Epilogue
Se hissant sur la pointe des pieds, Nathaël déposa son énième carton de la journée en haut de l'étagère bancale et poussa un grognement de soulagement une fois l'action effectuée. Une grimace d'inconfort tordit ses lèvres lorsque le craquement de son dos lui rappela qu'il l'avait peut-être un peu trop sollicité ces derniers jours.
D'un geste las, il rabattit en arrière les quelques mèches bouclées qui encombraient sa vision et se recula pour admirer l'état de la pièce. Chaque coin du salon était encombré de cartons, certains à moitié ouverts, d'autres s'encastrant difficilement entre les meubles partiellement montés.
Nathaël soupira et manqua de bailler à la simple pensée du travail qu'il leur restait à effectuer. Mais tout aussi rapidement, un petit sourire vint étirer ses lèvres : ça y est, leur rêve se concrétisait, ils allaient bientôt pouvoir emménager dans leur nouveau chez-eux.
A l'instant où ce constat traversait son esprit, deux bras s'enroulèrent autour de sa taille et un menton se posa sur son épaule.
— On ne risque pas de s'ennuyer ce mois-ci !
Nathaël rit doucement en rejetant la tête en arrière pour capturer les lèvres de Kei. Ce dernier caressa ses tempes encore trempées de sueur et sourit en sentant son compagnon grogner contre sa bouche.
— Faut que je prenne une douche, marmonna le plus jeune en observant l'état de son t-shirt, maculé de terre et de transpiration.
— Mmh, j'te baise quand même.
Nathaël grogna pour la forme et repoussa le plus âgé en éclatant de rire.
— T'es vraiment incontrôlable !
Kei sourit d'un air taquin avant de déposer un baiser sur sa joue.
— Tout pour te voir sourire mon amour.
Le concerné lui lança un regard blasé auquel Kei répondit en remuant les sourcils de façon séductrice.
Soudain, leur échange fut coupé par des bruits de pas et une silhouette longiligne se découpa dans l'encadrure de la porte.
— Ouf ! Et voilà le travail ! Punaise, heureusement que j'étais là pour vous aider !
Le visage gracile de Léo apparut et son grand sourire creusa des fossettes sur ses joues imberbes. Il s'étira ostensiblement puis réajusta le col de sa chemise d'été qui n'avait pourtant pas bougé d'un centimètre.
— T'as porté un carton, railla Nathaël. Un seul et unique carton.
— Mais il était drôlement lourd ! précisa Léo en remontant ses lunettes de soleil dans ses cheveux blonds.
— Il était rempli de linge de table.
— Alors ce doit être le fait d'avoir porté ma magnificence sur trois étages qui m'a éreinté.
Le nouvel arrivant encadra théâtralement son visage de ses mains, mais ne récolta que deux regards moqueurs.
— Si tu veux, je te pousserai dans les escaliers pour t'aider à la redescendre, lança Nathaël en se laissant tomber dans le seul fauteuil de la pièce.
Léo porta une main à sa poitrine dans une posture faussement outrée avant de piquer le dernier cookie sur le comptoir. Kei retint un rictus railleur et frappa gentiment l'arrière du crâne de son ami qui fonça dans la porte en essayant d'esquiver le coup.
— Oh, qu'est-ce qu'elle fout la diva ? Casse-toi, y en a qui travaillent !
Le visage grincheux de Tom fit à son tour son apparition, à peine perceptible derrière la pile de cartons qu'il serrait entre ses bras. Kei se précipita vers lui pour le soulager d'une partie d'entre eux, tout en soupirant avec une exaspération feinte.
— Je t'avais dit d'attendre que je redescende ! le réprimanda-t-il.
— Ça va, il restait plus que ça ! Et tu semblais pas décidé à bouger ton cul.
— J'ai le droit de prendre une seconde pour respirer ?
— Non, répondit catégoriquement le tressé. A la guerre comme à la guerre.
Kei pinça les lèvres pour éviter de rigoler et posa les cartons à l'autre bout de la pièce. Une fois cela fait, il se retourna et frappa dans ses mains d'un air ravi.
— Messieurs, j'ai l'impression que nous avons enfin fini ! Félicitations !
Nathaël leva le poing depuis son fauteuil et bailla à s'en décrocher la mâchoire tandis que Tom poussait un grognement de soulagement et que Léo vérifiait que son maquillage n'avait pas coulé.
— Putain, que vous allez être drôlement bien ici ! s'exclama Tom d'un air appréciateur. Faudra qu'vous m'invitiez !
— Tu n'es pas obligé d'insérer une conjonction dans ta phrase, intervint Léo sans détourner les yeux du miroir accroché au mur.
Le concerné le fusilla du regard et grinça des dents.
— Elle commence vraiment à me casser les couilles la diva.
— Tu sais que j'aurais vraiment pu faire carrière à l'opéra ? s'enthousiasma le blond. J'avais une voix d'ange dans ma jeunesse. Tu veux une démonstration ?
— Pitié, non, grimaça affreusement Tom.
— OK, assis-toi. E lucevan le stelle, Ed olezzava la terra....
Alors, tandis que Léo entamait, sous l'air horrifié de Tom, les premières notes d'un chant lyrique, Kei se tourna vers son compagnon, un grand sourire étirant ses lèvres.
— Ils ont l'air de bien s'entendre ! s'émerveilla-t-il.
— Tu plaisantes ? J'ai l'impression que Tom va se défenestrer.
— Je sais. J'adore cette situation.
Nathaël éclata de rire et tira le bras de son compagnon pour qu'il s'assoie sur ses genoux. Kei embrassa son front en réponse et se mit à jouer avec les mèches ondulées moites de sueur.
— Au fait, où est-ce que tu en es avec ce fameux dossier de nom ?
Le regard du plus jeune s'illumina.
— Je me suis rendu à la mairie ce matin. Ça y est, c'est officiel, Nathaël Velasco n'existe plus ; place à Nathaël Malayil !
— Oooh je ne pensais que ce serait si rapide ! s'étonna Kei avec un grand sourire. Ça te va très bien ! Ta mère doit être ravie.
— Elle jubile. Elle veut absolument qu'on aille en Inde maintenant.
Le plus âgé se mit à rire et apercevant l'air faussement exaspéré de son compagnon. Cela faisait plusieurs semaines que ce dernier avait entamé les démarches administratives pour changer de nom de famille ; être rattaché à celui de son bourreau n'était plus concevable et adopter celui de sa mère semblait être le dernier pas à franchir pour se libérer de ce passé pesant.
Nathaël Malayil... Kei sourit. Désormais, il n'avait hâte que d'une chose : que ce soit son nom inscrit à côté du prénom de l'homme qu'il aimait.
Celui-ci le serra un peu plus contre lui et enfonça son visage dans son torse.
— Je suis si heureux, murmura-t-il d'une voix émue.
Kei sentit son cœur fondre d'allégresse. Son visage se fendit d'un immense sourire et il plongea sa tête dans les cheveux de Nathaël.
— On va enfin pouvoir commencer notre nouvelle vie, mon amour. Tu réalises ? On a enfin notre chez-nous !
Nathaël redressa la tête et balaya la pièce du regard. Ses yeux s'attardèrent sur la bibliothèque que Kei avait absolument tenu à monter en premier, glissèrent sur le matelas de fortune qui leur avait servi de lit la veille, observèrent avec un amusement non-dissimulé son frère qui essayait d'étouffer Léo avec un coussin, avant de revenir sur le visage lumineux de Kei.
Au fond de sa poitrine, une douce chaleur se propagea et son corps frissonna de plaisir. Oui, il n'y avait pas à dire, il était heureux.
Le petit garçon aux yeux cernés et au visage tuméfié se matérialisa dans son esprit. Nathaël vit dans son regard douloureux l'attente suppliante d'une réponse, d'une explication, de n'importe quoi qui pourrait alléger sa peine.
Alors, il lui adressa un doux sourire et prit dans sa main ses petits doigts écorchés.
Tu es en paix maintenant, lui promit-il, la gorge nouée par l'émotion.
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