8 : Il y a toujours un prix à payer
11/05/2226, 00h03
Minho
Minho se sentait terriblement coupable.
C'était sa faute si ses amis se retrouvaient dans cette merde. C'était son idée au départ, de s'évader d'ici. Et maintenant, on les menait droit à cette "fosse aux Fondus" qui ne lui disait rien qui vaille.
On empoigna Samuel qui poussa un cri furieux et tenta de se débattre, mais un bon coup dans le tibia et ses protestations se finirent en un gémissement étouffé. On le traîna rudement à l'intérieur du bâtiment.
Minho n'aurait pas dû, mais il se sentait vaguement soulagé. Un pote de moins qui subirait leur châtiment.
Puis les vigiles les firent avancer. Gally et Thomas freinèrent des quatre fers, mais quand les crosses des armes se plantèrent dans leurs dos ils émirent un glapissement et avancèrent sans plus de résistance.
Le cerveau du garçon tournait à plein régime alors qu'il essayait désespérément de comprendre comment. Comment avaient-ils su ? Il n'avait jamais parlé avant ce soir. Hormis à...
Gally ?
Il jeta un coup d'oeil au blond. Il ne paraissait pas culpabilisé, plutôt terrifié. Minho se maudit de lui avoir fait confiance. Ca ne pouvait être que lui.
Lui, ou...
Au détour d'un couloir, le groupe heurta Teresa.
Elle se figea et son regard se posa successivement sur eux puis sur les gardes. Puis lentement, son visage s'affaissa.
Et alors, Minho sut.
- C'est toi ! hurla-t-il en se ruant sur elle.
Les vigiles vociférèrent et le stoppèrent brutalement, alors que tout le monde se mettait à crier.
"- TOUT EST DE TA FAUTE ! hurla Gally. TU ES ALLÉE TOUT BALANCER ! TRAITRESSE !
- Non ! s'emporta Teresa, les larmes coulant sur ses joues. Ce n'est pas moi, je vous jure que c'est pas moi ! Ils ont des caméras cachées..."
Un soldat la repoussa violemment dans le couloir et sa chambre, et ferma brusquement la porte, avant de se retourner vers eux, menaçant.
- Le prochain qui ouvre encore sa gueule, je le laisse dans cette putain de fosse aux Fondus pendant 3 jours, OK ?! On viendra récupérer vos restes !
Le garçon bouillonnait de l'intérieur, mâchoires serrées. Tout était de la faute à cette fille, avec ses airs matures et supérieurs sortis de son cul. Pourquoi elle ne se faisait-elle pas gronder ? Elle était bien dans les couloirs en pleine nuit elle aussi !
Ils s'enfoncèrent dans l'obscurité du sous-sol par des dizaines d'escaliers. Les enfants se turent bientôt et arrêtèrent de résister, impressionnés par le silence noir et lugubre de la zone, qui augmentait proportiennellement à la culpabilité et l'inquiétude de Minho.
Où ces enfoirés les emmenaient-ils ?
Enfin, ils se trouvèrent face à un mur. Le chef des vigiles, un certain Randall, appuya sa paume sur une partie bien précise et des ronds verts formant une main se dessinèrent à l'endroit où il avait posé ses doigts. Le pan de mur roula alors sur le côté, sous le regard hébété du groupe de jeunes.
On les poussa sans ménagement dans le tunnel bas de plafond. Minho sentit les poils de sa nuque se hérisser. Lui qui trouvait déjà l'atmosphère glauque avant, alors là...
Soudain, une plainte lancinante retentit dans tout le tunnel, à mi-chemin entre un cri de souffrance humaine et un grognement animal.
Les yeux des enfants s'écarquillèrent de peur et leurs jambes flageolèrent, mais on les projeta presque en avant.
- Interdit de se défiler maintenant, dit Randall de sa voix effrayante, faussement douce. Vous allez apprendre à assumer les conséquences de vos actes.
Le chemin se terminait devant une grille. Imposante, touchant le plafond, rouillée et fermée au moyen d'un cadenas. Un vigile sortit une clé et l'ouvrit, avant de pousser la grille. Son crissement suraïgu résonna longtemps, en écho, comme un signal. Minho se sentait de plus en plus lourd : il avait l'impression que des monstres, tapis dans l'ombre, attendaient de leur sauter dessus.
"- Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? couina Oryane.
- Des Fondus, répondit tranquillement Randall. Vous en faites pas les mioches, ils pourront pas vous toucher. Vous allez juste mouiller vos vêtements."
Il balança une lampe torche à Alby et Minho.
- Faites gaffe où vous mettez les pieds.
Cette phrase, toute simple, accentua encore davantage le malaise des rebelles.
Ils entrèrent lentement, déglutissant. On referma la grille derrière eux, sans la verrouiller. Les vigiles se postèrent devant pour être prêts à cueillir les enfants dès qu'ils ressortiraient.
Le groupe s'éloigna sans un mot, la lueur tremblotante des lampes éclairant la caverne de pierre devant eux, qui paraissait sans fin. Une odeur affreuse à suffoquer flottait dans l'air. Une puanteur d'égoûts, mais aussi de moisissure, de viande en décomposition.
Une puanteur de mort.
De chaque côté du sentier étroit, d'autres grilles, dont on ne discernait rien derrière.
Ils avançaient soigneusement agglutinés, Alby et Minho devant, mutiques pour cacher leur angoisse et ne pas inquiéter les autres, Gally, qui paraissait plus méfiant qu'inquiet, Oryane qui n'en menait pas large, tremblante, et au fond de la file, une Kat imperturbable et un Thomas prudent et intrigué.
Ils marchaient depuis une bonne dizaine de minutes, aux aguets. Mais il n'y avait rien. Finalement, Minho prit son courage à deux mains et ravala son ego pour lâcher :
- Je suis désolé.
À cause de WICKED, admettre ses torts était devenu une épreuve. Comment passer outre sa fierté alors que c'était la dernière chose qui lui restait ? Était-ce si cruel et égoïste de simplement rêver d'autre chose ? De vouloir la liberté et faire en sorte de l'obtenir ? De chercher le bonheur avec ses amis ? Il n'en avait pas l'impression.
C'était comme si WICKED voulait anéantir la moindre petite trace de sa personnalité et son passé. Ils ne voulaient pas qu'ils pensent par eux-mêmes, ils voulaient qu'ils deviennent de gentils petits robots conformes à leurs idées, sans cœur et sans esprit.
Minho avait juste voulu leur éviter ça.
Et maintenant ils étaient dans une situation encore pire qu'avant.
"- C'est ma faute, poursuivit-il difficilement. C'est moi qui ai créé ce stupide plan et vous ai entraînés avec moi. Je voulais juste partir loin de ces scientifiques pour qui nous ne sommes que des jouets, je voulais qu'on choisisse notre destin par nous-mêmes. Je vous ai forcés, je devrais être le seul à...
- Arrête de dire de la merde, le coupa Alby. Tu nous as pas forcés. On était tous consentants.
- C'est vrai, renchérit Thomas. Tu nous as pas jetés près de la sortie, non ? On était cent pour cent d'accord.
- C'était une excellente idée Minho, dit doucement Kat. Ça aurait pu marcher si on ne s'était pas fait prendre.
- Justement. Si je ne vous en avais pas parlé, vous seriez pas dans ce trou à merde.
- On préfère partir avec toi et être punis que tu te barres sans nous, protesta Oryane.
- Et pour moi ça n'aurait rien changé, ajouta Gally. On a élaboré tout ça ensemble. Et je regrette rien mec. Vraiment. Mon seul remords, c'est d'avoir tout dit à cette pouffe qui nous a dénoncés.
- Ce n'est pas Teresa, grinça Thomas.
- Et quelles preuves as-tu ?
- Je vous retourne la question !
- Elle a dit qu'il y avait des caméras cachées, commenta Oryane. Ça ne m'étonnerait pas d'eux.
- Bien sûr, moi je pense qu'elle a menti pour se dédouaner !
- Teresa ne nous trahirait jamais !
- Alors que faisait-elle encore dans les couloirs ? Pourquoi elle est pas retournée dans sa chambre dès qu'elle nous a quittés ? Elle est allée voir quelqu'un pour tout poucaver et après elle a traîné pour le simple plaisir de nous voir arrêtés !
- Elle n'est pas comme ça, répéta de nouveau Oryane, quoique la voix flanchante.
- Peut-être. J'y croirais tant que j'aurais pas de preuves inverses. Vous devriez faire attention à qui vous fréquentez."
L'espace d'un instant, Minho se demanda si Thomas et Oryane n'étaient pas de mèche avec Teresa. Mais il avait toujours eu un jugement plutôt correct sur les gens, et ces deux-là étaient des personnes de confiance.
"- J'ai l'impression que nous ne sommes que des marionnettes, déclara Alby. Ils font semblant de nous considérer mais je suis prêt à parier que pour eux on n'est que des rats à sacrifier. Un truc affreux nous attend ici, et ça les amuse de nous regarder nous y enfoncer...
- C'est peut-être mieux comme ça, déclara abruptement Oryane. On aurait pas pu partir sans Chuck et Lizzy.
- C'est vrai, reconnut Minho. On est une grande famille, rouquine. Et je vous jure sur la dizaine de portes que je me prends par jour qu'on partira d'ici tous ensemble ou pas du tout."
Quelques légers rires fusèrent alors que Minho regrettait déjà son choix de mots. Il avait en effet une fâcheuse tendance à ne pas regarder où il allait et foncer sur des portes. Dès qu'il y en avait une, c'était pour sa gueule.
Mais l'ambiance s'alourdit de nouveau bien vite, la crainte reprenant le dessus.
- Heureusement que Sam n'est pas là, soupira Kat. Il aurait...
Sa phrase s'acheva en un hurlement quand on se jeta sur la grille à leur gauche et qu'un bras rongé la frôla.
Brusquement le monde se résuma en un concert de cris tous plus horrifiés les uns que les autres alors qu'ils se collaient tous dos contre dos pour contempler autour d'eux les cohortes de Fondus agrippés aux grillages.
Leurs vagissements et gloussements fous allaient de pair avec leurs corps malingres, leurs yeux exorbités aux vaisseaux sanguins éclatés, les veines noires constellant leur visage, le liquide de jais pâteux coulant de leurs bouches, leurs cheveux collés à leurs visages tant ils étaient gras, leurs vêtements en lambeaux, et surtout l'odeur fétide.
Les enfants s'époumonaient toujours plus fort, absolument terrorisés. Minho en entendait pleurer, mais il était incapable de cerner qui. Son cerveau ne se concentrait que sur une chose : sortir de là. Mais ses jambes refusaient de bouger et des hurlements affreux parvenaient à ses oreilles. Il comprit que c'était les siens. Il se sentit brutalement trempé : il venait de se faire dessus.
- Reculez ! Il faut reculer ! beugla Oryane, hystérique.
Ils se bousculèrent désespérément, tentant d'échapper aux mains jaunes et décharnées tentant de les attraper. Minho bascula en arrière et s'étala sur le sol crasseux, la lampe se brisant à côté de lui dans un fracas de verre qui lui égratigna les mains.
- On a compris la leçon ! hurla Alby. Plus jamais je me pointe ici !
Ils se relevèrent cahin-caha et se ruèrent à qui mieux mieux par là où ils étaient arrivés, les rugissements et caquètements dans leurs dos s'évanouissant mais résonnant dans leurs têtes en boucle, encore, encore, encore...
Un homme apparut sur leur chemin.
Tous se figèrent comme un seul homme. Le Fondu les regarda sans rien dire. Il ne paraissait pas avoir atteint le même stade que ses compagnons, mais il était déjà mal en point. Ses mains couvertes de cloques dégoulinantes de pus brandirent une ardoise devant les enfants.
WICKED is good.
Puis il se retourna et s'enfonça dans le noir, vers la sortie.
Les enfants, en état de choc, le suivirent. Quand l'entrée de la fosse resurgit enfin devant eux, ils s'en extirpèrent à la file indienne sans moufter, le regard bas. Randall les toisa avec satisfaction.
- Vous avez apprécié la balade ? J'espère qu'elle a été instructive.
Le Fondu resta de l'autre côté du grillage. Il fixa les jeunes rebelles de ses yeux verts délavés.
"- J'espère que vous avez retenu mes trois mots, dit-il d'une voix un peu trop chantante. Ce sont eux qui me permettent de m'accrocher. Et les seuls qui devraient être pour vous vérité universelle.
- Qui êtes-vous ? demanda Gally.
- Je suis Daniel John Carter. Et tout ceci... (Il engloba vaguement les alentours d'un geste de bras) est mon idée. Mon idée !" cria-t-il sans prévenir.
Il poussa un petit rire.
- C'est moi qui aurais dû sauver l'humanité. Moi qui ai eu l'ingéniosité de diffuser la Braise ! Je n'avais pas prévu... Je n'avais pas prévu...
Il ébouriffa ses cheveux bruns pendant lamentablement.
- Aubergine va se moquer... Je vais lui faire manger sa robe... Elle avait raison, elle avait raison ! geignit-il. J'ai attrapé cette maladie ! Moi ! Mon idée ! Je vais ouvrir Aubergine par les arcades sourcilières, la Braise n'aurait pas dû toucher Daniel, pas Daniel, pas Daniel !
Entre les fous furieux et cet homme, Minho préférait encore les animaux du grillage. Son coeur était en PLS depuis un bon bout de temps.
Daniel s'humecta les lèvres, les teintant de noir, avant d'offrir un terrible sourire aux enfants.
- J'ai eu l'idée, mais on me laisse avec ces porcs à moitié crevés. On me laisse avec la merde des trottoirs ! Je n'ai pas leur sang, je suis le plus grand génie du XXIIIème siècle, et on me laisse avec eux ! Vous me laissez avec eux ! couina-t-il en se jetant sur les barreaux.
Il cracha aux pieds de Thomas et Kat, secouant vivement le grillage.
- Voyez ce que je suis ! Voyez ce que nous sommes réduits à devenir ! Et vous ne nous aidez pas, vous ne nous aidez pas...
Sa voix se mua en sanglots.
"- On comprend, sanglota Oryane à grand-peine. On est désolés, on sait ce que c'est la B...
- MENTEURS ! mugit l'homme en s'empourprant, les narines dilatées, sifflant comme un serpent. SI VOUS COMPRENIEZ, VOUS N'ESSAIERIEZ PAS DE VOUS ENFUIR ! VOUS ÊTES NOTRE SEULE CHANCE ! VOUS...
- Ca suffit" coupa Randall.
Il poussa les enfants traumatisés derrière lui.
"- Notre ami a atteint sa date d'expiration. Retournez dans vos chambres.
- Qu'est-ce que vous allez faire ?" chevrota Thomas.
L'homme ne répondit pas.
On eut beau les presser, avant de quitter le passage, ils entendirent le coup de feu.
Il y a toujours un prix à payer.
****************
14/05/2226, 18h47
Oryane
La rouquine suivait à pas lents la Dr Paige dans les couloirs, tentant de masquer son soulagement.
Après trois jours d'isolement, on l'autorisait enfin à voir Sam. Il était enfermé dans une cellule minuscule et humide, puisqu'il n'avait pas été envoyé dans la fosse. Oryane aurait payé cher pour être à sa place.
Ava Paige ouvrit la porte de l'étage de détention et se tourna vers elle.
- Dix minutes. Pas une de plus.
Depuis l'incident, elle se montrait froide avec elle. Plus de petits arrangements, plus aucun sentiment. Cherchait-elle à la punir ? A lui montrer sa déception ? Cela donnait envie de pleurer à Oryane. Comment avait-elle pu vouloir trahir celle qui se rapprochait le plus de sa mère ? Alors qu'elle avait tant fait pour elle ? Comment avait-elle pu vouloir abandonner tous ces gens à leur malheur ? Elle comprenait tellement Teresa à présent. Trois nuits qu'elle ne dormait plus, hantée par ces images cauchemardesques.
Elle pénétra dans la zone grise aux box mitoyens, cherchant celui de Sam. Elle devait lui parler, c'était vital. Elle savait qu'il l'épaulerait et la conseillerait, elle avait besoin de ses yeux, de son sourire...
- Ne pleure pas...
Elle s'immobilisa. Devant elle, dans l'allée, se trouvait Kat à genoux devant un box. Sans même savoir pourquoi, Oryane se cacha dans l'encognure sombre de la porte pour éviter qu'elle ne la voie. De là, elle distinguait Sam dans sa cellule, serrant les mains de Kat dans les siennes. Celle-ci renifla.
- C'était tellement... Je n'ai même pas les mots. Ce n'était même plus des humains. C'était des bêtes sauvages. Ils nous encerclaient, j'avais l'impression qu'ils allaient nous sauter dessus à tout moment...
La voix de la brune se brisa. Samuel appuya son front contre le sien à travers les barreaux et souffla.
"- J'aurais voulu être là.
- Non, tu n'aurais pas dû ! Tu n'es pas immunisé Sam ! Je n'ose même pas imaginer l'état dans lequel tu serais actuellement si tu avais été...
- Alors qu'est-ce que je fous là ?!
- Je ne sais pas !
- Qu'est-ce que tout ça nous a apporté au final ?
- Je t'ai rencontré."
La déclaration de Kat flotta dans l'air et elle piqua un fard alors que le coeur d'Oryane se fissurait.
"- Kat... souffla Sam.
- Arrête, le supplia la fillette.
- Pourquoi ?
- On ne peut pas.... Ca va nous retomber dessus...
- Je ne laisserais personne nous arracher l'un à l'autre.
- Je...
- Est-ce que tu m'aimes Kathy ? murmura Samuel, les yeux brûlants.
- Oui, avoua la brune dans un chuchotis.
- Moi aussi."
Ils se regardèrent intensément et l'âme d'Oryane implosa alors qu'elle comprenait ce qui allait se passer.
Sam et Kat s'embrassèrent et elle prit la fuite.
Les larmes brouillaient sa vue alos qu'elle courait, courait, courait à travers les couloirs dans l'espoir qu'une chute lui fasse tout oublier, fasse disparaitre la douleur, piétine son stupide coeur, arrête ses hurlements intérieurs.
Elle était amoureuse de Samuel.
Et elle le comprenait trop tard.
Etait-ce une énième punition ? Qu'avait-elle fait pour en arriver là ?
"L'Erreur."
Il y a toujours un prix à payer.
***************
18/05/2226, 14h55
On vint chercher Oryane après le déjeuner.
Ava Paige, Randall et Mr. Leavitt pénétrèrent dans sa salle en plein cours de sciences technologiques. Ava et Leavitt semblaient résignés, mais Randall plutôt satisfait.
- Veuillez nous excuser, nous allons vous l'emprunter un instant, dit-il à Mme Thorlas.
Intriguée, la fillette suivit les trois adultes dans le couloir. Le sourire de Randall ne lui disait rien qui vaille.
"- Où allons-nous ? demanda-t-elle en marchant derrière eux.
- Te montrer quelque chose que tu vas absolument adorer, Oryane."
La rousse sentit un mauvais pressentiment l'envahir.
Le Dr. Leavitt poussa la porte de la salle d'observation. Seuls Randall et Oryane entrèrent. Tout dans la pièce était fait de verre et de machines, nimbé d'une lueur bleutée dans le noir. Les murs étaient de larges écrans à gauche, un long panneau de verre à droite permettant de voir ce qui se passait dans la pièce d'à côté. Il était totalement embué.
- Vois-tu Oryane, nous avons réfléchi, et nous nous sommes dit que la leçon n'était pas très bien passée, expliqua Randall.
La rousse sentit son sang se glacer.
"- Vous allez nous renvoyer dans la fosse aux Fondus ?!
- Oh non, pas vous ! Votre bêtise est d'avoir suivi le mouvement comme des moutons ignorants. Non, nous allons punir l'investigateur de cette affaire. Qui a conçu ce plan ? Qui a enrôlé d'abord Gally puis vous tous ? Qui a exacerbé votre égoïsme pour vous persuader de partir ?
Non. Oryane eut tout à coup très, très peur. Elle pâlit.
- Minho, dit Randall avec délices. C'est lui qui nous pose un vrai souci. Mieux vaut prévenir que guérir, nous allons lui donner un ultime avertissement.
Il appuya sur un bouton et la buée de la vitre disparut aussitôt pour révéler une petite pièce blanche, vide, du carrelage blanc par terre, au plafond, sur les murs, rien d'autre, complètement uniforme. Une lumière aveuglante baignait le tout.
Et au centre, Minho. Assis sur une chaise et ligoté par le dos, les chevilles et les poignets sur les accoudoirs, baîllonné. Il était singulièrement pâle, et son œil au beurre noir tranchait avec les immenses cernes violacées sous ses yeux. Il lançait des regards furibonds vers le panneau en s'agitant, les insultant sans doute sous le tissu lui enserrant la bouche.
- Ne t'en fais pas, lui ne peut pas nous voir, fit Randall. Il sait juste que quelqu'un l'observe.
Il saisit le micro sur la table de contrôle et clama :
- Vous pouvez y aller.
Le cœur d'Oryane s'arrêta de battre.
Dans la salle, la lumière baissa d'un coup et Minho se figea, méfiant. Dans le mur s'ouvrit alors une cavité, et une espèce de conteneur ovale blanc en sortit. Le garçon le suivit soigneusement des yeux.
- Ces caissons, murmura le chef des gardes à voix basse d'un ton révérencieux, contiennent l'une de nos plus grandes créations. Une créature biomécanique, un alliage de chair et de robotique, avec différents outils. Ils ont des yeux, une ouïe et un odorat. Ils peuvent marcher, grimper et sauter sans problème. Nous allons les inclure dans le Labyrinthe.
Une ombre de sourire se dessina sur ses lèvres.
- Nous les appelons les Griffeurs.
Le conteneur continuait à s'approcher lentement de Minho. Il grossissait au fur et à mesure de son avancée. Un brouillard emplit la pièce de plus en plus haut, masquant presque les silhouettes, alors que le visage de l'asiatique se tordait de terreur et que le conteneur se mouvait, se déformait peu à peu pour grandir, s'élargir...
- Arrêtez ! hurla Oryane en plaquant ses mains sur la vitre. Ne faites pas ça ! Je vous en prie !
Randall lui saisit la peau du cou et la colla front contre le verre pour la forcer à regarder.
Le caisson noircit et le pire monstre qu'Oryane eut jamais vu, qu'elle n'aurait même pu imaginer dans ses pires cauchemars, se dressa devant Minho.
C'était une gigantesque araignée métallique et qui paraissait en même temps moite et humide, ses dizaines de pattes terminées par des instruments tous plus horrifiques les uns que les autres, ses immenses yeux verts globuleux fibreux rivés sur le jeune homme. Celui-ci avait les yeux écarquillés et se débattait de toutes ses forces, sans grand succès à cause de ses liens, hurlant sur son baîllon. Le Griffeur ouvrit la bouche et un crissement strident à en court-circuiter les tympans retentit dans tout l'étage.
"Thomas ! Teresa ! cria-t-elle mentalement. Venez, je vous en supplie ! Ils ont attaché Minho, il y a un monstre qui le menace..."
Elle se rendit compte avec un infini désespoir que ses paroles sonnaient creuses dans sa tête, rebondissaient bizarrement.
Ils avaient coupé leur télépathie.
Minho était parvenu à reculer sa chaise contre le mur, mais ne pouvait plus bouger. Le Griffeur planta ses pinces dans le mur autour de lui, encerclant le garçon qui hurlait à pleins poumons, pleurant toutes les larmes de son corps.
- STOP ! vociféra Oryane, sanglotante. JE VOUS INTERDIS ! VOUS N'AVEZ PAS LE DROIT ! NOUS N'ESSAIERONS PLUS JAMAIS ÇA MAIS RAPPELEZ CETTE CHOSE...
Le Griffeur faisait maintenant tournoyer une de ses lames au dessus de la tête de Minho, frôlant ses cheveux, alors que celui-ci sanglotait, réduit à néant...
- Ça suffit, dit alors Randall.
Aussitôt, les ampoules se rallumèrent, le brouillard se dissipa et le monstre se rétracta pour retomber sur le sol telle une poupée molle.
Minho resta prostré sur sa chaise, le regard vide, se balançant en pleurant. Jamais Oryane ne l'avait vu ainsi. Le garçon sarcastique et confiant avait laissé place à un enfant complètement traumatisé, régressant dans sa tête. Comment serait-il après une telle expérience ?
Oryane ne se rappelait pas elle-même avoir déjà autant pleuré.
- Ce n'était pas la peine de t'affoler comme ça tu sais. Minho est bien trop précieux pour que nous le tuiions.
Il l'emmena en dehors de la pièce et la confia au Dr. Leavitt.
- Ramenez-la dans sa chambre. Les autres sujets doivent encore voir ça.
Le psy soutint maladroitement, mais avec une compassion dissimulée la rouquine alors qu'elle faisait un pas titubant.
Brusquement, les mots de l'homme devinrent claires à ses oreilles et elle se retourna d'un bond.
- Comment ça, "les autres sujets doivent voir aussi" ? Vous avez enregistré ?
"Pitié oui. Faites que ça a été enregistré, faites qu'il y ait eu des caméras..."
Randall lui servit un sourire doucereux.
- Je pense que Minho assimilera bien mieux l'expérience s'il la revit plusieurs fois.
Oryane n'avait plus les mots, plus l'énergie, plus l'horreur nécessaire.
Elle ne revit plus ses amis. Sa porte fut verrouillée de nouveau, sa télépathie coupée, elle n'entendit plus parler d'eux.
Mais elle sut que Minho ne fut plus jamais le même.
Il y a toujours un prix à payer.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top