Chapitre 13 - Ce piège sordide
Les applaudissements résonnent encore dans mes oreilles, mais je n'y suis plus. Mon cœur bat trop fort, trop vite, et l'air me semble rare, comme si je suffoquais sous le poids de ce contact. Ses doigts sur moi me répugnent, sa chair à un tissu près contre la mienne me font virer folle. Voilà que le monde entier est au courant désormais. Je suis la future Madame De Luca et j'aimerais mieux pousser mon dernier souffle à cette idée. On me toise, on me détaille, on me juge. Tous considèrent mon prochain statut comme les futurs potins mondains croustillants à suivre, moi, je n'y trouve qu'une saveur âcre.
- Je dois... je vais me rafraîchir. Je bredouille.
Ma voix à du mal à s'échapper, cela ressemble plus à un ordre de mon instinct qui m'intime de déguerpir qu'à une annonce.
Alors, sans attendre de réponse, je fais demi-tour et trottine vers une sortie, mes talons claquant sur le marbre brillant du sol. Je dois fuir ces regards qui m'étouffent, ces sourires hypocrites qui applaudissent mon futur emprisonnement. L'air me manque, le champagne et le diazépam tourbillonnent dans mon esprit, et chaque pas semble lourd, mes talons claquent trop fort sur le marbre brillant, tranchant le silence interne qui m'oppresse.
Autour de moi, la salle de bal resplendit de lumière, chaque surface parais vouloir capturer et refléter la brillance des lustres en cristal qui surplombent la scène, tels des astres figés dans leur éclat glacé. Les fresques au plafond me semblent soudain trop imposantes, leurs anges et déesses dansant au-dessus de moi, comme pour me rappeler la perfection inatteignable de ce monde auquel je ne me sens pas appartenir.
Je sens mon souffle se raccourcir, l'air me manque. Je me rapproche de la perte totale de contrôle. Je bouscule un serveur au passage, pressée de quitter ces murs, d'un blanc nacré et parés de dorures, d'une beauté agressive. Il manque de faire tomber son plateau, une ombre de panique passe sur son visage, mais je ne prends pas la peine de m'excuser. Je n'arrive plus à respirer. La musique reprend dans mon dos, prenant un tempo rapide qui fait grimper en flèche l'adrénaline dans mon sang. Mes pieds se prennent dans ma robe et je me rattrape de justesse à la rambarde en fer forgé de l'escalier, passant à un cheveu de me briser la mâchoire sur les marches en marbre blanc. Un hoquet de surprise m'échappe, mais je ne perds pas de temps à grimper les marches en hâte, ignorant les regards interrogateurs des invités que je croise, leurs conversations mondaines floues et inutiles. Ma fuite est interminable dans cet escalier en colimaçon, ses courbes serpentent à n'en plus finir. Les pas des invités, encore en bas, résonnent faiblement, leurs silhouettes diminuant à mesure que je m'éloigne de ce chaos. Je ne sais pas où je m'engouffre, mais l'étage supérieur m'attire avec une promesse de solitude, un espace où je pourrais respirer loin de tous ces faux-semblants.
Alors, je continue de monter, la nausée enserrant ma gorge d'une main invisible puissante, j'ai du mal à maintenir la rambarde pour assurer mes pas, mes mains sont si moites...
Je parviens finalement à gagner les couloirs de l'étage, c'est nettement plus calme qu'en contrebas. Je croise surtout des domestiques, qui ne m'accordent qu'un regard interloqué. Je dois avoir l'air d'une dégénérée, les yeux aussi fous et la mine déconfite. Mais le regard qui me pèse le plus est celui d'un homme que je croise. Arborant un costume sobre taillé sur mesure, dans un velours noir profond qui semble absorber la lumière. Tout comme son masque prenant tout son visage, aux broderies argentés, similaire à la chaîne élégamment fixée à sa montre de poche. Il passe tout près de moi en ajustant son veston et lorsque ses yeux gris, perçants, presque inhumains dans leur froideur s'arrêtent sur ma silhouette en fuite, il me jauge de haut en bas un instant. Un sentiment d'inconfort immédiat pèse alors sur mes épaules, une tension sourde s'insinue dans mes veines. Il semble mesurer mes failles dans cette fraction de seconde et ça me fait frissonner. Il partage cette aura écrasante que je fuis, celle qui transparaît dans les invités, laissant deviner que ce n'est pas qu'un simple gala de charité. Celle qui m'empêche de respirer correctement. Celle qui a tué Leïla...
Je détourne rapidement les yeux. Je dois trouver un endroit où m'enfermer, où fuir cette folie.
Je le laisse alors derrière moi, continuant de marteler le sol, une main posée sur mon estomac en quête de soulager cette douleur qui pèse dans mes tripes. Les couloirs s'étirent comme un labyrinthe sans fin, percés d'une multitude de portes aux boiseries anciennes et panneaux de verre qui me donnent l'impression de marcher dans une cage de luxe. Une prison qui deviendra mienne si j'épouse De Luca. Je sens que je suis en train de me perdre, que je sombre peu à peu dans une angoisse qui me serre la gorge.
Mon cœur s'emballe à nouveau, battant à un rythme que je ne contrôle plus. Je cherche désespérément les toilettes, mais les murs, pourtant si larges, semblent se rapprocher de moi et je sens la panique monter. Je ne sais quelle porte pousser, quelle pièce choisir, car chacune d'entre elles menacent de m'enfoncer encore plus dans ce dédale infernal. Mes mains tremblent, la sueur perle sur mon front, et une sensation de vertige me saisit. Une crise d'angoisse enfle dans mes tripes et remonte le long de ma gorge paralysant mon corps tout entier.
C'est alors que je sens une main sur mon épaule. Je sursaute et me retourne brusquement. Mon horreur s'accentue lorsque je découvre Valerio. La silhouette parfaitement droite et un sourire narquois sur les lèvres.
- Ce n'était pas très élégant ta manière de fuir, petit oiseau. Souhaites-tu injurier nos invités ?
Son ton est léger, presque amusé, mais il y a une pointe de reproche, comme s'il me grondait gentiment, comme une enfant. Ce n'est qu'un jeu pour lui. Mon instinct me crie de fuir sous la multitude de pensées folles qui m'assaillent.
Je tente de m'éloigner, de reprendre contenance, mais il se rapproche beaucoup trop près.
- Tu es nerveuse, il remarque en scrutant mon visage avec une intensité qui me met mal à l'aise. Pourquoi ?
Ses yeux me fixent avec une intensité quasiment malsaine, comme un prédateur savourant déjà sa proie.
- Tu vas épouser le plus beau parti de la région. Il y a de quoi en être satisfaite, beauté.
Il rompt l'espace minime entre nous et ses mains se posent alors sur mes épaules en une pression légère, mais insistante. Je frémis.
Le parti le plus pourri du pays oui.
Mon esprit, pourtant embrouillé, tente de me faire réagir, lorsqu'il comprend que je suis prise au piège. Je lui fais comprendre par un geste, un mouvement de recul, que je ne veux pas qu'il me touche. Mais mon dos se heurte à un mur.
Le cœur battant et la gorge nouée par la terreur, je relève tout de même le menton. Mon regard croise celui de Valerio et j'espère qu'il peut y lire toute la haine que j'éprouve. Dans un souffle où se mêlent défi et mépris, je trouve l'audace de répliquer.
- La beauté ne suffit pas à masquer la pourriture à l'intérieur. Ton apparence est aussi trompeuse que les promesses qui l'accompagnent. Ce mariage ne sera pas une célébration, mais une prison, et je préfère mourir plutôt que de vivre enchaînée à toi et à tout ce que tu défends.
Un rire franc lui échappe d'une sonorité rauque qui glace mes os. Sa poitrine se secoue et sa prise se resserre sur mes épaules. Je sens que je titille ses nerfs, mais ma lassitude me fait perdre tout bon sens qui pourrait me protéger.
- Psyché... Grogne-t-il. Tu n'es encore qu'une enfant, tout cela te dépasse. Ce mariage est important, tu sais ? Je suis sûr que nous ferons de grandes choses ensemble.
- Voilà de viles motivations, je cingle entre mes dents. Une enfant ? Reproche l'homme qui a, justement, choisi d'épouser une jeune femme de dix ans sa cadette. C'est ce qui arrive lorsqu'on ne table pas dans sa tranche d'âge.
Je veux me dégager, mais ses mains restent là, lourdes. Ses yeux noircissent sous ma pique tandis que ma gorge se serre. Je devrais fuir au lieu de rentrer dans son jeu. Mais cette colère sourde en moi, accentuée par la perte injuste de mon amie, me fait perdre raison. De toutes manières, je n'ai plus rien à perdre. Autant me battre jusqu'à la fin.
- Pour l'utilité que j'aurais de toi, il susurre froidement, tu seras parfaite. Si ton ambition laisse à désirer, ton corps n'a plus rien d'enfantin. Tes hanches... Tu nous feras de beaux enfants, petit oiseau.
Il joint à ses mots sordides des gestes encore plus révulsant. Ses doigts, sans aucune permission, glissent directement sur mes hanches. La morsure de ses mains qui s'y referment, même par-dessus le tissu de ma robe, me brûle. Mon dos s'enfonce plus fermement contre le mur, mais il ne met d'aucun secours. Ses mains incrustées sur mon corps, tâtent mon bassin d'une manière possessive. Ma langue est pâteuse, j'ouvre la bouche pour me révolter, ma tête tourne violemment, à mesure que les heures défilent, les contours de cette mascarade deviennent de plus en plus flous, aussi, je ne parviens à pester que dans un souffle en ravalant ma nausée avec difficulté.
- Ôte tes mains immédiatement.
Il resserre sa prise au contraire, ses pouces s'enfoncent dans ma chair, là où mon corset laisse naître le début du jupon. Ses yeux lèchent les contours de mon visage avec avidité, je ferme les yeux pour ne pas y faire fasse en imaginant mentalement comment je pourrais frapper son entrejambe pour me débarrasser de lui. C'est la seule chose dont je suis capable, son imposante carrure si près me tétanise. Mes jambes tremblent presque et je lutte pour forcer mes paupières à s'ouvrir à nouveau.
- Pas encore, susurre-t-il dans un souffle qui lèche ma joue. Apprenons-nous à nous connaître. Après tout, tu es une pièce maîtresse de ma future gloire.
Son haleine aux effluves d'alcool fait monter la bile, je mords fermement l'intérieur de mes joues en rassemblant le reste de contrôle qu'il me reste. Si je n'agis pas, lui ne s'en privera pas et je n'ai aucune envie de savoir par quoi il décidera de commencer. Le sang battant contre mes tempes, l'estomac retourné, je ne réfléchis pas une seconde de plus. J'ignore le courage qu'il pourrait me manquer et sous ses doigts pervers, il peut sentir ma hanche droite s'activer. C'est peut-être pour cela qu'il anticipe mon mouvement, il me lâche finalement et se recule. Ma peau conserve sa brûlure, mais je parviens à m'échapper de son piège. Mon instinct de survie prend le dessus, lorsqu'il ordonne à mes jambes flageolantes de courir. J'ai l'impression qu'elles sont ankylosées par du béton, je ne suis capable que de trottiner et le monde tangue légèrement autour de moi.
- Tu ne pourras pas m'échapper, Psyché.
Les poils de ma nuque se dressent tandis que sa voix menaçante s'élève dans mon dos. Elle a l'air si proche. Pourtant, je m'enfuis aussi vite que je le peux. Je le jure.
- Personne ne peut fuir son destin.
Sa voix gronde tel un orage contenu depuis bien trop longtemps.
Ce couloir est bien plus long qu'il n'y paraît, je n'en vois pas le bout. Et cette fichue robe... L'oxygène qui engorge violemment mes poumons les brûlent tel de l'acide, mes mollets se mettent à tirailler, une fatigue chimique s'abat sur mes épaules et rend mon corps horriblement lourd. Mais je ne ralentis pas, l'escalier est presque à portée de main. J'y suis quasiment. Je n'aurais plus qu'à rejoindre la sortie et... Le monde vacille autour de moi tandis qu'une douleur fulgurante traverse ma jambe. Dans ma frénésie, ma cheville peu stable sur ces talons s'est tordue. Je perds alors l'équilibre tandis que mes tendons hurlent de douleur. Tout se passe alors au ralenti, le plancher se dérobe et je tombe sans pouvoir l'empêcher. Mes genoux heurtent violemment le sol et mes poignets se tendent pour amortir ma chute. Un cri de douleur m'échappe alors. Il traverse le couloir nettement plus rapidement que moi alors que des larmes perlent au coin de mes yeux. Après l'accident et la mort de Leïla, personne n'a pris soin de me faire passer des radios et de soigner ma blessure au poignet. La souffrance me paralyse et me coupe le souffle, je le ramène à moi en suffoquant ignorant totalement les pas qui se rapproche férocement derrière moi.
Emportée par la spirale de la souffrance, je n'ai pas le temps de réagir. Valerio me rattrape sans embûche, sans contrainte et son ombre s'étire au-dessus de ma tête. Je remarque à peine qu'il pince son pantalon de costume pour s'accroupir près de moi. Une fausse grimace de douleur déforme ses lèvres et il raille.
- Ça a l'air douloureux... Mais ça va vite passer... Tu n'auras à t'inquiéter que de moi.
Son index se porte vers mon visage dont il dégage une mèche de cheveux. Une larme roule, s'échappant de mon masque. Il la récupère de la pulpe de son doigt avant de la porter à ses lèvres et de s'en délecter.
- Tu n'aurais pas dû fuir. Il me réprimande d'une voix paradoxalement très douce. Nous sommes faits l'un pour l'autre. Tout ceci est écrit, tu le sais. Et c'est essentiel que tu comprennes ta place dans tout ça. Sois docile.
Je déteste me ridiculiser à pleurer ainsi. Recroquevillée, incapable de faire face à la douleur, faible et à sa merci.
Et je ne peux même pas compter sur l'attention de mon père. Ce salaud lui fait toute confiance en ce qui me concerne pour peu que je ne sois plus dans ses pattes.
Il ne me reste que mes mots...
- Je serais docile lorsque je serai morte. Encore une fois, tu aurais dû attendre que je sois raide pour m'épouser.
Il m'offre un rictus avant de se redresser. Cruellement, il emporte mon poignet meurtri au passage, il tire dessus sans merci pour m'obliger à me relever également. La fête bat son plein en bas, il y a une multitude d'invités non loin et pourtant, je ne me suis jamais senti aussi seule. Abandonnée. Soyons réaliste, je ne peux rien contre lui. Ma détermination, bien que féroce, n'est pas de taille. Je suis fichue. Je ne lui donne, au moins, pas la satisfaction de geindre tandis qu'il me fait mal. J'ai toujours mis un point d'honneur à rester digne même lorsqu'on me brisait. Valerio enroule ses doigts plus fermement, mes os se blessent un peu plus, ma vision se trouble et je sens que la réalité se dérobe à moi peu à peu. Je ne suis bientôt plus là... Alors qu'il me tire à sa suite, vers une pièce adjacente...
Je me concentre pour respirer au mieux, mais je sens que cet afflux d'oxygène ne suffit pas à mon cerveau pour fonctionner comme il faut. Foutu calmants, foutu coupe de champagne. Je trébuche légèrement alors qu'il me pousse à l'intérieur, je remarque qu'il ne ferme pas totalement la porte cela dit. Mais je ne sais pas quoi faire de cette information. Je ne sais plus... Je devrais élaborer un plan, sauver ma peau... Au lieu de ça, assommée, je découvre des détails futiles. Le bureau en acajou, la multitude d'étagères remplies de livres anciens, l'oppressante atmosphère. Ce piège sordide.
Dans la pénombre de cette pièce, paradoxalement au hall brillant de mille feus, Valerio se tourne vers moi en se décidant enfin à me lâcher. Je ne bouge pas, j'ai l'impression d'être une poupée de chiffon. Un grand sourire décore ses lèvres, mais son regard est devenu plus sombre, presque prédateur.
- Tu sembles un peu... groggy. Fait-il remarquer. Peut-être que tu n'as pas toutes tes capacités pour apprécier le dieu qui s'offre à toi. Demain, tu regretteras ta résistance, mais je vais t'aider à revenir sur terre. À goûter à ta chance, car vois-tu, nous n'avons pas besoin d'attendre le mariage pour commencer à travailler sur notre héritage.
Nous y voilà.
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Hello, hello,
Comment allez vous ?
Le chapitre a été tardif cette semaine, pourtant il était écris mais ça a été une semaine à mille à l'heure !
Je pose directement les trigger warning pour le prochain chapitre. Comme vous l'avez remarqué, Valerio est un bel enfoiré... Aussi TW : agression sexuelle pour le prochain.
J'espère que ça ira pour vous, si ce n'est pas le cas, vous pouvez sauter le chapitre ! Je ferais un petit récap au début du prochain.
N'hésitez pas à voter et à commenter.
On se retrouve bientôt.
Love,
Marie
Instagram : marie__frns
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