroche parfaitement au mur blanc de la cheminée. Face à la porte qui permet d'entrer dans la pièce, je trouve que ça lui donne une impression de grandeur. On aperçois même l'escalier qui mène à ma chambre, juste derrière. 

La lumière tamisée du matin me berce encore. J'ai eu du mal à dormir. Première nuit dans ce vieil hôtel de ville que je partage avec trois autres locataires. Etant au dernier étage, je pense que les craquements de cette nuit sont dû au vieux bois du toit et du parquet, qui n'avait plus été foulé depuis belle lurette. 

Tout le monde court de partout ce matin. Un homme a disparu cette nuit. Certains se dirigent vers la forêt avoisinante, d'autres descendent au village plus-bas.
Arrivée au café du coin, je passe ma commande avant de voir juste en face de moi la dame au miroir. Elle me fixe, droite comme un i, puis fait "chut" avec sa main en me regardant droit dans les yeux. Je m'installe finalement devant la vitre, de manière à ne pas la voir. Maintenant c'est drôle, j'ai l'impression que c'est l'église qui m'espionne.
Vivement cette nuit.

"J'ai entendu quelqu'un ou quelque chose frapper. Je pensais que cela venait de la fenêtre mais en descendant l'escalier, je comprends que cela vient du miroir".
Je me rapproche doucement. La lune n'est pas assez forte pour éclairer la sombre pièce. Le nez quasi collé au cadre, je vois maintenant que ce qui frappait contre la glace est en réalité l'homme disparu de la nuit dernière. Il apparaît dans l'escalier, il se tient vigoureusement à la balustrade.
Je me retourne. Mais il n'est pas là. Je comprends qu'il est coincé dans le miroir. Il me montre soudainement un mur, paniqué. C'est celui que mon reflet cache.
Je ne sais pas si je dois me retourner ou attendre. En sueur, je vois comme une ombre se déplacer dans la pièce. Je pense à la vieille dame, cette maudite phrase qui n'avait aucun sens. Impossible de m'en rappeler.

Je me jette sur l'interrupteur. Tant pis si ça m'attrape. Je me retourne aussi vite, mais rien. Pas d'homme dans la pièce, plus personne dans l'escalier. Je retourne au miroir. Il n'y a plus que moi ici.
Autant vous dire que j'ai tout laissé allumé cette nuit.

Je décide de me préparer pour ce soir. Quelqu'un a encore disparu. C'est terrible de savoir où sans pouvoir le dire.
Assise face au miroir, j'attends la nuit avec impatience. J'ai prévu de les libérer en brisant le miroir au sol. Du moins j'espère que ça en sera le résultat.

Les deux sont assis dans l'escalier. Ils regardent souvent en haut. Peut-être sont-ils une dizaine de personnes coincées la dedans ?
Je cherche l'ombre. Il y a encore trop de lumière. Ils me désignent alors le coin le plus sombre de la pièce. Je décroche le cadre lentement. Je tourne face au coin. J'entends alors comme quelqu'un courir vers moi.

Je jette sans réfléchir ce cadre au sol.
Au moment où il aurait dû s'écraser en éclats, c'est moi qui tombe à la renverse.
Reprenant mes esprits, je vois autour de moi une quarantaine de personnes, les yeux écarquillés. Je ne pensais pas qu'autant de monde était enfermé la dedans.
Je me relève, cherche le dernier disparu, puis me déplace vers lui.

Une façade me bloque.

Je croirais être un mime.

Je commence à paniquer, touche de partout autour de moi.
Un homme se baisse pour ramasser le miroir. J'entends un piétinement derrière moi. Je semble être la seule à l'entendre.
L'ombre est à l'encadrement de la porte. Elle m'attend.

Chaque miroir a besoin d'un reflet.
Pour celui ci, ce sera moi.

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