43. Je ne partirai plus jamais


KEI


" Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c'est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications "

- Antoine de Saint-Exupéry


Comme d'habitude depuis quatre jours, Kei poussa la porte numéro 257 et pénétra dans la petite chambre aux murs immaculés. Mécaniquement, il se dirigea vers la fenêtre dont il tira les rideaux pour dissiper la pénombre ambiante. Le parc de l'hôpital se révéla à lui, immense, verdoyant et résonnant de rires d'enfants.

Kei soupira. Nathaël ne s'était toujours pas réveillé et, bien que les médecins soient largement optimistes, il détestait cette situation. Il détestait voir son visage émacié entouré de bandages, il détestait parler dans le vide de cette pièce impersonnelle au possible, il détestait ne pas pouvoir faire quelque chose pour améliorer sa condition.

J'aurais dû voir venir tout ça, se réprimanda-t-il. J'avais tous les éléments sous les yeux et je n'ai pas été foutu de les assembler correctement. Est-ce que moi aussi je me suis aveuglé ? Punaise je voudrais tellement pouvoir revenir en arrière...

Il ne comprenait pas comment ils avaient pu en arriver là, comment personne n'avait pu réagir auparavant et comment Nathaël avait pu endurer tout cela si longtemps sans broncher. Il n'y avait pourtant pas dix mille façons de se faire autant de cicatrices sur le corps ; quelqu'un aurait dû s'en apercevoir et le protéger ! Alors pourquoi n'en avait-il pas été capable ?

Kei soupira et croisa les bras sur le rebord de la fenêtre.

Qu'allait-il se passer désormais ? Comment Nathaël allait-il se comporter maintenant que son secret avait été dévoilé au grand jour ? Allait-il affronter Mario lors du procès de celui-ci ? Serait-il en colère contre Elio ou sa mère ?

Kei serra les dents en pensant à son meilleur ami. Lui, pour sûr, il lui en voulait terriblement. Elio étaient aux premières loges de l'enfer que vivait son frère et il n'avait jamais ouvert les yeux suffisamment grands pour s'en rendre compte. Alors certes, Nathaël n'avait pas dû le crier sur tous les toits, mais quand même... En dix-huit ans, il aurait dû avoir des soupçons.

Un rayon de soleil vint réchauffer le visage de Kei et ce dernier ferma les yeux en soupirant longuement. Quand allait-il enfin pouvoir être heureux avec l'homme qu'il aimait ?

— Tu comptes faire ta photosynthèse encore longtemps ? lança une voix rauque et traînante.

Kei manqua de s'étrangler et fit volte face, le cœur tambourinant dans les oreilles.

A quelques pas de lui, doucement éclairés par la lumière du jour, les yeux vairons le fixaient sans ciller. Kei couina de bonheur en se jetant sur le lit de son compagnon qui grimaça lorsqu'il s'affala à moitié sur lui.

— Nel ! Putain Nel... Mon amour, tu es réveillé ! Tu es réveillé...

Il encadra de ses mains le visage marqué du plus jeune et caressa ses pommettes de ses pouces.

— Comment tu te sens ? Tu as mal quelque part ? Je dois appeler un médecin ? Oh putain Nel... Nel...

Et sans prévenir, il éclata en sanglots. Comme un enfant.

Son front s'échoua contre celui du blessé et ses mains s'enfouirent dans les cheveux rasés qui entouraient le pansement. Il n'arrivait pas à se contrôler. Toutes les émotions accumulées depuis l'accident jaillissaient sans prévenir, le rendant incapable de tarir le flot de larmes qui dévalait la pente de ses joues.

Son visage s'enfonça dans le cou de Nathaël et il huma à plein poumon cette odeur orientale si familière dont il manquait les fragrances habituelles de vanille.

Le plus jeune leva difficilement un bras pour le poser sur le dos de Kei tandis qu'il tentait d'embrasser sa joue.

— Hey... Pleure pas... Kei... J'aime pas quand tu pleures...

Chaque mot semblait procurer un effort considérable au jeune homme qui se mit à tousser en grimaçant. Le plus âgé finit par se redresser, renifla un bon cou et essuya les sillons que les larmes avaient creusé sur son visage.

— J'ai eu si peur, renifla-t-il péniblement. Comment tu te sens ? Tu veux que j'appelle quelqu'un ?

— Non... Ils savent que je suis réveillé... Je voulais te faire la surprise.

Kei sourit et laissa sa main caresser la joue de Nathaël. En dépit de ses yeux ouverts, ce dernier semblait épuisé et ses lèvres pâles étaient toutes craquelées. Le plus âgé en retraça le contour avant de se pencher pour y déposer un doux baiser.

Les deux hommes frissonnèrent et Nathaël referma ses doigts autour du poignet de son compagnon. Celui-ci sourit contre sa bouche puis se releva après avoir embrassé son nez.

— Les médecins t'ont dit quelque chose sur ton état ? s'enquit le plus âgé d'un air soucieux.

— Je vais bien. Ils me gardent encore quelques jours en observation, mais je devrais sortir rapidement.

— Tant mieux. La maison me paraît bien triste sans toi.

Le jeune homme sourit puis porta une main à son front pour tâter le pansement qui s'y trouvait encore.

— Je dois avoir une sale gueule, grimaça-t-il.

— T'es si beau que je pourrais en pleurer.

Nathaël eut un petit rire étouffé et son regard se fit taquin.

— Il te reste encore de l'eau dans le corps ?

— Plus beaucoup, mais à tout moment je repars en cascade.

Le blessé sourit puis ferma les yeux en soupirant. Kei attrapa sa main et commença à y tracer des petits ronds avec son pouce.

— Ma mère est venue, annonça Nathaël sans soulever les paupières.

Kei se figea et contracta la mâchoire.

— Et alors ?

— Alors rien, soupira le plus jeune d'un geste las des épaules. Elle a pleuré. Elle s'est confondue en excuses. Elle était inconsolable.

— Elle peut.

Nathaël ouvrit les yeux, plongeant son regard dans le sien.

— Ne sois pas si dur, intima-t-il.

— Elle n'a rien fait pour te sauver, rétorqua Kei en serrant les dents.

— Elle ne savait pas.

— Elle ne pouvait pas l'ignorer.

— Kei, c'est aussi pour la protéger que j'ai fait ça, soupira Nathaël en regardant dans le vide. J'aurais détesté qu'elle réagisse.

Le concerné soupira et pinça les lèvres pour endiguer le flot de colère qui remuait son estomac.

— Désolé... J'ai été tellement en colère que j'ai encore du mal à faire la part des choses. Il y a trop de détails qui m'échappent...

— Il n'y a pas grand-chose à dire. Ma mère et moi n'avons jamais réellement retrouvé notre place dans cette famille, mais j'ai décidé de porter ce fardeau pour deux. Elle semblait si anéantie par la mort de mon père...

— Tout de même. Et Elio ?

— Tu sais, quand tu ne veux pas voir quelque chose, tu ne le vois pas, tempéra Nathaël d'une voix éreintée. Mais je ne pense pas que ce soit condamnable pour autant, c'est juste foncièrement humain... Personne ne veut admettre que l'horreur se joue au sein de sa famille. Personne ne veut voir sa vie être anéantie en un claquement de doigts... Je ne lui en veux pas.

— Moi si.

Nathaël pouffa en caressant l'intérieur de son poignet.

— Je suis surpris que tu ne lui aies pas cassé la gueule.

— J'ai failli. Ça me démange encore.

Cette fois, un petit rire franchit les lèvres du jeune homme avant qu'il ne grimace et referme les yeux. Kei culpabilisa ; il le forçait à parler alors qu'il venait à peine de se réveiller d'un coma de quatre jours. Il devait être épuisé...

— Tu veux que je te laisse dormir ?

Les yeux vairons réapparurent et se firent intenses.

— Ne t'avises pas de lâcher ma main une seule seconde, ordonna-t-il en fronçant les sourcils.

Kei sourit puis porta ladite main à ses lèvres.

— Tu m'as tellement manqué...

Le regard de Nathaël s'adoucit et il tenta de se redresser légèrement sur ses coussins.

— Je suis désolé de t'avoir autant inquiété... Et de ne t'avoir rien dit.

— Ne t'en fais pas... L'important c'est que tu ailles bien.

Kei continua à déposer des baisers sur la main gracile du jeune homme, mais ses pensées se mirent à vagabonder ailleurs. Pourquoi Nathaël avait-il encaissé cela aussi longtemps sans rien dire ? Il aurait quand même pu demander de l'aide, la police aurait bien fait en sorte de les protéger, lui et sa mère, non ?

— A quoi tu penses ?

Kei plongea son regard dans les yeux vairons et hésita quelques secondes. Puis capitula.

— J'ai encore du mal à comprendre... Pourquoi ? Pourquoi tu n'as jamais rien dit ? Pourquoi tu n'as jamais appelé au secours ?

Nathaël ne répondit pas de suite, le regard perdu dans le vague.

— Au début, je voulais juste ne pas inquiéter ma mère. Elle a mis tellement de temps à se remettre de la mort de mon père, elle me semblait si fragile... Ensuite, je n'ai pas pu me résoudre à faire ça à Elio. Il voyait son père comme un héros et tout lui souriait dans la vie. Je ne me voyais pas être la cause de la disparition de son sourire. Je ne saurais pas vraiment l'expliquer... Je crois que je voulais juste maintenir l'illusion de cette famille parfaite. Parce qu'à défaut de l'être, elle permettait à ma mère de s'accrocher à quelque chose et à Elio d'avoir ses deux parents, d'être bien entouré. C'était peut-être aussi de la lâcheté, je ne sais pas... Peut-être que je pensais mériter tout ça aussi, au fond de moi... Comme si c'était de ma faute que mon père soit mort et que ma mère ait dû revenir chez Mario... Tu sais, j'étais dans une position difficile : ma mère voyait en moi son amour perdu et Mario l'homme qui lui avait volé sa femme et entaché sa fierté. C'est pour ça qu'il devait me frapper. Parce que chaque jour, je lui rappelais qu'un autre avait pris sa femme et l'avait rendue heureuse. Il devait voir en moi une erreur de la nature, je ne sais pas...

Nathaël s'essouffla et ferma les yeux en grimaçant. Aussitôt, Kei s'empressa d'arranger les coussins derrière sa tête puis déposa un baiser sur son front.

— Je comprends.

Le plus jeune attrapa sa main et la serra sans soulever les paupières.

— Dis... Tu restes là si je m'endors, hein ?

Kei sourit, s'assit au bord du lit puis se pencha de sorte à pouvoir blottir la tête de Nathaël entre ses bras.

— Je ne pars pas, Nel. Je ne partirai plus jamais.

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