1 : Bienvenue au Bloc
Média : Oryane
Une odeur de soufre.
Un grillage de métal rouillé sous ses doigts.
Une obscurité pernicieuse.
"Je m'appelle Oryane. J'ai 15 ans."
Ce fut cette pensée qui la ramena enfin totalement à la réalité.
Elle ouvrit les yeux.
Elle était dans une cage. Non, une boite gigantesque, plongée dans la pénombre silencieuse.
Elle se redressa.
"C'est quoi cet endroit ? Qu'est-ce que je fais là ?"
Oryane avait beau fouiller dans son esprit, elle ne s'en rappelait pas.
En fait non.
Elle ne se rappelait de rien du tout.
Seuls son nom et son âge subsistaient dans le désert qu'était devenu son cerveau.
Elle ne savait pas où elle était, ce qu'elle y faisait, ni qui l'avait envoyée là.
Soudain, la cage s'ébranla.
Oryane s'égratigna les mains sur le sol grillagé en se retenant pour ne pas s'exploser la tronche. La cage vibra de nouveau.
Avant de se mettre à monter, tel un vieil ascenseur.
Une sensation de claustrophobie s'infiltra sournoisement en Oryane tandis qu'elle rajoutait un tiret à sa liste longue comme le bras des choses qu'elle ne savait pas : où elle allait.
La boîte montait de plus en plus vite. Oryane avait le coeur au bord des lèvres. Luttant contre la panique, elle se mit debout en s'agrippant aux parois de fer. Elle continuait sa montée infernale, et il n'y avait toujours aucune trace de vie humaine. Tout était sombre, hormis de pâles lueurs bleues de temps en temps, provenant de murs en ciment à l'extérieur, comme si elle montait les étages d'un réduit.
A l'autre bout de la boîte, la jeune fille aperçut des tonneaux. D'un pas mal assuré, en se tenant aux murs pour ne pas tomber à cause de la vitesse qui augmentait toujours plus, Oryane se déplaça près des tonneaux et se baissa en plissant les yeux pour déchiffrer les écritures à moitié effacées inscrites dessus.
"WICKED".
Les rouages du cerveau de l'adolescente se mirent aussitôt en marche, identifiant le mot comme de l'anglais et lui proposant une traduction.
WICKED = Méchant.
"Ah parce que mon cher cerveau est capable de traduire de l'anglais mais pas de se rappeler de mon identité ? Enfoiré."
Outre ce détail embêtant, Oryane commençait à sérieusement flipper.
Elle se trouvait dans une boîte, seule, dans l'obscurité et le silence, sans rien savoir de sa vie et son passé. Cette boîte grimpait de plus en plus vite et elle n'avait aucune foutue idée d'où elle l'emmenait. Dedans, des écritures indiquant que ceux l'envoyant ici se qualifiaient de "méchant". Plus direct, tu meurs.
Le plus rageant était qu'Oryane savait comment fonctionnait le monde. Elle savait comment parler, marcher. Elle se rappelait de certains lieux, le parfum des fleurs, le goût de la nourriture.
Mais tout ce qui la concernait elle même, hormis son prénom et son âge, s'étaient envolés.
Une secousse plus violente que les autres la fit trébucher au sol. Tâtonnant pour se relever, la main d'Oryane trouva un objet dur, lisse et pointu sur lequel elle s'appuya.
Au même moment, une lueur bleue éclaira vaguement la cage, quelques secondes, mais suffisamment pour qu'Oryane distingue sur quoi sa paume était posée.
Un crâne.
Ce fut la goutte de trop pour Oryane.
Elle laissa sa peur déborder tandis qu'elle se mettait à hurler.
- A L'AIDE ! AIDEZ MOI ! AU SECOURS !!
Horrifiée, sanglotante, Oryane continua de hurler à s'en déchirer les poumons, tout en frappant les parois de la cage de ses poings, ses paumes ruisselant de sang.
Toujours rien. Le monde restait sourd à l'horreur de la jeune fille.
Elle se laissa tomber au sol et fondit en sanglots. Elle allait mourir là, c'était inévitable.
La cage monta longtemps, une bonne demi-heure. L'adolescente s'était habituée au craquement des poulies et au fracas des chaînes, et l'odeur d'huile chaude commençait à l'endormir. Au moment où Oryane songeait sérieusement à envisager qu'il n'était pas prévu qu'elle s'arrête, il y eut une violente vibration et la cage se stoppa.
Une lumière rouge perça soudain les yeux d'Oryane, et une sirène d'alarme stridente ses tympans.
Essuyant ses joues, elle se recroquevilla contre le mur par réflexe. La lumière lui permettait de voir que la cage était bien plus petite qu'elle ne le pensait. Sans doute était-ce la frayeur qui lui avait donné cette impression.
Oryane baissa les yeux sur elle-même.
Elle portait une tunique rouge large, un jean gris délavé et troué, et des boots noires. À en juger par le poids sur sa nuque et dans son dos, ses cheveux devaient être longs et détachés.
Enfin, la sirène s'arrêta. Et brusquement, des portes s'ouvrirent au dessus d'elle, et un soleil éclatant se déversa dans la boite. Aveuglée, Oryane porta ses mains devant son visage pour se protéger.
Une fois habituée à la luminosité, elle cligna des yeux et distingua des formes noires au dessus d'elle, tout autour de la boite. Une bonne cinquantaine d'adolescents, de toutes tailles, morphologies et origines. Ils avaient tous à peu près entre 11 et 18 ans.
Des voix moqueuses, toutes masculines, lui parvinrent :
- Visez-moi ce clochard.
- Ca a l'air d'être un bon vieux tocard comme on les aime.
- Eh le bleu ! T'as fait bon voyage ?
- Bah alors, on a la trouille ? On se cache ?
- Ta gueule, Zart.
"Le bleu ? Tocard ?"
Bien qu'Oryane soit perplexe par l'utilisation de ces termes, le plus préoccupant était la manière dont ils s'adressaient à elle.
Comme si elle était... un garçon.
Elle se rendit alors compte que, recroquevillée qu'elle était contre une paroi, elle se situait dans l'ombre, personne ne pouvait donc voir son visage.
Mais tout de même... Elle n'avait entendu que des voix de gars.
Minute...
Elle n'allait quand même pas être... la seule fille ?
"Oh shit."
Si jamais c'était le cas elle allait devoir se taper les remarques de 50 mecs et leurs hormones.
"Je vais me pendre avant la fin du mois."
Et d'ailleurs, était ce bien normal qu'elle soit la seule fille ?
Et si en plus d'avoir été envoyée là, elle était une erreur ?
Oryane fut coupée dans ses pensées quand un garçon d'environ 16 ans sauta dans la boite et s'approcha d'elle.
"Il est... mignon."
Nan en fait, il était carrément craquant. Il avait des cheveux blonds dorés en bataille, des yeux bruns amicaux, un sourire malicieux en coin des lèvres et une peau hâlée. Il portait un sweat blanc crasseux et un pantalon marron usé. Oryane sentit ses joues rosir... jusqu'à ce qu'elle s'aperçoive que le garçon portait en bandoulière une espèce de ceinture tenant dans son dos une poche de cuir de laquelle dépassait un long manche, comme...
Un couteau.
Oryane pâlit. Et si tout le monde ici était des criminels ? Était-ce pour cela qu'elle avait été envoyée ici, amnésique ? Avait-elle tué quelqu'un ?
Le blondinet s'approcha.
- Allez, amène-toi le bl...
Il se tut en apercevant Oryane.
-Nom de Dieu, murmura-t-il.
Il dévisagea Oryane comme s'il avait vu un fantôme.
- Ca va Newt ? cria-t-on d'en haut.
- C'est une fille, souffla le dénommé Newt.
Puis il répéta plus fort :
- C'est une fille !
Il y eut un blanc au dessus d'eux.
- Une fille ?
- Arrête, tu déconnes !
- Elle est mignonne, au moins ?
- Elle a quel âge ?
Bingo.
Ce n'était pas normal qu'elle soit ici.
"Franchement, fais chier."
Newt lui tendit sa main.
Oryane avait beau se dire que c'était potentiellement un psychopathe, une vague de chaleur l'envahit à ce geste.
Le poignet du garçon, orné de bracelets en cuir, était fin, mais on devinait des muscles bien dessinés sous la peau de ses avant-bras.
Oryane posa timidement sa paume dans celle du garçon, et se rendit compte que sa propre peau était vraiment très, très blanche.
Et avec les rayons tapant dehors, elle était bonne pour se choper des coups de soleil.
"Toute façon, au point où j'en suis..."
Ce fut quand Newt fronça les sourcils qu'Oryane se rappela également que ses poings étaient couverts de sang séché à cause de ses coups contre la cage. Elle lui fit un sourire gêné. Il la tira en avant pour l'aider à se relever.
Quand Oryane émergea enfin à la lumière, des exclamations se firent entendre :
- Waouh la vache !
- Elle est canon !
- Jolis cheveux !
-Tu parles, avec la carnation qu'elle a, elle va plus être blanche, elle va être rouge écrevisse.
- ÉCARTEZ-VOUS !
Tous les gars se poussèrent pour laisser place à un jeune homme de la vingtaine à la peau noire, qui avait l'air d'être leur chef. Il se pencha pour mieux voir Oryane et blêmit :
- Putain, ça sent la merde cette histoire... Allez Newt, remonte-la.
Aussitôt, deux garçons jetèrent une épaisse corde dans le vide. La jeune fille se crispa légèrement à l'idée de remonter sur la terre ferme et d'affronter le regard de tous les mecs.
Percevant son raidissement, Newt se tourna vers elle et lui octroya un sourire rassurant :
- Tout va bien, d'accord ? On ne te fera aucun mal. On est tous passés par là au début. Je vais remonter et tu me suis, OK ? Je t'attends en haut.
Sur ce, il saisit la corde et la remonta aisément à la force de ses bras. Oryane ne s'était pas trompée sur ses muscles.
Déglutissant nerveusement, l'adolescente s'avanca et essuya ses mains moites sur son jean avant de saisir la corde et de la serrer de toutes ses forces, rouvrant ses égratignures. Tant pis.
- Appuie tes pieds contre la paroi pour t'aider, lui cria Newt d'en haut. Monte d'abord tes pieds puis tes mains une par une.
Oryane poussa avec ses pieds et hissa ses mains. Quand sa taille eut émergé à l'air libre, Newt lui saisit de nouveau les mains et la tira.
Ses pieds touchèrent enfin l'herbe. Dans le ciel bleu, un vrai soleil. Oryane regarda autour d'elle. Ils étaient dans une espèce de vaste clairière. Au loin, elle apercevait des huttes, une ferme et un jardin, et de l'autre côté une forêt, d'où lui parvenait le léger chant d'une rivière.
Mais ce qui interpellait le plus la jeune fille, c'était les gigantesques murs de pierre ceignant l'endroit, avec des ouvertures aux points cardinaux. Que pouvait-il bien y avoir dedans ?
- C'est moi que tu regardes, la bleue.
Oryane baissa les yeux sur le garçon noir de tout à l'heure, en face d'elle, Newt à ses côtés. Derrière eux, 50 gars dévisageaient Oryane avec tour à tour un air béat, intrigué, choqué voire même méfiant.
Le ventre noué, Oryane regarda le supposé chef du groupe. Celui-ci soutint son regard.
- Bienvenue au Bloc, fillette. J'espère que tu vas t'y plaire. Parce que t'es pas près d'en sortir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top