Les prémices : Partie 1

    « Qui marche dans la neige ne peut cacher son passage »

             Proverbe Chinois

    « Ce genre d'aventure vient toujours avec une date de péremption sur l'emballage »

             Douglas Kennedy

Le mistral hivernal caressait les branches d'un sapin, les faisait virevolter, danser, au rythme d'un murmure pur. Cependant, un bruit interrompit ce ballet hivernal, celui d'un ronronnement de moteur, suivit de plusieurs autres. Les feuilles mortes, tombées sur l'asphalte, furent balayées par le convoi. La neige fraîche fut marquée par des traces récentes de pneus.

Située dans un petit village perdu dans l'immense contrée qu'était la Russie, la petite maison recouverte en partie de neige fraîche, demeurait silencieuse. Elle se trouvait coincée dans un pâté de bâtisses, isolée du reste du pays. Seule une route, peu empruntée, traversait ce lieu-dit. Cette voie servait de passerelle entre deux mondes bien différents. Le brouillard s'emparait des lieux comme à sa fâcheuse habitude. La peur s'y camouflait avec la crainte, ainsi que le désarroi. Les gens restaient pour la plupart cloîtrés chez eux, mis à part pour aller en ville une fois par semaine pour faire les commissions hebdomadaires. Ils n'achetaient que peu de marques onéreuses, tout au premier prix. Ces pauvres gens poussaient un caddie à moitié vide, avec en poche une carte bancaire dont le compte est à peine rempli lui aussi. Au point que même leur vie n'était qu'à peine satisfaite.

Les premiers rayons de soleil se faufilaient à travers les vieilles persiennes poussiéreuses de teintes grises, éclairant en partie la sombre pièce de la chambre. La montre usagée de Dimitri affichait 06 h 22. Ce dernier habitait ici avec Lena, sa fiancée. Ils dormaient encore, mais plus pour très longtemps. Elle sommeillait nue, entre les couvertures entremêlées. Sur l'épaule gauche, Lena s'était fait tatouer un dragon tandis qu'une colombe ornait ses belles hanches. Ses fines jambes croisées et ses bras détendus montraient sa relaxation malgré le climat tendu et stressant des derniers jours. Sa peau bronzée présentait de légères imperfections. Sa peau n'était pas parfaite, mais Lena n'y faisait guère attention. C'était son corps, elle l'assumait totalement. Lena passait au-dessus du physique, de tout cela.

Sur le bureau en bois reposait un cadre où Dim' et Lena s'embrassaient, c'était le temps où ils filaient le parfait amour. La photo avait été prise à Moscou, lors de leur lune de miel. Il devait être 18 heures, dans le parc d'attractions Gorki, Dim' la trouille au ventre accompagnait Lena sur la grande roue. Juste à côté du cadre, il y avait une carte routière nationale de Russie pliée en quatre et une boussole cassée. Un trajet surligné au marqueur rouge indélébile avait été minutieusement préparé à l'avance. Par ailleurs, était posé sur le bureau un lourd dossier...

Les clés furent laissées sur la serrure de la porte de derrière. La veille, le couple avait fait le plein dans la station-service Rosneft caractérisée par sa couleur jaune. Cette entreprise était un concurrent impitoyable de la société Gazprom neft. Toutes deux se débattaient le nombre de stations-service étalées sur le territoire russe. Lena avait prévu cette escapade en achetant une de leurs multiples cartes routières. Ces dernières étaient mises en évidence près des caisses jaunes. Le tracé du parcours avait été confectionné avec la précieuse aide de Dimitri. Le logo Rosneft se cachait en bas à gauche,

Lorsqu'ils se rendaient, jadis, dans la ville de Iouri Loujkov, n'ayant pas les moyens de se payer un repas à la table du restaurant du Sky Louge ou même encore le fameux White Rabbit, les deux amoureux mangèrent sobrement dans un parc.

Vers la maison de Lena et de Dimitri

Un convoi de voitures banalisées roulait en leur direction, à bord d'un des véhicules, un père de deux enfants turbulents ainsi qu'une jeune recrue. Le père fatigué, par les disputes avec sa femme, était au bord du divorce et ne savait plus quoi faire de ses deux enfants, conduisait avec difficulté. Camille, la jeune recrue, pleine d'espoir, espérait filer le parfait amour avec son futur prince charmant. Camille était tout excitée d'arrêter des « criminels » pour la première fois. Eux deux avaient des caractères opposés, ils ne s'aimaient pas, mais ils étaient obligés de collaborer. Lui, au bord de la rupture avec sa femme, et elle recherchant le véritable amour. L'exact opposé d'elle, lui. Elle avait beaucoup d'espoirs, lui n'en avait plus depuis longtemps.

Soudainement, trois voitures de la militsia s'arrêtèrent devant cette paisible maison, ce qui fit réveiller en sursaut Dimitri. Il réveilla immédiatement sa fiancée, qui ne doutait de rien. Lena et Dimitri avaient prévu cette arrestation, ils avaient alors préparé leurs bagages dans le plus grand des secrets. Comme disait Lena, l'essentiel qui se composait de leurs maigres économies, de quelques vêtements de rechange, ainsi qu'un téléphone portable ayant fait son temps. Le jeune couple éprouvait une certaine difficulté à quitter cette maison familiale, subitement, dans laquelle ils s'étaient aimés, disputés puis réconciliés. Ils sortirent par la porte de derrière en bois, la claquant au passage.

Dimitri démarra la Derways. Le bolide partit en trombe, faisant un détour par la route départementale n° 3 pour éviter de passer dans le village bouclé et fouillé par l'impitoyable police, qui ratissait les lieux, et chaque recoin. Ce n'était pas une Marussia, mais la Derways étincelait. Les policiers épiaient les entrées et les sorties du village, afin que les criminels ne s'échappassent pas. Des herses avaient été fixées au sol pour dissuader les éventuels fugitifs de prendre la fuite. De gros moyens furent mis en place afin que cette opération fonctionnât après tant d'erreurs.

- Lena, où as-tu mis la carte routière ?

- Elle n'était pas censée être avec toi ?

- Merde, on fera sans. C'est sérieusement embêtant. On prend le risque de s'arrêter à une station-service pour en prendre une ?

- Mon amie en a une autre, sauf que le parcours n'y figure pas.

- Ça fera l'affaire, je reconstituerai le parcours !

Dim' allait continuer la conversation mais il remarqua que Lena s'était assoupie, le visage doux, les paupières refermées. Elle était sereine malgré la tournure des évènements. Il baissa alors le volume de la radio. Le fuyard contempla une dernière fois le village dans son rétroviseur intérieur. Il ne le verrait peut-être plus ou du moins pas avant un bon moment.

Le tableau de bord indiquait 9 h 00, le soleil agressait, déjà, les yeux du conducteur, se reflétant sur la route verglacée. L'évadé faisait attention à bien contrôler la trajectoire de la voiture afin qu'elle ne dérapât pas sur le sol verglacé de Russie. Sa vieille voiture ne possédait pas les derniers équipements ultra-performants actuels, ni le tout nouvel équipement dernier cri appelé GPS. L'équipement purement américain dont l'usage initial était militaire. Un système de positionnement par satellite russe avait vu le jour, le GLONASS mais ce projet avait vu aussi vite l'obscurité à cause de la terrible crise financière.

Désormais, chaque grande puissance voulait son propre « GPS », le fameux Beidou pour la République Populaire de Chine, QZSS pour le Japon, et l'ambitieux Galileo pour l'Europe. Cette vieille Europe voulait, ainsi, marquer son « indépendance totale » avec les Etats-Unis. Galileo était un projet fantôme, irréalisable, pourtant, plein d'espoir.

Le soleil, impérial, se levait sur l'empire neigeux. Dimitri ralluma l'autoradio et tomba par pur hasard sur la mythique chanson de Bob Dylan « No direction Home » lui faisant rappeler de brefs souvenirs du temps, où elle et lui n'avaient aucuns ennuis, à peine quelques années auparavant lorsqu'ils étaient encore jeunes et frêles.

La musique s'interrompit, laissant la place à un message urgent délivré par les autorités :

« Ceci est un message du Gouvernement :

Quiconque aurait des informations sur Lena et Dimitri V..., devra se rendre immédiatement vers des autorités compétentes. Ces deux fugitifs vont tenter de passer la frontière très prochainement. Cependant la route sera longue, prenez garde de ne pas les croiser, ces individus peuvent être armés et dangereux.

Merci de votre attention. »

La musique reprit son cours d'antan.

Dimitri s'interrogea, si la voiture allait tenir le choc, une excursion de plusieurs jours, et si lui aussi du point de vue psychologique et physique. Mais cette lourde expérience l'incitait à renforcer ces liens d'affections avec sa fiancée. La radio continuait à diffuser des titres d'une autre époque, des musiques nostalgiques ou plutôt rock. La tonalité se ressemblait tantôt, se mélangeait, se différenciait. Chaque morceau était à la fois unique et semblable à un autre comme le destin. On ne pouvait pas choisir le morceau que l'on désirait ardemment. On prenait ce que l'on possédait, ce qu'on avait à disposition, rien d'autre de superflues, ni d'extravagances. Toutefois, ces musiques étaient entrecoupées de spots publicitaires, de plus en plus fréquents, vantant telle ou telle marque.

À l'approche d'un péage inter-routier, il décida de le contourner afin de ne pas être repéré par les forces de l'ordre. Nos fiancés s'enfoncèrent dans l'épais brouillard et devinrent de moins en moins visibles jusqu'à ne plus l'être. Seul le ronronnement du moteur permettait de ressentir leur présence. Une présence douteuse et nuisible, une présence informelle, et sonore quoique volatile.

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Je vous remercie pour votre lecture.

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En espérant que la suite vous plaise.

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