2 : Tout ira bien
04/02/2223, 8h12
Stephen
Il neigeait ce jour-là.
Stephen était assis sur une chaise près de la table de la cuisine, son sac à dos posé près de ses pieds. Sa mère terminait de lui nouer ses chaussures, les mains tremblantes, à la lueur de la lampe torche.
Le petit garçon savait parfaitement bien ce qui allait se passer : dans quelques minutes, des gens viendraient le chercher. Ils l'emmèneraient dans un endroit où il serait en sécurité pour toujours et pourrait aider les malades même s'il ne comprenait pas comment un enfant de huit ans et quarante-six jours pouvait sauver le monde.
Et surtout, il ne reverrait jamais sa mère.
Celle-ci s'efforçait tant bien que mal de dissimuler ses larmes. Elle lui enfila son manteau.
"- Je veux pas partir, dit alors Stephen.
- Je sais mon chéri, mais c'est mieux. Tu n'as pas le choix, c'est pour tous nous sauver. Crois-moi, si je le pouvais, je te garderais avec moi mon bébé..."
La voix de Maman se cassa.
"- Mais ce sera chouette là-bas tu verras. Tu pourras manger ce que tu veux, avoir de l'électricité et aller à l'école dans une vraie salle de classe et te faire plein de copains.
- Mais toi tu ne seras pas là.
- Bien sûr que si. Je serai dans ton coeur et tes souvenirs. Et je penserai toujours à toi, peu importe où tu te trouves."
Ils sortirent dehors. Comme d'habitude, il y avait des gens dans les rues, mais ils étaient bizarres. Stephen croyait que c'était des "contaminés", des gens malades, des fous.
Papa aussi était tombé malade il y a maintenant quelques mois.
Il délirait de plus en plus, était devenu violent avec lui et Maman. Une nuit, terrifié par les hurlements provenant du salon, il s'était glissé furtivement dans les escaliers. Il avait alors entendu des bruits de coups, des cris et enfin un grand coup de feu. Puis il y avait eu le silence.
Quand il était descendu, son père gisait par terre, du sang coulant de sa tête et un liquide noir de sa bouche. Maman était plantée là, tremblant très fort, tenant un fusil dans les mains et des bleus sur le visage et les bras.
Dès qu'elle avait aperçu son fils, elle avait éclaté en pleurs et avait couru le serrer dans ses bras.
- Pardon mon chéri... sanglotait-elle. Pardon...
Une bourrasque d'air glacial frigorifia Stephen et le ramena à la réalité. Le temps avait toujours été très étrange, la plupart des jours de l'année il faisait chaud à mourir, et puis d'autres fois il neigeait, comme aujourd'hui. Eté, hiver, été, hiver. Chacun son tour.
Maman lui tenait bien la main alors qu'ils se faufilaient tant bien que mal entre la foule compacte, jusqu'aux limites de la ville fermées par des barbelés lugubres assaillis de néons qui faisaient mal aux yeux et dans tout le corps si on les touchait. Stephen avait entendu son père s'en plaindre il y a plusieurs mois : les fils piégeaient les gens malades ET les gens en bonne santé dans la même zone, ce qui finirait par infecter tout le monde.
Maman poussait des gens, criait de s'écarter, et ils progressèrent peu à peu, jusqu'à arriver près d'un quai, dans une vieille gare. Maman s'agenouilla devant lui et il se mit à pleurer pour de bon.
La séparation tant redoutée était arrivée.
- Je t'aime, chuchota sa mère en lui caressant les joues avec un sourire ourlé de perles salées. Et je suis très, très fière de toi.
Stephen sentit alors des mains lui empoigner le dos sans ménagement.
Deux hommes en noir masqués effrayants le tenaient fermement.
- C'est lui ? en demanda un à sa mère.
Celle-ci hocha la tête, les lèvres tremblotantes.
L'homme regarda Stephen (enfin le garçon supposait qu'il le faisait à travers son casque), puis son regard tomba sur les lampes crues des fils de fer. Il donna un coup de coude à son collègue et les lui montra.
- Tu sais qui a inventé ces trucs-là ? Un gars qui s'appelait Edison. (Il désigna le petit brun.) On pourrait appeler celui-là Thomas.
"Quoi ? Non ! Je veux garder mon prénom !"
Brusquement, sans délicatesse, un soldat prit Stephen dans ses bras et ils commencèrent à s'éloigner. Une peur panique envahit le garçonnet. Il n'avait pas eu le temps de dire au revoir !
- Maman ! hurla-t-il, tendant désespérément les bras vers elle. MAMAN !
Elle ne fit rien, elle lui fit juste coucou avec les mains avec un dernier sourire doux, sanglotante. Puis la foule la happa.
Stephen ne la revit jamais.
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04/02/2223, 8h56
Lizzy
Il neigeait ce jour-là.
Quand Lizzy se réveilla, elle fut surprise de la fraicheur qu'elle ressentait. À quand remontait la dernière fois qu'elle avait gardé sa couverture toute la nuit ?
Elle se leva lentement. Dans le petit lit de camp à côté d'elle, son grand frère chéri, Samuel, dormait encore. Le regard de la petite tomba alors sur la fenêtre. Ce qu'elle y vit l'y pétrifia.
Des flocons jaunâtres tombaient du ciel d'un gris rougêatre, sableux, se posant délicatement sur la terre brûlée.
- IL NEIGE ! hurla Lizzy, au comble de l'excitation.
Elle se jeta sur le lit de son frère en sautillant pour le secouer.
- Sam ! Sam, réveille-toi ! Il neige !
Le blond ouvrit mollement ses yeux bruns endormis. Lizzy le poussa presque du matelas, impatiente.
"- Allez debout ! Fais pas ton paresseux !
- J'arrive, calme ta joie" marmonna Samuel pour la forme, mais il paraissait vaguement amusé.
Ils se perchèrent à la petite fenêtre du sous-sol. Ils dormaient là depuis... aussi longtemps que Lizzy s'en souvenait. Ses parents les barricadaient là pour les protéger si jamais des monstres de dehors attaquaient la maison. Ils se passaient eux-même la garde à tour de rôle la nuit avec le pistolet de Papa en haut.
La cave était froide et lugubre, mais Maman avait bataillé pour obtenir de la laine de couleur pour leurs couvertures et les rares fois où ils trouvaient du papier, Sam et Lizzy dessinaient pour tapisser les murs, même si les feuilles finissaient inlassablement détrempées à cause de l'humidité.
Le reste de la journée, ils pouvaient remonter en haut, mais il n'y avait pas grand-chose à faire. Tout était rangé dans des cartons, pour si ils devaient un jour partir d'urgence. Alors Sam et Lizzy s'inventaient des histoires et Sam chantait des chansons à sa petite sœur. Il chantait trop bien. Mais il donnait des conseils à Lizzy et l'encourageait en disant qu'elle avait une belle voix elle aussi.
Papa partait toute la journée pour chercher de la nourriture, et chaque soir les enfants avaient peur, parce qu'ils savaient que tout pouvait basculer, que Papa pouvait ne pas revenir. Alors Maman leur faisait cours comme elle pouvait, elle faisait ses leçons de CM1 à Samuel, qui aidait ensuite sa sœur avec son alphabet. Il avait déjà déclaré qu'il voulait être maître d'école plus tard. Sa petite sœur l'enviait : elle n'avait aucune idée de son futur métier.
Si ils parvenaient déjà à survivre jusque-là.
Lizzy savait que sa famille lui mentait. Ils lui disaient juste que tout était brûlé dehors, que la terre était inutilisable, et que des Fondus, des monstres très dangereux, les guettaient en permanence. Ils ne devaient surtout pas sortir. Mais la blondinette soupçonnait la situation d'être bien plus compliquée que ça.
Parfois, des gens toquaient à la porte, et Maman les faisait aussitôt descendre dans la cave. Papa allait leur parler à voix basse. Sam disait que c'était pour leur donner de quoi manger.
Le monde n'allait pas bien, Elizabeth en était sûre.
Mais au moins, elle était avec sa famille, et ils s'aimaient tous farouchement.
La porte de la cave s'ouvrit, et Maman descendit avec un sourire malgré ses cernes qui lui arrivaient jusqu'au menton.
"- Coucou mes amours.
- Maman, il neige ! pépia Lizzy en courant vers elle. On peut sortir, s'il te plait, s'il te plait ?"
Elle lui adressa un regard suppliant. Le visage de Maman s'affaissa.
- Non Lizzy, surtout pas. Je suis désolée, murmura-t-elle d'un filet de voix. C'est trop dangereux.
La petite blonde sentit un poids lui tomber sur le cœur. Elle retourna s'asseoir sur le lit, les jambes en tailleur. Sam la rejoignit aussitôt pour la serrer contre lui. Il avait toujours été très protecteur avec elle.
Soudain, une ombre passa devant le soupirail, obscurcissant la pièce. Maman se raidit.
Moins de deux minutes après, on frappait à la porte avec force.
Lizzy ne put retenir un frisson. Samuel la serra plus fort, les yeux écarquillés. Maman pâlit. Papa apparut soudain en haut de l'escalier.
"- Ne bougez pas, ordonna-t-il à voix basse.
- Je viens avec toi, répondit Maman en esquissant un mouvement.
- Surtout pas. Reste avec les enfants. Je vais essayer de négocier."
Leur mère baissa les yeux sur eux et acquiesça aussitôt.
Papa ferma soigneusement la porte et partit ouvrir celle d'entrée. Il y eut un silence.
Lizzy se pressa contre son grand frère, luttant contre la terreur sourde qui l'emplissait comme toujours. Le garçon de huit ans l'embrassa sur le front.
- Ne t'en fais pas sœurette, souffla-t-il. C'est juste des gens qui ont faim. Papa va leur donner des trucs et ils vont partir comme d'habitude. Ça va aller, tu verras.
Mais sa voix tremblait et Elizabeth comprit qu'il n'y croyait pas lui-même. Elle le sentait elle aussi : cette fois était différente.
Tout à coup, il y eut des éclats de voix, un bruit sourd et la porte de la cave s'ouvrit à la volée.
Maman se leva d'un bond. Sam et Lizzy se figèrent. Deux hommes et une femme déboulèrent dans le sous-sol, tout en noir, avec des casques qui faisaient peur. Ils tenaient tous une arme.
- Vous n'avez pas répondu à la lettre, fit un soldat d'une voix caverneuse. Je suis désolé, mais nous n'avons plus le choix. Nous avons besoin de la fille, Elizabeth.
Lizzy sentit le froid l'envahir, elle ne parvenait plus à bouger. Les méchantes personnes la voulaient elle ? Qu'avait-elle fait ? Elle ne voulait pas partir avec eux !
Mais des mains l'attrapèrent et elle se mit à hurler, se débattant avec Maman qui s'accrochait à sa fille en pleurant comme une possédée. Sam se jeta sur un homme pour le mordre férocement.
- Je vous interdis de toucher à ma famille ! hurla leur père en braquant son revolver.
- Ça suffit !
Le coup de feu partit, un homme tomba, la fumée emplit le sous-sol, Maman se rua sur Papa, et il y eut une autre violente détonation.
Quand Lizzy rouvrit les yeux, Papa et Maman étaient par terre, ils saignaient, et ils fixaient le plafond sans bouger, un air d'horreur figé sur le visage. Samuel poussa un hurlement.
- Maman ? Papa ? hoqueta la blondinette, qui ne comprenait plus rien. Réveillez-vous ! Pourquoi vous restez allongés ?
Elle se mit à pleurer en voyant qu'ils n'esquissaient aucun mouvement.
- Sam, pourquoi ils bougent pas ?!
Son grand frère ne lui répondit pas. Il pleurait lui aussi, la serrant presque à l'étouffer contre lui.
L'homme et la femme passèrent devant leur collègue sur lequel Papa avait tiré, et contemplèrent les enfants.
"- L'aîné n'est pas Immune, fit remarquer l'homme avec ennui. Il va se retrouver orphelin.
- Emmenons-le aussi, rétorqua la femme avec désinvolture en haussant les épaules. Ils pourra toujours servir de modèle avec qui comparer les autres sujets."
Ils parlaient comme s'ils choisissaient un bout de viande. Lizzy ne l'oublierait jamais.
On les emmena.
*****************
05/02/2223, 19h07
Deedee
Il ne neigeait plus.
Dianna était assise dans le train, encadrée par des gardes. Autour d'elle, d'autres enfants, d'une large tranche d'âge, même s'ils avaient tous entre quatre et onze ans. Tous avaient l'air furieux, complètement hébétés, quand ils ne pleuraient pas ou restaient paralysés de peur.
Deedee n'avait pas peur. Elle était confiante.
La femme blonde qui les escortait leur avait expliqué qu'on les avait enlevés à leurs parents pour une excellente raison : ils étaient immunisés contre la maladie qui ravageait le monde. Ils étaient les seuls à pouvoir tout ramener à la normale.
La fillette brune sentit ses épaules tomber en songeant à l'ampleur de la tâche. Comment une bande de gamins pouvaient-ils rétablir l'équilibre entre l'enfer et le paradis ? Mais elle se redressa. Elle était une des plus vieilles du wagon, elle se devait de paraitre forte, pour les plus jeunes.
Ces gens les mettaient en sécurité. Deedee leur en serait à jamais reconnaissante.
Elle avait enduré tant d'épreuves, elle avait encore si mal. Ses parents, complètement fous, disparus, avec son village. Les derniers encore vivants l'avaient accusée de propager tous ces maux, d'être une sorcière parce qu'elle ne tombait pas malade comme eux, avaient prétendu qu'il fallait la sacrifier aux dieux pour purifier la Terre.
Si Alec, Lana, Mark et Trina ne l'avaient pas sauvée à temps, elle serait morte à l'heure qu'il est.
Mais maintenant, c'était eux qui étaient décédés.
Avant leur dernière bataille, ils l'avaient déposée devant cette enceinte avec un mot. Des médecins l'avaient recueillie, s'étaient occupés d'elle. Ils lui avaient posé des questions, à lesquelles elle avait refusé de répondre. Elle ne voulait plus en parler. Jamais.
Elle avait accepté le nom qu'ils lui donnaient, Teresa, avec gratitude. C'était un pas de plus vers oublier totalement son passé.
D'après ce qu'elle avait compris, ces docteurs avaient sauté sur l'occasion de son arrivée pour lancer leur plan de sauvetage du monde. Et à présent, elle et une centaine d'autres enfants étaient dans ce train.
Il y avait un petit garçon brun complètement apeuré, un frère et une soeur blonds si collés qu'on aurait dit des siamois, un asiatique qui se débattait furieusement et qui s'était déjà fait engueuler plusieurs fois par les gardes, qui l'avait appelé Minho, ce à quoi il répondait en hurlant qu'il s'appelait Yu-jun.
"Pourquoi tu te bats ? voulait lui demander Deedee. C'est un nouveau départ. C'est terminé de souffrir. Ne t'accroche pas."
Les autres restaient silencieux, le regard vide. Il y en avait de toutes les tailles, poids et ethnies. Ils retenaient tous leur respiration, comme si le wagon allait exploser au moindre souffle. L'air était suffocant, l'ambiance lourde pesait comme une chape de plomb sur leurs poumons.
- Les enfants.
Ils relevèrent tous le regard sur la femme blonde qui menait l'équipe. Elle avait un air serein, un sourire calme et rassurant.
- Tout ira bien.
Le train accéléra encore plus et s'enfonça dans l'obscurité.
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