9. Je vais te faire un café
KEI
« L'absence aiguise l'amour, la présence le renforce »
- Thomas Fuller
— Je vais te faire un café.
A ces simples mots, les yeux de Nathaël s'écarquillèrent tellement de surprise que Kei se retint de ricaner. Ce n'était sûrement pas le moment de le taquiner.
Il observa longuement le jeune homme. Ses cheveux bruns étaient collés à son front par la sueur, ses pupilles étaient encore excessivement dilatées et sa lèvre inférieure tremblait légèrement. Ses poings jusqu'alors serrés à s'en faire blanchir les phalanges se détendirent et ses doigts s'échouèrent sur le carrelage froid. Il semblait épuisé. Que lui était-il arrivé ? Qu'avait-il bien pu se passer pour qu'il se mette dans cet état-là ?
Kei avait envie de le serrer dans ses bras. De toutes ses forces. De lui dire qu'il ne le lâcherait pas. Parce qu'en dépit de son air sauvage et de ses phalanges bandées, Nathaël semblait vulnérable, plus vulnérable qu'il ne l'aurait jamais cru. Et il ne supportait pas cela. Il voulait l'aider, effacer l'angoisse qui tirait ses traits et opacifiait ses yeux.
Mais il ne pouvait pas lui dire tout cela, il ne pouvait pas lui poser de questions. La seule chose qu'il pouvait faire pour le moment était d'essayer de le rassurer et de lui changer les idées.
— Tu devrais aller prendre une douche pendant que je prépare le café, conseilla-t-il en se relevant. Ça te fera du bien.
Nathaël lança un regard hésitant vers l'escalier, comme si la simple idée d'aller à l'étage lui semblait insurmontable. Avait-il si peur que ça ?
— Tu as besoin que je te tienne la main pour monter ? plaisanta Kei en souriant en coin.
Il réalisa soudainement ce qu'il venait de dire et se figea. Et si Nathaël ne comprenait pas que c'était une blague et prenait cela comme un sous-entendu ? Et s'il pensait qu'il lui faisait des avances ? Ils n'avaient pas parlé de cette soirée où ils s'étaient croisés, il n'avait aucune idée de ce qu'avait pensé le jeune homme ni de ce qu'il pensait désormais de lui. Voulait-il simplement faire comme si rien ne s'était passé ? Était-il dégoûté par lui ? Cela l'indifférait-il ?
Mais Nathaël se contenta de froncer les sourcils et de se relever en grognant.
— C'est bon, j'y vais, marmonna-t-il d'un ton bourru.
Kei ne fit aucune remarque sur sa démarche tremblotante lorsqu'il passa devant lui. Il savait que le jeune homme essayait de sauver la face et préféra donc ne pas intervenir. A la place, il se dirigea vers la cuisine et prépara un café à l'italienne.
Il ne pouvait pas croire que le premier réel échange qu'il avait avec Nathaël avait commencé comme ça. Qu'il avait fallu qu'un événement traumatisant se produise pour que ce dernier cesse de le fuir. Devait-il en être heureux ?
Le bruit de l'eau portée à ébullition le ramena à la réalité et il retira la cafetière du feu. Il voulait simplement que Nathaël aille mieux.
Il s'avança dans le salon et se rassit sur le canapé. Quand son corps s'enfonça dans le cuir moelleux, il soupira d'aise et se rendit compte d'à quel point il était tendu. Il ferma les yeux et se pinça entre les sourcils. Tout allait bien se passer.
Le craquement caractéristique des marches en bois retentit derrière lui et Nathaël apparut dans l'encadrure de la porte. Il portait un sweat à capuche bleu pastel et un bas de survêtement noir qui moulait agréablement ses jambes. Une serviette blanche était posée négligemment sur ses cheveux mouillés et Kei se retint de sourire devant cette vision attendrissante. Il ressemblait à un enfant qui n'osait pas demander de l'aide. Il voyait bien que Nathaël hésitait à s'avancer, comme s'il était encore tiraillé entre son envie de présence humaine et son réflexe de fuite. Sans un mot, Kei attrapa le livre qu'il étudiait avant que le garçon ne rentre et se remit à le feuilleter.
— Je t'ai posé une tasse de café sur la table basse, annonça-t-il d'une voix qu'il s'efforça de rendre neutre.
L'autre ne répondit pas, mais ces mots agirent comme une invitation et il s'avança pour s'asseoir à l'autre bout du canapé. Il ramena ses genoux contre son torse, attrapa la tasse brûlante et la serra entre ses doigts.
Un silence apaisant s'installa dans la pièce. Kei avait l'impression qu'ils avaient vécu ainsi pendant des mois ; chacun dans sa bulle mais profitant de la présence de l'autre. Il jetait parfois des coups d'œil rapide à Nathaël pour vérifier que l'angoisse ne le submergeait pas, mais le jeune homme restait immobile à siroter son café, le regard dans le vide. Il aurait aimé savoir ce qu'il se passait dans sa tête mais n'osa pas le lui demander.
— Tu devrais peut-être dormir, lança-t-il soudainement en voyant son compagnon de soirée lutter contre ses paupières qui se fermaient toutes seules. Tu as l'air exténué.
Nathaël lui jeta un regard agacé avant de reprendre une gorgée de café.
— Je n'ai pas besoin de dormir.
— Si tu veux creuser tes cernes jusqu'à tes joues, oui sûrement.
Le garçon fronça les sourcils. Kei sourit avec amusement.
— T'es en train de t'endormir comme un bébé depuis tout à l'heure.
— Tu pourrais pas te concentrer sur ton dictionnaire au lieu de me faire chier ? grinça Nathaël.
— Tu veux que je te fasse la lecture pour t'endormir ?
— Va te faire foutre.
Kei pouffa de rire et s'étira ostensiblement. Son interlocuteur l'observa du coin de l'œil avant de reprendre la parole.
— Qu'est-ce que tu lis ?
— Indian Myths and Legends from the North Pacific Coast of America de Franz Boas.
— Achevez-moi, grimaça Nathaël.
— C'est très intéressant au contraire, le contredit Kei en s'étirant. N'étais-tu pas passionné par les histoires et les légendes quand tu étais gamin ?
— Qu'est-ce que t'en sais ?
La voix du jeune homme s'était durcie, son visage se fit agressif. Kei haussa un sourcil.
— Je me rappelle que tu dessinais toutes sortes de créatures et que tu passais tes journées à écrire des scénarios de jeux, développa-t-il avec prudence. Tu étais doué, c'était...
— J'étais gamin, le coupa Nathaël en serrant les dents. Je ne fais plus toutes ses conneries. De toute façon...ce n'est pas comme si la magie existait.
— Pourquoi pas ? Si tu as envie d'y croire ?
— Je n'ai plus sept ans ! Arrête de m'emmerder avec ta magie. Tu m'as dit toi-même que c'était des conneries.
Kei resta bouche bée face au visage furieux qui lui faisait face. Il devinait que l'autre faisait référence à un souvenir qu'ils avaient en commun, mais il n'arrivait pas à se rappeler quoi. Quelque chose lui échappait.
— Tu sais, commença t-il d'une voix incertaine, je ne sais pas ce que j'ai pu dire à l'époque mais... je n'étais pas le plus intelligent ni le plus tolérant. Je veux dire...je sais que j'ai pu être agressif voire méchant avec beaucoup de monde donc...si je l'ai été avec toi, je suis désolé. Je... J'avais trop de problèmes dans ma tête qui me paraissaient insurmontables pour considérer ceux des autres... Enfin...C'est juste que...
— Ça va, arrête de bégayer, tu me fais de la peine. C'était il y a onze ans, pas besoin de ressasser tout ça.
Nathaël avait durci sa voix mais ses joues s'étaient légèrement empourprées.
Il est mignon, pensa Kei avec tendresse.
— Non mais vraiment, si je peux faire quelque chose pour...
— J'ai faim.
Kei retint un sourire lorsque le jeune homme l'interrompit brusquement. Ce dernier avait beau froncer les sourcils et baisser la tête, ses pommettes rouges restaient visibles et Kei avait envie de les colorer un peu plus. Il prit sur lui et sourit d'un air amusé.
— Tu as faim ?
— Oui.
— Tu veux des pancakes ? proposa-t-il.
— Tu sais faire des pancakes ? le contra Nathaël d'un air suspicieux.
— Évidemment !
— Tu sais cuisiner ?
— Si tu avais accepté de goûter mes plats ces derniers jours, tu le saurais.
Nathaël lui fit un doigt d'honneur et le geste surprit tellement Kei qu'il éclata de rire. Son interlocuteur parut perturbé par ce son et le fixa de longues secondes sans rien dire.
Kei sentit son estomac se tordre étrangement et il préféra se lever pour dissiper la gêne qui commençait à l'envahir. Il se dirigea vers la cuisine et s'appliqua à préparer la pâte à pancakes. Lorsqu'il eut fini d'en cuire quatre et de les déposer dans une assiette, une voix moqueuse retentit derrière lui.
— C'est ça que tu appelles des pancakes ?
— Ils sont très beaux mes pancakes ! protesta Kei.
— Ils sont tout plat. T'as oublié la levure ?
— Non.
— Les œufs ?
— Non.
— Le...
— Eh oh qu'est-ce que tu y connais en cuisine ? s'indigna le plus âgé.
— Je travaille dans une auberge, expliqua le jeune homme en haussant les épaules d'un air las. C'est moi qui fais les petits déjeuners.
— Oh, vraiment ?
Kei tenta de dissimuler la joie stupide qu'il venait de ressentir en entendant Nathaël dévoiler un pan infime de sa vie. Il avait envie de le harceler de questions : quelle auberge ? Depuis quand ? Cela lui plaisait-il ? Pourquoi avait-il choisi cela ? Mais il se contenta de se mordre la langue et de réprimer le petit sourire de contentement qui menaçait d'étirer ses lèvres.
— Contente toi de te taire et de manger, grommela-t-il, faussement bougon. Tu parles trop, tu ne m'as pas habitué à ta voix geignarde.
Nathaël ouvrit la bouche pour rétorquer puis renonça et donna une bouchée hargneuse dans son pancake. Les deux hommes s'assirent sur les hauts tabourets de la cuisine et mangèrent en silence, côte à côte. Au bout de quelques minutes, Nathaël se tourna vers lui et lui lança un regard hésitant.
— Dis...
Kei l'observa se triturer les doigts et jouer avec les manches de son sweat. Il haussa un sourcil pour l'inciter à continuer mais le garçon baissa la tête en bougonnant.
— Je veux bien un autre pancake.
Kei sourit. Il avait compris que c'était sa façon de le remercier.
NDA : Enfin un rapprochement entre ces deux idiots ! A partir de maintenant, leur relation va avancer plus rapidement et les prochains chapitres en seront la preuve.
Je suppose que vous avez compris à quel point la présence et le soutien de Kei ont été importants pour Nathaël et vous verrez que c'est loin d'être fini
N'hésitez pas à commenter et à voter, ça fait toujours plaisir et à la semaine prochaine :)
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