8. Tout va bien, je suis là
NATHAËL
« L'angoisse est le vertige de la liberté »
- Soren Kierkegaard
— Tu dois faire quelque chose ! Je sais pas putain, va présenter tes excuses ! Ça peut pas continuer comme ça !
— Bordel, mais puisque je te dis que ça sert à rien ! Ils en ont rien à foutre de mes excuses, Tom, qu'est-ce que tu comprends pas là-dedans ?
— Je m'en bats les couilles, réessaye ! Putain Nel, tu réalises qu'on aurait pu crever ?
— Mais qu'est-ce que je peux y faire ?!
Sa voix dérailla sur le dernier mot et Nathaël avala douloureusement la boule qui s'était formée dans sa gorge. Face à lui, son ami était hors de lui, le visage rougi par la colère et les pupilles dilatées à l'extrême. Sur sa tempe, une veine palpitait follement et ses tresses tombaient en désordre sur ses épaules. L'adrénaline faisait trembler tout son corps, sa respiration était courte, sifflante. Nathaël le vit se frotter énergiquement les yeux en jurant avant de donner un violent coup de pied dans un caillou.
— Je peux plus supporter ça... Faut que ça cesse. Faut qu'on trouve un moyen.
Nathaël ne répondit pas. La boule dans sa gorge continuait à grossir et il avait l'impression qu'il pouvait éclater en sanglots à tout moment. Ses mains tremblaient affreusement et ses jambes supportaient tout juste son poids. Il entendit Tom gémir de frustration pour la énième fois mais n'eut pas le courage de le regarder dans les yeux.
Ils avaient failli mourir. Par sa faute.
Il frissonna lorsqu'il revit les phares de la voiture se refléter dans son rétro, le pistolet sortir de la fenêtre et la balle siffler contre son oreille.
Putain je vais craquer, s'affola-t-il intérieurement.
Nathaël ferma les yeux aussi fort que possible et tenta de prendre une grande inspiration, mais un puissant hoquet le fit porter ses mains à sa poitrine. Il paniquait. Ça n'allait pas du tout. Son cœur battait bien trop vite, il n'arrivait plus à reprendre sa respiration, la sueur coulait le long de son dos.
Tom s'approcha de lui et entoura ses épaules de ses bras. Lui aussi continuait de trembler.
— On va trouver, chuchota-t-il d'une voix vacillante. On va trouver d'accord ? Je... Je vais réfléchir à quelque chose. Je vais rentrer. Va te cacher chez toi. Ils...Ils ne reviendront pas ce soir.
Nathaël serra les dents. Chaque mot de son ami était plus incertain que le précédent. En réalité il ne savait rien, il ne savait pas quoi faire, il était incapable de prévoir les prochaines actions de leurs poursuivants. Mais surtout, il lui en voulait. Il le sentait. Tom lui en voulait. Il ne voulait pas rester avec lui ce soir. Il voulait s'éloigner de lui. Parce qu'il portait malchance.
Les bras autour de ses épaules se desserrèrent et leur propriétaire se dirigea vers sa moto qu'il enfourcha d'un geste maladroit. Lorsqu'il démarra, il lui fit un discret signe de la main puis disparut au coin de la rue.
Le silence retomba soudainement. Lourd, menaçant, terrifiant. Nathaël avait l'impression qu'une voiture pouvait débouler à tout moment, plein phares, et foncer sur lui. Le spasme qui l'agita l'obligea à ouvrir la bouche en grand. Putain. Il pensait être habitué à la peur, au danger, à la souffrance, mais à chaque fois, il en découvrait un degré supérieur et devait recommencer à zéro.
Il se força à calmer ses tremblements, appuya sa main contre le muret et longea ce dernier en chancelant. Il devait rentrer. Se mettre à l'abri. Il ne voulait pas être seul, pas ici, pas dehors.
Lorsqu'il atteignit la porte de sa maison, il tomba à genoux sur le perron et se recroquevilla sur lui-même. Sa poitrine le lançait tellement, il avait l'impression que son cœur pouvait lâcher à tout moment.
J'ai si peur... Si peur, trembla-t-il.
Il porta ses mains à son visage et se frappa plusieurs fois les joues pour reprendre ses esprits puis se releva difficilement et s'agrippa à la poignée. Quand il pénétra dans la maison, il s'empressa de tourner deux fois la clé dans la serrure et de rabattre les rideaux encore ouverts dans la cuisine. Ce n'est qu'alors qu'il remarqua qu'une faible lumière s'échappait du salon. Se raccrochant à cette dernière comme un damné aux portes du paradis, il s'avança difficilement vers elle.
Juste là, confortablement assis sur le canapé, Kei lisait un énorme manuel, plusieurs feuilles gribouillées étalées sur ses genoux. Une tasse de café fumante était posée sur l'accoudoir et une douce musique s'échappait des enceintes situées au fond de la pièce. Nathaël eut soudain envie de pleurer face à cette vision si calme, si paisible. Il avait envie de s'enfermer dans cette bulle avec Kei et de ne plus jamais revenir à la réalité. Ce dernier finit par lever la tête de son livre et haussa un sourcil en le voyant figé dans l'encadrure de la porte.
— Tu vas bien ?
Sa voix grave se blottit immédiatement dans le cœur de Nathaël. Après l'horreur qu'il venait de vivre, Kei lui paraissait plus beau que d'habitude avec ses cheveux d'un noir de jais encore mouillés de la douche, son regard profond et ses lèvres toutes rondes. Il portait un bas de survêtement gris et un t-shirt blanc qui faisait ressortir ses tatouages sur les bras et dans le cou.
Il ne savait pas quoi faire. Ils ne s'étaient pas reparlés depuis ce soir où ils s'étaient croisés au bar gay. Le choc avait été si intense pour Nathaël qu'il n'était pas revenu chez lui et avait dormi au squat avec Tom. Il se souvenait parfaitement de l'électrochoc qui l'avait envahi lorsqu'il avait croisé les yeux noirs au milieu des néons, lorsque le visage fin et immaculé était apparu devant le sien. Et surtout, lorsqu'une main étrangère s'était refermée sur ce corps qu'il admirait tant. Et qu'un parfait inconnu avait tiré vers lui l'homme qu'il avait si longtemps aimé. Ça avait été l'élément de trop. La surprise avait été si brutale qu'il avait été incapable d'organiser ses pensées et avait fui, refusant de répondre à toutes les questions qui envahissaient son esprit. Était-il gay ? Lui le garçon le plus populaire du lycée ? Celui que toutes les filles désiraient et qui avait couché avec la moitié d'entre elles ? Lui qui s'était toujours comporté comme un parfait hétéro et qui n'avait jamais caché sa réticence vis-à-vis de ceux qui sortaient du lot ? Plus important : l'avait-il vu parler avec sa bande ? Se doutait-il de la raison de sa présence ici ? Pensait-il qu'il était gay ?
— Nathaël...
La voix douce et chaude retentit tout près de lui et il tressaillit. Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vu que Kei s'était levé et placé juste devant lui. Les yeux noirs brillaient d'inquiétude, d'hésitation aussi. Lui aussi ne savait pas comment réagir ? Que dire, que faire ?
En temps normal, Nathaël l'aurait simplement repoussé et se serait réfugié dans sa chambre. Mais ce soir il n'en était pas capable. Ce soir, il ne pensait pas pouvoir rester seul. C'était impossible. Il allait mourir d'angoisse.
Soudain, une étrange sensation de chaleur se propagea dans sa joue et il sentit la boule dans sa gorge dégrossir un peu. Il ferma les yeux et tenta de se rapprocher de cette source de chaleur si apaisante. Ce ne fut que lorsqu'un pouce vint doucement caresser le coin de son œil qu'il réalisa que Kei avait posé sa main sur sa joue et essuyait la larme qui menaçait de couler sur son visage.
Nathaël tressauta et fit un pas si brusque en arrière que sa tête cogna contre le mur. Son vis-à-vis esquissa un geste pour le rattraper mais se censura au dernier moment. Sûrement hésitait-il sur le comportement à adopter maintenant que le jeune homme savait qu'il était gay. Parce qu'il était gay, n'est-ce pas ?
Nathaël avait envie de se frapper la tête contre la porte tant son esprit était embrouillé par des questions futiles, par la peur et par l'hésitation. Et si quelqu'un débarquait ici et s'en prenait aussi à Kei ? Et si on venait les assassiner dans leur sommeil ?
A nouveau, l'angoisse étreignit sa poitrine et il dut s'appuyer contre le mur pour éviter de tomber. Il n'arrivait plus à respirer, chaque inspiration était coupée par un hoquet douloureux et sa tête tournait horriblement.
— Hey, calme toi, assis toi par terre, intima Kei avec inquiétude. Respire profondément. Regarde moi. Nathaël.
La voix du plus âgé était comme une bouée de sauvetage au milieu d'une mer agitée, mais Nathaël ne parvenait pas à l'atteindre. Il haleta désespérément et se sentit glisser le long du mur jusqu'à s'échouer sur le sol. Les grands yeux noirs apparurent soudain à quelques millimètres des siens et un étau agréable se referma autour de ses mains.
— Tout va bien, je suis là, reprit Kei d'une voix douce. Tu dois te calmer. Tout va bien. Il ne peut rien t'arriver. Essaie de copier ma respiration.
Les mots pénétraient difficilement son cerveau mais il sentait que les battements de son cœur se calmaient petit à petit. Inconsciemment, il s'agrippa aux mains qui tenaient les siennes et tenta de calquer sa respiration sur celle de Kei. Ce dernier ne le lâchait pas et continua de lui parler avec douceur, jusqu'à ce que sa poitrine se débloque et qu'il puisse enfin prendre une inspiration complète.
Est-ce que je viens vraiment de faire une crise de panique ? Là ? Devant Kei ? s'horrifia-t-il.
Il était épuisé. Son corps entier réclamait du sommeil, mais son esprit était complètement terrorisé à cette idée. Était-il si faible que ça ? Il n'allait tout de même pas rester affalé sur le sol de son salon pour le restant de ses jours !
Kei lâcha délicatement ses mains mais resta accroupi devant lui. L'inquiétude ne s'évanouissait pas dans les iris ébènes et cela commençait à agacer Nathaël. Comment avait-il pu se montrer si faible devant lui ? Il le rejetait pendant des jours puis s'effondrait dans ses bras au moindre problème ? Ridicule.
Il détourna le regard et serra les poings. Kei allait sûrement l'assaillir de questions, il allait se demander ce qui n'allait pas, peut-être allait-il le mépriser d'avoir été à deux doigts de pleurer. Allait-il le dire à ses parents ? A son frère ? Il aurait encore plus d'ennuis, tout allait devenir ingérable, insupportable. Il n'était pas capable de subir tout cela, il voulait que Kei ferme la bouche qu'il venait d'entrouvrir, il ne voulait pas ressasser ses souvenirs, il ne voulait pas répondre à ses questions, il voulait simplement qu'on le laisse tranquille, il avait sommeil, si sommeil...
— Je vais te faire un café.
NDA : Petit chapitre un peu plus sombre mais essentiel pour comprendre un peu plus ce qui se passe dans la tête de Nathaël.
N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce nouveau chapitre :)
Le chapitre de la semaine prochaine sera plus léger et mettra en scène un petit rapprochement entre Kei et Nathaël
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