15 : Adieux
Oryane ne savait plus comment réagir, estomaquée.
"L'avenir du monde entier. Youpi. Zéro pression."
Ses compagnons échangeaient des regards, visiblement aussi abasourdis qu'elle.
La professeure Paige poursuivit :
- Vous ne vous en rappelez pas, mais il y a une vingtaine d'années, des éruptions solaires ont ravagé toute la planète.
À l'écran, des images d'incendies sur des centaines de kilomètres, des gens en train de brûler se superposèrent sur le hologramme de la scientifique.
- Elles étaient d'une violence inouïe, imprévisible. Elles ont brûlé nos satellites. Quand nous nous sommes rendu compte de leur arrivée à pleine vitesse, il était déjà trop tard.
Oryane sentit Newt lui agripper la main.
- Tout est parti en fumée : les récoltes, le bétail, les moyens de transport, l'électricité, nos technologies. Aujourd'hui, la planète n'est plus qu'une vaste Terre Brûlée, un désert sans aucune vie. Il doit rester 5 villes en tout et pour tout dans le monde. Il y a eu des dizaines de milliers de morts, et encore d'autres avec la famine et la canicule sans fin qui se sont ensuivis. Mais le pire restait à venir.
"Le pire ? Parce qu'il existe un pire ?"
Elle se cramponna à la main de Newt.
- Nous ignorons s'il est dû à l'environnement, mais un nouveau virus destructeur est apparu : la Braise.
Sans savoir pourquoi, Oryane sentit une peur sourde s'emparer de tout son être à ce nom.
- La Braise vit dans le cerveau. Elle ronge, se nourrit des neurones. Petit à petit, le contaminé perd son humanité pour se transformer en animal, un véritable fou.
De nouveau, des images horrifiques. Une petite fille en train de noyer un garçon de son âge avec indifférence. Deux hommes se battant jusqu'au sang. Une femme en train de grignoter son propre bras avec force gloussements. Une petite vieille à l'air parfaitement normale traversant la rue avec une poussette, avant que son visage ne s'empourpre de fureur et qu'elle se jette violemment sur le bébé en hurlant pour le déchiqueter avec ses ongles, sans que celui-ci émette un son.
Tous se ressemblaient : sales, dépenaillés, le corps parsemé de veines sombres, les yeux fous et un liquide noir coulant de leur bouche.
Il y eut ensuite des images médicales, où un homme pareil aux personnes précédentes était retenu par des médecins, en hurlant de rage et se débattant. 5 minutes après, on voyait les médecins lui ouvrir le cerveau et le découper avant de le montrer à l'écran : les tissus cérébraux étaient entièrement parsemés de rayures noires.
Oryane avait envie de vomir.
- Nous appelons les malades les Fondus. Ils sont d'abord paranoïaques, méfiants à l'extrême. Puis ils deviennent violents, agressifs, et enfin complètement fous. Ils n'hésitent pas à ôter la vie et manger les autres humains. Ils n'ont plus ni contrôle d'eux mêmes, ni émotions. A terme, la Braise finit par tuer. Elle se transmet par le moindre contact, le moindre souffle, la moindre proximité. Très vite, la situation s'est transformée en pandémie mondiale.
Les Blocards étaient tous hypnotisés par l'écran, sous le choc et horrifiés.
- Les gouvernements restants se sont alors unis et ont décidé de fonder le WICKED.
"World In Catastrophe."
Oryane et ses amis avaient cru à une guerre.
En réalité, ils affrontaient l'apocalypse.
- Nous avons réuni tous les scientifiques, tous les médecins survivants pour se pencher dessus. Nous n'avions qu'un seul but : trouver un remède.
Il y eut une déflagration particulièrement violente derrière Ava Paige.
- Malheureusement, il n'existait rien. Rien qui puisse nous sauver. Nous étions 10 milliards sur Terre. Aujourd'hui, nous sommes 3 000.
Frypan émit un hoquet de stupeur.
- Tout semblait perdu. Jusqu'à ce que nous entendions parler de certaines personnes. Immunisées de naissance, sans aucune raison. Cela défiait les lois de la génétique. L'immunité pouvait sauter plusieurs générations sans que nous sachions pourquoi. Alors nous avons décidé de faire des tests. De partout dans le monde, nous avons ramené une centaine d'enfants faisant partie de ces chanceux.
Oryane ferma les yeux. C'était peut-être comme ça que ça s'était passé pour ses amis, mais pas pour elle. Elle était un cas largement à part.
- Nous avons pris ces enfants à leur parents. Nous leur avons fourni vêtements, logis, nourriture et scolarité durant une dizaine d'années. Et puis nous avons décidé de lancer une Épreuve. Une Épreuve qui nous permettrait, en observant le fonctionnement de leurs cerveaux, de définir en quoi celui-ci était différent et immunisé de base, et nous donner au moins le point de départ pour le vaccin. En clair, nous avons tenté de comprendre pourquoi ils étaient différents.
La professeure Paige les vrilla des yeux à travers son écran.
- Pourquoi VOUS êtes différents.
Oryane peinait à percuter.
Elle et ses compagnons étaient immunisés contre une maladie qui détruisait l'humanité.
C'était tellement énorme que ça en était risible.
- Tout ce que vous avez vécu, l'amnésie, le Labyrinthe, les morts, tout ça n'étaient que des variables pour comprendre votre système cérébral. Mais malheureusement...
Elle désigna la bataille derrière elle.
- Nos méthodes sont désapprouvées par la population. Il est trop tard pour nous. Mais vous... vous pouvez encore nous sauver.
Avec horreur, Oryane vit Ava Paige saisir un revolver sur la table et le braquer sur sa propre tempe.
- N'oubliez jamais : WICKED is good.
Et elle tira.
Oryane détourna les yeux au moment fatidique. L'hologramme grésilla et s'effaça. Newt était pâle, ébranlé comme jamais.
Tous les Blocards échangèrent des regards lourds.
Ils avaient cru qu'en sortant du Labyrinthe, ils auraient des réponses, qu'ils pourraient rentrer chez eux, retrouver leur famille, leurs amis.
Mais ils n'avaient jamais eu de vie. Et ils n'auraient pas d'avenir non plus.
Tout ce à quoi ils s'étaient accrochés au Bloc n'existait pas. Ce n'était que de doux rêves, des illusions.
Ils n'avaient pas de maison et pas de parents.
Ils n'avaient rien.
- Et voilà. Dans la galère. Vous auriez dû m'écouter.
Éberluée, Oryane se retourna pour voir...
Gally.
- QU'EST-CE QU'IL FOUT LÀ LUI ? s'écria Minho, totalement stupéfait.
Mais tous blêmirent en s'apercevant que Gally avait un flingue, sorti d'on ne sait où.
Un flingue qu'il pointait droit sur Thomas.
- Mec... souffla Newt.
La rousse se rendit compte que Gally n'était pas dans son état normal.
Il tremblait de tout son corps, le front en sueur et les yeux brouillés de larmes, secouant vivement la tête comme s'il luttait contre quelque chose.
"Oh shit. Les puces."
Oryane était prête à parier toute l'eau restante dans le monde (c'est à dire pas beaucoup) que les puces permettaient entre autres à WICKED de contrôler les esprits.
- On n'a rien pour nous dehors, souffla Gally, les joues trempées. Je suis désolé, Thomas.
C'est alors qu'une deuxième silhouette émergea de l'ombre.
Quelqu'un qu'Oryane n'aurait jamais, au grand jamais, cru revoir un jour.
Il pointa à son tour un flingue sur l'adolescente, un petit sourire en coin des lèvres.
- Tiens tiens, comme on se retrouve.
Andrew.
"On va jouer un peu toi et moi."
Oryane se sentit défaillir, mais Newt la retint fermement dans le dos, son regard noir illuminé d'une flamme de rage inédite.
"- Je vous avais prévenu pourtant tocards, ricana Andrew. Je vous avais dit que je survivrai et que je reviendrai me venger. Pendant que vous flippiez vos morts, WICKED m'avait recueilli, et j'étais au chaud, nourri et logé. La classe quand même ! La seule chose à accomplir en échange, c'était de tuer la petite pute de service de Newt au moment propice. Un prix dérisoire...
- Ta gueule" fit Newt d'une voix sourde, sa main se resserrant dangereusement sur celle d'Oryane.
"Ne pleure pas. Ne pleure pas. Ne montre pas à ce connard qu'il t'a atteint."
- Sois pas comme ça, Newt. On sait toi et moi que tu fais semblant avec elle. C'est vrai qu'elle est canon. Tu vas essayer où j'ai échoué, pas vrai ?
"Pas de réaction, calme-toi, Newt n'est pas comme ça..."
"- Je ne suis pas comme toi, énonça justement Newt, les yeux pareils à deux pics de glace. Je ne ferai jamais de mal à Oryane, parce que c'est la personne que j'aime le plus au monde.
- Pas la peine de faire genre. Votre soi-disant couple frise le ridicule. C'est quoi le surnom débile que tu lui donnes déjà ? Ah oui, mon an...
- J'AI DIT FERME TA GUEULE !"
Newt se jeta sur Andrew et le monde parut basculer.
Pris de panique, Andrew tira en l'air sans le vouloir, et Newt l'explosa contre une paroi vitrée. Il s'effondra (inconscient ? mort ?) le crâne entièrement rouge et déchiqueté d'éclats de verre. Dans l'action générale, Gally tira sur Thomas, mais une silhouette que la rouquine ne parvint pas à identifier vint se placer devant en une milliseconde, alors qu'au même moment, Minho, saisissant la lance de Thomas, frappait Gally en plein coeur.
Le blond lâcha tout, les yeux révulsés fixés sur la pique de bois dans sa poitrine. Il émit un râle, avant de tomber à genoux et de s'effondrer pour de bon.
Il y eut une minute de flottement, durant laquelle tout le monde se regarda sans comprendre.
Newt délaissa Andrew et se rapprocha d'eux. Le cerveau d'Oryane peinait à redémarrer.
- Thomas.
Tous se tournèrent vers Chuck, un air hébété peint sur le visage. Puis ils baissèrent à l'unisson les yeux sur la tache rouge qui s'étendait à travers le T-shirt de l'enfant.
Oryane sut alors qui avait pris la balle à la place de Thomas.
- NON !!
Elle n'aurait su dire qui d'elle ou de Thomas avait crié le plus fort.
Le brun et elle se précipitèrent sur Chuck pour le soutenir alors que le gamin s'effondrait au sol.
Ils l'allongèrent sur le parquet parsemé de sang et de tessons de verre. Thomas sanglotait bruyamment, et la vue d'Oryane était floutée par les pleurs. Ce n'était pas possible, ça ne s'était pas produit...
- Thomas... Oryane... gargouilla Chuck, peinant de plus en plus à respirer, du sang coulant légèrement de sa bouche.
Avec une force surprenante pour son âge, il s'agrippa aux poignets de ses deux plus proches amis, avant de tirer quelque chose de sa poche et la tendre a Thomas.
- Mes parents... Donnez-leur ça... si vous les voyez....
C'était la petite statuette en bois qu'il avait sculptée lui-même, représentant un petit garçon, à présent barbouillée de sang.
Personne n'eut le coeur de lui dire que ses parents étaient décédés à l'heure qu'il est, et qu'ils ne les verraient sans doute jamais si ce n'était pas le cas.
- Chuck, s'il te plait... Non, souffla Oryane, dont les sanglots redoublèrent.
Ils avaient promis. Ils avaient promis à Chuck qu'il donnerait lui-même la statuette, qu'ils sortiraient tous d'ici, ce n'était qu'un gamin innocent, il ne méritait pas de mourir, il ne pouvait pas...
Le brunet leur serra la main une dernière fois, et son regard vitreux se mit à fixer le ciel sans le voir.
Thomas hurla à côté d'elle. Du coin de l'oeil, elle vit Teresa s'appuyer contre le mur en sanglotant, Newt plaquer sa main sur sa bouche, les larmes aux yeux, et Minho et les autres contempler la scène d'un regard vide, sans y croire.
Elle-même ne réagit pas, les larmes gouttant sur la chemise blanche de Newt, délavant le rouge sanglant qui l'avait souillée.
"Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas possible. C'est un cauchemar."
Et puis elle se mit à pleurer violemment, s'accrochant à Chuck comme Thomas.
Noyés dans leur chagrin, ils ne remarquèrent pas la brusque lumière éclatante derrière eux.
Oryane sentit soudain des bras l'accrocher et la tirer en arrière. Elle hurla et se débattit de toutes ses forces. Chuck n'était qu'un gamin, il n'aurait jamais dû vivre ça...
- Mon ange.
Elle ne pouvait pas l'abandonner.
- Mon ange, on doit y aller !
Oryane se laissa finalement emporter par Newt, les yeux fixés sur le corps inanimé de Chuck qui s'éloignait, ceux de Gally et Andrew à côté. Elle aurait voulu lui offrir une vraie sépulture, mais elle ne pouvait pas...
"Je suis tellement désolée, Chuck. Adieu."
Soudain, elle fut dehors.
Aveuglée par le soleil, elle cligna des yeux et ses idées se remirent lentement en place. Devant eux, du sable à perte de vue. Une chaleur étouffante.
Elle se mit à courir, tenant toujours la main de Newt, suivant les autres vers... un hélicoptère ?
On la poussa à l'intérieur et Oryane se tassa à droite de Newt, qui l'attira contre lui. Thomas sauta dedans à son tour et un homme en uniforme de garde monta derrière eux, et retirant son masque, il fit signe au pilote de décoller.
- Vous êtes OK les gars ? cria-t-il. N'ayez pas peur, WICKED est anéanti. Nous surveillions la zone depuis quelques temps déjà. Vous êtes en sécurité maintenant !
L'avion décolla.
Oryane s'approcha près de la vitre et contempla ce qui avait été leur prison.
Un gigantesque cercle de pierre aux multiples murs, chemins, et impasses, qui s'étendait sur au moins 5 km. Le Labyrinthe. Au centre, un grand carré de verdure, le Bloc. Oryane se demanda ce qui était arrivé à ceux qui y étaient restés.
Newt se pencha derrière elle et regarda à son tour, en silence.
- Impressionant, n'est-ce pas ? déclara le garde. Mais vous n'avez plus rien à craindre. Tout va changer à présent.
Les Blocards se regardaient sans y croire.
Leur monde était détruit. Ils étaient seuls. Chuck, Gally, Andrew et trop d'autres étaient morts.
Mais ils étaient sauvés. Sauvés de WICKED.
Pour la première fois depuis longtemps, Oryane entraperçut une lumière tout au bout de son chemin.
Elle posa la tête sur l'épaule de Newt, et ferma les yeux, exténuée. Le blond porta une main à ses cheveux.
Elle se concentra uniquement sur cette sensation alors que l'avion filait vers l'horizon, les emportant une fois de plus vers l'inconnu.
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