Chapitre 1- Les larmes de Psyché
Quinze ans plus tard...
Je fais tournoyer ma main dans les rayons de lumière, ils s'entrelacent avec mes doigts et les cajolent. Ma peau apprécie cette caresse du Zénith, elle se réchauffe et transmet au reste de mon corps un certain réconfort inattendu. Voilà plusieurs heures, déjà, qu'on est venu ouvrir les rideaux, me priant de commencer la journée. J'ai senti les effluves de pancake tout chaud ainsi que de café, provenir de la cuisine, en bas, puis le soleil s'est dressé un peu plus dans le ciel, alors j'ai entendu la vaisselle être débarrassée, des soupçons de voix. J'ai fermé les yeux encore quelques minutes et à mon réveil, le soleil est à son apogée et les cuisines s'activent de nouveau. Je traîne plus que de raison entre mes draps de soie, leur douceur a le mérite de me faire oublier qu'à cette heure-ci, je devrais avoir le cul posé dans un amphi, entourée d'une centaine d'étudiants, à écouter un professeur barbant et rêvasser. Rêvasser, mais apprécier, en fin de compte, le tapotement frénétique des claviers d'ordinateur, le chuchotement des bavards du fond et les plaintes des étudiants qui n'ont pas eu le temps de noter ce que disait le prof avant qu'il ne passe à autre chose.
Dieu que je tuerais pour entendre, ne serait-ce qu'une phrase d'analyse littéraire à cet instant.
Mais ce n'est plus pareil. Je n'en ai plus le droit.
Ces doux rayons du soleil ne font que miroiter un peu plus ma cage dorée.
On dit souvent que l'on se rend compte de la valeur de ce qu'on avait une fois qu'on la perdue. J'ai bien vite réalisé que l'université représentée ma liberté, mais je n'avais pas compris qu'en réalité, c'était tout ce que j'avais.
Leïla...Sophia...
À l'heure qu'il est, elles doivent se demander où je suis passée et pourquoi je ne les ai pas prévenues de mon absence. Peut-être même qu'elles s'inquiètent. Je ne loupe jamais la fac, même lorsque je suis malade.
Je remonte la couette sous mon menton et caresse distraitement mon oreiller, j'ai mal à la tête à force d'avoir trop pleuré. Je me sens groggy et mes pensées envahissantes n'aident en rien, elles me suggèrent qu'il vaudrait mieux rester des heures ainsi plutôt que d'affronter celui qui m'a brûlé les ailes.
Je ne peux descendre, appliquer un faux sourire sur mon visage serait impossible ce matin, à la différence des précédents et croiser son regard... Ce serait insupportable.
Je n'ai plus d'échappatoire, plus aucune raison de pousser la porte d'entrée et de m'offrir au seul air qui m'aide à respirer correctement.
Une main invisible enserre ma gorge et tente de la broyer, je parviens à peine à garder les yeux ouverts tant ils sont meurtris après avoir pleuré toute la nuit.
J'aimerais m'évaporer, à la manière de l'eau, là, étendue dans ces draps, je souhaiterais ne faire qu'un avec les rayons de soleil. Eux semblent ne jamais perdre leur éclat, et même lorsque les nuages les étouffent, ils reviennent toujours.
Moi, je sens que je ne vais pas revenir cette fois.
Plus rien ne sera comme avant.
Une inspiration difficile transperce mes poumons, il vaut mieux que je dorme à nouveau. Peut-être toute la journée même.
Pourtant, à l'autre bout de ma suite, des petits coups d'abord timides cognent contre ma porte. Ils se font plus téméraires alors que je tends l'oreille.
Allez au diable !
Je reste prostrée dans le silence, le regard perdu à travers ma fenêtre, sur la cime des arbres de l'orée du bois voisin, mes jambes se perdant entre les draps.
Une inspiration à la fois, j'attends patiemment que l'intrus s'éloigne, mais un bruit métallique me répond. Mon père a fait retirer le verrou il y a un an, lorsque j'ai tenté de faire le mur et que la porte s'est retrouvée défoncée avant même que je puisse passer par la fenêtre. C'est aussi ce jour que j'ai découvert qu'une caméra de surveillance était installée au sein de ma bulle personnelle. Je ne sais pas pourquoi cela m'a étonné de l'apprendre, ça colle à son personnage, j'aurais pu m'y attendre. J'aurais surtout dû prendre la fuite lorsque je le pouvais encore.
Une odeur de vanille emplit l'air alors que des pas résonnent, ma tête pivote sur l'oreiller alors que je tente de restituer cette fragrance. C'est celle de la plus âgée de mes sœurs, Cléo. Qu'est-ce qu'elle fait là ? Elle n'habite plus avec nous depuis son mariage avec le nouveau chef de la famille Rocino, il y a de cela cinq ans et elle ne remets les pieds ici que très rarement. Elle dit à maman que c'est parce qu'elle est très prise dans son quotidien mais je suis intimement convaincue que Rocino va trahir notre père et qu'elle a peur de vendre la mèche au cours de ces entrevue. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que papa le soupçonne déjà et le fait surveiller.
Elle devrait se demander pourquoi son cher et tendre a été attaqué il y a quelques semaines, visé par un sniper, en pleine nuit, il n'en a réchappé que parce que mon père a décidé que ce n'était pas encore son heure. On pourrait croire qu'il l'a épargné pour protéger sa fille aînée du chagrin, l'idiote en est tombée amoureuse, mais il le garde en vie uniquement parce qu'il lui est encore utile. Cependant, il n'est plus autant convié aux réunions, il y a de quoi se poser des questions.
Mais j'aime bien trop ma sœur pour railler sa naïveté. Je ne peux m'enlever de la tête qu'elle aussi n'est qu'une victime des machinations de notre père, qui n'a pas hésité une seule seconde à offrir sa chair et son sang au plus offrant : Pietro Rocino.
Elle avait mon âge lorsqu'elle s'est mariée...
- J'ose espérer que ces deux pieds, qui dépassent de la couette sont les restes d'un amant trucidé et non pas ceux de ma petite sœur, ricane-t-elle.
Je lève le menton pour lui jeter un rapide coup d'œil et dans un effort que je ne me pensais pas capable, je me hisse même sur mes coudes. Mes muscles, courbaturés d'avoir passé la nuit roulée en boule, hurlent. Ma tête vacille, mais je cligne longuement des paupières pour me stabiliser. Ma sœur se dresse au pied de mon lit et je ne peux m'empêcher de penser qu'en réalité, c'est Pietro Rocino qui a de la chance dans l'histoire. Cléo est la femme la plus radieuse que je connaisse. Notre père disait que maman était la plus belle femme du monde, à l'image d'Hélène de Sparte, mais son aînée l'a sans nul doute devancé, en faisant éclore la même beauté qu'Aphrodite. Elle arbore un tailleur noir qui jure astucieusement avec ses longs cheveux blonds, le soleil miroite sur eux et on pourrait croire qu'ils sont enduits de miel. Ses yeux de biche, bleus, aux longs cils chargés de mascara, vous mettrez à genoux en un croisement.
- Tu préférerais vraiment voir un homme mort ? Je raille d'une voix cassée par mes sanglots d'hier.
Je ne pensais pas mes cordes vocales si malmenées, mon ton bien plus rauque que d'ordinaire me fait froncer les sourcils et je me racle la gorge pour tenter de m'éclaircir la voix. Je ne compte pas faire pleurer dans les chaumières, Cléo, comme chaque membre de cette famille ne peut rien pour moi, pleurnicher dans leur jupe serait une perte de temps monumentale. Peut-être qu'elle fait même mine de ne pas remarquer mes yeux bouffis, qu'importe l'amour qu'elle me porte, ce ne sera jamais assez suffisant pour qu'elle se dresse contre notre père.
Elle m'offre alors un grand sourire en venant s'asseoir au bord de mon lit, ses longues jambes se croisent et elle plante son regard perçant dans le miens presque vide d'émotions.
Depuis hier, j'ai l'impression de tanguer sur un bateau en proie à une tempête et ce matin...je suis fatiguée de lutter pour ne pas perdre pied.
- C'est toi qui vas passer un sale quart d'heure si tu ne bouges pas tes fesses. Tu as manqué le petit-déjeuner et papa veut nous voir.
Une mèche de cheveux rebelle, épuisée elle aussi de se tenir en place, retombe mollement sur mon visage, je la chasse d'un geste bien trop brusque à l'entente de ce mot désormais vide de sens pour moi.
Papa...
- Je manque déjà ma vie, le petit-déjeuner...on est plus à ça près.
Un rictus tente de m'échapper, mais se transforme en grimace lorsque ma peau, asséchée par mes larmes, tiraille. La pointe d'ironie sonne faux entre mes lèvres et ça n'a pas pu lui échapper. Mes émotions débordent rien qu'en imaginant de nouveau le plaisir malsain qu'il a pris, hier, à détruire mes rêves à coup de lame affûtée, ignorant chacune de mes complaintes désespérée. Je sais très bien pourquoi il nous veut rassembler aujourd'hui, il veut en faire une annonce officielle auprès du clan. Ça expliquerait la présence inhabituelle de ma sœur.
Mon aînée se recule, comme si mes mots l'avaient giflé personnellement. Je l'observe fouiller mon regard en quête de réponses, mais elle les aura bien assez vite. Si les yeux sont les fenêtres de l'âme, la mienne s'est fait la malle, ma sœur n'y trouvera rien.
Cléo pince les lèvres en le constatant puis fait claquer sa langue, elle rompt l'espace entre nous et ses mains attrapent mon visage en coupe, ses pouces caressent mes pommettes comme pour essuyer, avec une matinée de retard, mes larmes. Il semblerait qu'elle ne puisse plus rester étrangère à ma peine. Je soutiens son regard, un long moment, ou peut-être quelques secondes, aujourd'hui, je n'ai plus la notion du temps. Mes yeux, injectés de sang, piquent atrocement et j'aimerais simplement pouvoir me plonger dans un sommeil réparateur, au moins le temps d'une journée, d'une nuit... d'un mois ou pour toujours.
- Ensemble, rien ne nous brise, elle murmure, tu te rappelles ?
La devise du clan, comment l'oublier ? Un mantra totalement bateau, du style de ceux qu'on retrouve sur les comptes Instagram de motivation.
- Et si...je commence, l'« Ensemble » est pourri ? »
Un « Ensemble » qui a cessé d'exister pour moi, quinze ans plus tôt, lorsque j'ai découvert les squelettes cachés dans le placard de mon père. Au sens propre comme littéral. Un « Ensemble » qui s'est brisé, en grandissant, quand j'ai compris que je rejetais les codes de ce monde dans lequel j'étais née à mesure que je détestais mon père. Un « Ensemble » qui s'est effrité lorsque mes sœurs sont parties de la maison.
Un dicton à la con.
Mais pour elle, cela veut dire beaucoup, peut-être parce qu'elle y croit ou peut-être parce qu'elle lui sert de bouée de sauvetage dans cet océan où elle a été balancée, sans lui avoir appris à nager au préalable. Peut-être que cette devise lui permet de garder foi en notre famille et d'étoffer ses espoirs en celle qu'elle se construit.
Peut-être que c'est pour cette raison que j'ai arrêté de répondre à ses textos au fils du temps, nous éloignons irrémédiablement.
Ses paroles me rappellent sans cesse que nous sommes très différentes, j'ai beau la chérir, protéger les souvenirs que nous avons ensemble, son être entier me culpabilise, désormais, de ne pas être aussi à l'aise dans l'endoctrinement de notre père qu'elle. C'est l'aînée, elle aurait dû tracer notre chemin vers la liberté, elle aurait pu protéger nos vies. Tout aurait pu être différent. Mais elle est la fierté de notre géniteur, le joyau qui a su prendre et accepter, sans rechigner, la vie qu'il lui réservait. La seule à qui il fiche désormais la paix. Peut-être qu'au final, elle l'a réellement trouvé, la liberté ?
À moins qu'un vide émotionnel, chez elle, se comble par les louanges de notre père.
Peut-être qu'elle a simplement trouvé un bonheur que je ne peux saisir quand moi, je le place dans la nécessité de finir ma licence et avoir un vrai métier, une vie simple, sans magouilles, sans dangers.
Loin d'ici...
Ma sœur finit par soupirer lorsque mon regard se durcit.
- Psyché... ne soit pas aussi dure envers lui.
Lui. Archimède Vlachos. Officiellement sénateur de New York, officieusement, un mafieux barbare à la tête d'un gigantesque empire, reposant sur le trafic d'armes et de stupéfiants.
Qu'est-ce que je disais ? Elle ne se dressera jamais contre lui.
Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines alors qu'elle poque dans une blessure bien trop fraîche et mon cœur se brise, une nouvelle fois, face à l'incompréhension qui nous divise et je serre les dents en déglutissant difficilement. Mes doigts s'enroulent autour de ses poignets et je les serre bien plus qu'il ne faudrait.
- Je ne rends que la monnaie de sa pièce, je crache entre mes dents.
Si je n'étais pas la fille d'un parrain de la mafia puissant, ma tête se serait retrouvée dans une boîte en carton souillée d'urine dès demain, pour avoir osé brutaliser la femme d'un mafieux.
Mes ongles s'ancrent dans sa chair et si je lui fais mal, elle n'en laisse rien paraître.
Un ange passe. Je n'entends plus que mon cœur battre furieusement contre mes tempes et un goût métallique emplit ma bouche et ce n'est qu'à cet instant que je réalise à quel point je mords l'intérieur de mes joues en attendant une quelconque réaction de sa part.
- Tu es encore trop jeune, elle reprend, le visage impassible, tout ça te dépasse encore. Papa n'est pas si mauvais, tu sais ? Il veut le meilleur pour nous, il ne s'y prend, tout simplement, pas...
Mais bon Dieu, dans quelle réalité vit-elle ?!
Nous n'avons clairement pas le même paternel à l'entendre.
Je refuse de passer pour une folle, ou une enfant capricieuse en ce matin où je suis déjà particulièrement effondrée.
- Cléo, il m'a retiré de la fac bordel ! J'éclate en relâchant ses poignets au risque d'y laisser la marque de mes ongles en croissant de lune.
Et je ne peux rien n'y faire ! Il a tous les pouvoirs en tant que sénateur et... oh surprise...principal donateur de mon université. Moi, je trouve au contraire qu'il s'y prend très bien dans ses machinations. Je n'ai pas besoin de dix ans de plus pour comprendre qu'il a particulièrement bien calculé son coup. Briser son enfant n'est pas une méthode éducative !
Elle ouvre la bouche dans l'optique de me couper, mais je lève un index en signe d'avertissement.
- Non, je la préviens... Cléo, je ne peux même pas m'inscrire aux cours à distance étant donné que nous sommes en plein milieu du semestre et qui sait où je serais au prochain ? Il a foutu en l'air ma scolarité, tu comprends ? La seule chose qui me restait de valeur a été balayée d'un revers de main et tu sais comment il m'a fait me sentir hier soir, lorsqu'il me l'a annoncé ? Comme une enfant pourrie gâtée qui tapait du pied, car son nouveau caprice n'était pas exaucé.
Comme l'enfant de cinq ans, naïve que j'étais quinze ans plus tôt, à qui on a recommandé de ne pas pleurer, car ce qu'elle avait vu était la vraie vie et qu'il était temps de grandir. Pas de consolation, pas de regrets, que des reproches.
Mon cœur semble à la limite d'éclater bruyamment en moi, j'y pose une main pour l'apaiser, mais la colère qui me contrôle, m'aveuglant me fait fermer le poing et frapper mon torse au rythme de mes mots suivants.
- Je le hais. Tu comprends cela ?
Les vannes de ma peine se sont ouvertes pour tenter de soulager ma douleur, ma seule porte de sortie, claquée. L'espoir d'exceller dans un domaine qui ferait comprendre à mon père que j'avais trouvé une autre voie, un autre chemin qui me servirait de clef pour m'enfuir de cette cage dorée. J'y étais presque arrivée...
- Mais il nous permet d'être heureuses en fin de compte ! Elle m'assure en prenant garde à baisser la voix pour calmer les esprits. On finit tous par l'être parce que ses décisions ne sont pas si mauvaises.
Bonté divine.
Je vais me foutre en l'air, là maintenant, par cette fenêtre.
Je ne peux écouter un mot de plus de son discours acculé par sa morale douteuse.
S'entend-t-elle parler ?
Elle évoque son mariage en termes de rédemption ? Sérieusement ?
Croit-elle que chaque femme y aspire ?
J'ai l'impression d'avoir reculé dans le temps, où la femme appartenait d'abord à son père puis à son époux. Cléo lui appartiendra toujours. Peut-être que si elle l'avait vu, quinze ans plus tôt, un masque de démon sur le visage, prêt à abattre cet homme, elle ne tiendrait pas le même cap.
Mais ce n'est pas le cas, elle n'a jamais été confrontée à l'horreur qui permettait de rapporter tant d'argent à la maison. Il est certain qu'elle a dû apprendre, en grandissant, dans quoi trempe notre père puis son époux, désormais. Mais entre l'imaginer et le vivre, c'est comme être capable de sortir de la caverne de Platon. Peut-être est-ce ma faute ? Peut-être aurais-je dû en parler ? Mais qui aurait cru la terreur d'une enfant de cinq ans à l'imagination bien trop fertile ? Ma mère l'aurait couvert comme mes sœurs passent l'éponge sur les multiples vies prisent pas leur mari. À mes yeux, elles ont autant de sang sur les mains qu'eux et l'argent qui circule entre leur doigt est aussi sale que l'âme de ces hommes. Mais il faut croire qu'une vie confortable fait romantiser la vie de mafieux. C'est d'ailleurs pour cela que Zéna, notre autre sœur, a accepté sans rouspéter, son mariage, en le justifiant par le sex-appeal de son mari.
« Il est tellement sexy avec tous ses tatouages, tous ses muscles... »
Alors toutes les deux ferment les yeux sur les atrocités qui se jouent lorsque blottis dans leur lit, elles attendent patiemment leur homme, sorti pour la nuit. Leur quotidien rythmé de violence, de peur que les fédéraux finissent enfin par leur tomber dessus et de danger, une cible perpétuelle, collée sur le front depuis leur venue au monde, elles pensent que c'est ça le bonheur.
J'en ai des hauts de cœur.
Par chance, je continue de nager à travers les mailles du filet, mon père ne m'a pas encore trouvé un prétendant. Jusqu'ici, je prenais tout ceci à la légère, bien que notre mode de vie soulevait en moins une profonde injustice et une aversion, j'avais un projet professionnel, une passion, un espoir que mon père comprenne ce à quoi j'aspirais réellement, alors j'ai mis la poussière sous le tapis. C'est moi qui ai été sotte en fin de compte, il semblerait qu'on ne se sorte jamais de ce milieu, c'est inscrit dans votre ADN.
Il se dit que mon père prend son temps pour me trouver un mari, dans mon malheur, j'ai la chance d'être sa dernière, le bougre choisi avec soin. Quelle aubaine.
En espérant que sa minutie ne soit pas dictée par sa volonté de me faire payer toutes ces années où je me suis dressée contre lui. Il aurait le pouvoir de prolonger mon cauchemar avec un démon pire que lui. Mon avenir ruiné, je suis vouée à trouver un subterfuge pour éviter le mariage qu'il me proposera. J'appréhende ce jour où un prétendant sera mis sur la table, que les barreaux de la cage dorée ne pourront plus être scié et que le petit oiseau n'aura d'autres choix que de mourir pour gagner sa liberté.
- Plutôt crever, je crache, et tu le sais.
Je sens mes yeux piquer, mes larmes sont tout ce qui me reste, la dernière part pure de mon âme.
Cléo plonge ses yeux océan dans les miens, pendant une seconde, je pourrais deviner y lire une lueur de fierté qui flamboie, mais ça ne dure qu'un instant et la pitié s'empare de ses prunelles. Une bataille se joue en elle, elle aimerait sûrement débattre encore des heures pour tenter de me dompter en faisant la sourde oreille sur ma douleur. Mais il n'y a rien de plus à dire, nous sommes bloquées dans une spirale infernale et en être consciente est particulièrement affligeant. Parfois, je déteste cette vendetta en moi, il serait plus facile d'être comme mes sœurs et d'ignorer ce sentiment d'être punie pour des péchés d'une autre vie.
Au moins, lorsque je pouvais encore aller à l'université, même si un chauffeur m'y déposait et m'y récupérait, j'avais quelques heures d'amnésie, je pouvais faire semblant d'être une étudiante normale, entourée d'amis aux familles les plus communes qu'il soit, je m'imaginais prendre leur place dans leur quotidien. Leïla a deux mamans, deux femmes fortes qui ont toujours lutté pour leur liberté, Sophia n'a qu'un papa et dans chacune de ces dispositions, les besoins des enfants semblent être la priorité. Mes amies sont libres de tracer leur avenir et non rien à voir avec des jeunes femmes qui prévoient déjà leur mort si le futur ne tourne pas en leur faveur.
L'épée de Damoclès pèse lourd au-dessus de ma tête, elle se rapproche à chaque minute et je ne pense pas avoir la force de l'empêcher de scier ma nuque.
Cléo me surprend en se penchant, elle brise la distance entre nous et plante un baiser sur ma joue, son gloss rosé y laisse une empreinte collante.
- La vie est un effort constant, elle m'intime.
Sur ces paroles qui se voulaient sages, elle se redresse en lissant son tailleur du plat de la main et après un dernier petit sourire, elle tourne les talons et quitte mon cocon.
Cette famille est comme une secte, dont chaque membre ne jure que par un gourou fou allié. Archimède Vlachos, le pire de tous. Un homme qui compte autant de cadavres que d'or sur son compte en banque. Un homme qui sacrifie ses filles au profit de son cartel. S'il aime faire des éloges sur son code d'honneur, le plaçant au centre de sa philosophie de vie, l'importance de la famille en tête, cela s'applique, en réalité, bien plus à son clan de cœur qu'à son propre sang. Nous ne sommes que des pions sur un échiquier glissant, qui bougent à sa guise pour battre l'adversaire et sa reine, ma mère, aux déplacements habiles, se bat férocement pour protéger son roi. Je n'ai aucun allié.
Je couvre mon visage, rageusement, de mes mains. Je ne sais pas par où commencer pour poursuivre la lutte. Il faudrait que je récupère d'abord mon téléphone, pour recréer un lien avec le monde extérieur. Mes doigts tremblants dégagent mon visage de mes cheveux et les glissent derrière mes oreilles. Le menton baissé, par-dessous mes longs cils, je jette un regard noir au tableau de la naissance de Vénus, accroché juste au-dessus de ma commode, sur le mur en face de mon lit. Si Botticelli y cache sa nudité, mon père y a caché, dans son œil droit, une caméra espion.
En fusillant Vénus du regard, j'espère transmettre à mon père, s'il voit ses images, toute la haine que je lui porte. J'adorais ce tableau, c'est moi qui l'ai choisi pour décorer ma chambre, il y a une sorte de beauté dans cette représentation du circuit de l'amour, Zéphyr semble donner vie à Vénus, sa brise semble libératrice.
Il m'insuffle un ultime courage par la volonté de récupérer ce qu'il m'a confisqué hier soir. Mon téléphone représente mon ultime porte de sortie. Peut-être que je pourrais vider mes comptes et disparaître pour tout recommencer ? Leïla m'a parlé des nombreux roads trips qu'elle réalisait l'été, durant nos longues conversations à la bibliothèque universitaire. Peut-être que ma fuite pourrait prendre cette tournure ? Ce serait amusant. J'y ai pensé plusieurs fois, mais je n'avais pas encore de raisons suffisantes de m'enfuir, j'avais besoin de la bourse de mon père pour finir mes études, je faisais profil bas histoire de mener mes rêves, me tenant ainsi tranquille.
Et s'il me retrouvait ? Mon père a de solides relations dans cet État de New York et je suis intimement convaincue qu'elles ne connaissent, en réalité, aucune frontière. Combien de temps pourrais-je lui échapper ?
Quel homme cruel. Il m'a félicité lorsque j'ai été accepté dans cette université après le lycée. J'ai appris bien après qu'il avait acheté ma place par une jolie somme, ça me permettait de servir mes desseins, alors je n'ai pas relevé. Mais cela aurait dû m'alarmer, car ma réussite dépendait de lui et ce n'était qu'une manière de donner du lest à ma laisse pour mieux me manipuler.
Me faire miroiter une liberté pour mieux me brisant en la retirant.
Je n'ai pas d'autre choix que de faire acte de présence à cette réunion, au moins quelques secondes, pour récupérer mon téléphone et donner l'illusion que mon courage ne flanche pas. Il ne s'en sortira pas aussi facilement. Si je dois y rester, autant qu'il est du fils à retordre. Il veut me voir docile, je serais farouche, jusqu'à ce qu'il soit temps pour moi de me retirer définitivement. Mon compte à rebours n'a pas encore été déclenché.
Dans le gaz, je ne fais aucun effort dans mon apparence. Ça va l'agacer. Il aime exposer sa petite famille parfaite et dorer la réputation d'un homme ayant produit trois magnifiques jeunes femmes. Il nous veut irréprochables jusqu'au bout des ongles, comme des lots destinés à faire saliver les acheteurs. Une mise à prix malsaine.
Je rabats la capuche de mon sweat sur ma tête et enfile un bas de jogging en ne prenant même pas la peine de peigner mes cheveux. Je suis telle que je devrais l'être, un fantôme dans cet immense manoir.
Les pieds nus, je me décide à sortir de ma chambre en claquant la porte.
Notre demeure est particulièrement agitée, ça fourmille dans tous les sens, Dolorès notre gouvernante s'active à ordonner les consignes aux autres domestique.
Des voix s'élèvent en complément dans le grand salon du rez-de-chaussée. Tout le monde semble avoir été invité à contempler ma chute, on pourrait presque croire que les statues, qui décorent les couloirs, pourraient rompre leur pétrification pour nous rejoindre.
Je hume l'air alors que des effluves de rôti et d'ail enveloppent le grand escalier. Mes jambes me portent à peine, mes genoux sont prêts à ployer à tout instant, aussi, je m'accroche à la rambarde de bois fermement, en rassemblant tout le courage dont je suis capable. Mon cœur frappe fort dans ma poitrine et je prends une profonde inspiration avant de compter jusqu'à dix en faisant le vide dans ma tête. Je ne peux laisser mes peines de la veille m'ébranler, pas aujourd'hui. Je dois me battre. Et si je ne me calme pas, je serai incapable de tourner la situation à mon avantage, submergée par mes émotions.
J'invoque ma colère, ma meilleure source d'inspiration.
Et en silence, telle une ombre comme on en trouve par centaine dans cette maison, je me glisse dans le salon, sans un bruit.
________________
Quinze ans plus tard et Psyché à bien grandit.
Construite autour du désespoir sa haine envers son père et ce milieu dans lequel elle évolue est plus que palpable.
Psyché rêve de grandeur, d'une vie simple...
Et ce téléphone semble être la clef d'une partie de sa liberté, qu'en pensez vous ?
Pensez vous qu'elle pourra le récupérer ?
Êtes vous prêt.e.s à rencontrer son paternel ?
À samedi pour la suite.
Love. Marie 🖤
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