38. Dernière solidarité
NATHAËL
" Le seul charme du passé, c'est qu'il est le passé "
– Oscar Wilde
Le réveil de ce matin fut particulièrement difficile. Blotti dans les bras de Kei, Nathaël resta deux heures éveillé sans être capable d'esquisser le moindre mouvement, se contentant d'inspirer à plein poumon les effluves boisées, mêlées à l'odeur moite de transpiration, qui exhalaient du corps sous le sien.
La journée de la veille avait peut-être été l'une des plus éprouvantes de sa vie. Non pas qu'il n'ait pas connu de moments plus douloureux, mais celui-ci avait concerné l'homme qui partageait son quotidien. Et ça, ça avait été une nouvelle forme de souffrance, bien plus perfide, bien plus terrifiante.
Lorsqu'il avait vu Kei rentrer avec le visage ouvert et le torse parsemé de bleus, une haine terrible l'avait envahi, lui donnant envie de tout détruire sur son passage. Mais surtout, un affreux sentiment de vulnérabilité avait ravagé son cœur et l'avait fait se sentir plus démuni que jamais. Il avait échoué, partout. Non seulement il n'était pas parvenu à s'extirper lui-même de la situation critique dans laquelle il se trouvait, mais en plus de cela, il y avait mêlé Kei et l'avait mis en danger. Le dégoût qu'il avait alors ressenti envers sa personne était inégalable. Comment avait-il pu se planter aussi lamentablement ?
Sa poitrine se comprima en repensant à ces événements et ses doigts s'enfoncèrent inconsciemment dans le dos de Kei. Ce dernier grogna puis serra un peu plus fort le garçon contre lui avant de déposer un baiser sur le haut de sa tête.
— Ça va ? grogna-t-il de sa voix rauque matinale.
Le plus jeune hocha doucement la tête et adoucit sa prise sur le dos de Kei.
— Désolé... Je t'ai réveillé ?
— Oui, mais c'est toujours un bonheur de me réveiller contre toi, donc ne t'excuse pas.
Nathaël ne répondit pas et releva la tête pour atteindre de ses lèvres celles de son partenaire. Celui-ci lui rendit son baiser, glissant sa langue contre son homologue. Lorsque leurs bouches se séparèrent, elles restèrent si proches que chacun pouvait sentir le souffle de l'autre s'échouer contre sa peau.
— Je vais aller voir Tom ce matin, annonça finalement Nathaël en faisant courir ses doigts le long du torse du plus âgé.
— Nel, soupira Kei. Faites pas de conneries, OK ? Ça me stresse de savoir que des gars te poursuivent. Pourquoi tu ne vas pas simplement porter plainte ?
Nathaël plongea son visage dans le cou de son partenaire et en embrassa la peau si douce.
— Je peux pas porter plainte sans risquer de mettre toute la bande en danger... Ciel ne me le pardonnerait jamais. Mais surtout, je suis trop lâche... Et si finalement c'est moi qu'on punit ? Pour avoir volé ce foutu papier ? Pour être entré par effraction chez tant de gens ? Pour avoir été mêlé de près ou de loin au trafic de sable ? Pour avoir planté un gars ?
Kei ne répondit pas de suite et se contenta de faire glisser ses doigts le long du dos du jeune homme jusqu'à la courbe de ses fesses.
— Quel autre moyen vois-tu pour t'en sortir ? finit-il par demander dans un murmure.
— Régler tout ça en interne. Peut-être que si Ciel parvenait à trouver un compromis avec les autres gars... Si seulement ce petit problème parvenait à être résolu, tout irait mieux ensuite... Je me retirerais progressivement de la bande et il n'y aurait plus toute cette pression sur mes épaules.
Nathaël fut soulagé que son visage soit dissimulé par le cou de Kei, même s'il était certain que ce dernier n'avait pas besoin de le voir pour saisir l'incertitude latente dans sa voix. Mais il eut l'obligeance de ne pas faire de remarque et se contenta de continuer à caresser ses fesses.
Lorsque l'un de ses doigts s'aventura un peu plus franchement entre ces dernières, Nathaël se redressa et grimpa à califourchon sur le corps de son partenaire. Leurs bassins entrèrent en contact en même temps que leurs lèvres et leurs deux corps se mirent à se mouvoir l'un contre l'autre.
Kei enfouit sa deuxième main dans les cheveux du garçon et mordit sa lèvre inférieure.
— Laisse moi te dévorer une dernière fois avant que tu partes, chuchota-t-il d'une voix qui sonna comme une supplication.
***
— Tu penses que c'est une bonne idée d'aller à la planque ?
Adossé contre sa moto, Tom fumait sa troisième cigarette de l'heure et agitait frénétiquement sa jambe gauche.
— Non parce que je t'assure qu'ils étaient pas contents hier soir, continua-t-il d'une voix tendue. Pas sûr que Stone nous laisse entrer. Pas sûr qu'il nous laisse vivre d'ailleurs. J'l'ai jamais vu tabasser quelqu'un jusqu'à la mort, mais maintenant que ton gars a frappé Ciel, je réponds plus de rien.
— Il a frappé Ciel ? s'étonna Nathaël en écarquillant les yeux.
— En plein dans la gueule ! chantonna son frère d'un air ravi. T'aurais dû voir ça, c'était magistral. Je sais pas si je l'admire ou le déteste pour avoir fait ça, mais il n'empêche que c'était un beau coup.
Nathaël ricana et porta à son tour une cigarette à ses lèvres.
— On va pas pouvoir se cacher éternellement de toute façon... J'aime autant essayer d'avoir une discussion et d'arranger les choses au plus vite avant que tout devienne incontrôlable.
— Ah parce que jusque là, tout te semblait sous contrôle ? ironisa son frère. J'sais pas dans quel monde tu vis pour croire que tout se résout en se réunissant autour d'une table comme une jolie famille bien élevée, mais on évolue pas dans le même.
Nathaël lui jeta un regard agacé et se mit à jouer avec l'un des fils qui pendaient de sa veste en jean.
— Je sais pas Tom, OK ? J'suis perdu et j'ai peur. Vraiment. Je veux juste que tout ça s'arrête, j'ai pas besoin de ça en plus...
Sa voix se brisa avant la fin de sa phrase et il prit une longue bouffée de nicotine pour reprendre contenance. Son frère eut la délicatesse de ne pas relever et se contenta de jeter son mégot par terre.
— Bon alors allons-y maintenant, se motiva-t-il en frappant dans ses mains. Profitons-en le temps qu'il me reste une once de courage. Moi aussi cette situation commence à me peser et Ciel me casse sérieusement les couilles.
Nathaël esquissa un sourire qui sonna faux, mais cela suffit pour que les deux frères se saisissent de ce sursaut de détermination et enfourchent leurs motos en silence. Lorsqu'ils démarrèrent, leurs mains tremblaient affreusement autour du guidon, mais tous deux firent comme s'ils n'avaient rien vu.
***
Plus les kilomètres défilaient et plus l'estomac de Nathaël se tordait douloureusement. Au moment où il entama le dernier virage, sa tête se mit à tourner et il déglutit pour se donner du courage.
Sur le bas-côté, le chemin qui menait au hangar traversait les fougères et les deux frères s'y engagèrent avec leurs motos. Les premières tôles apparurent rapidement dans leur champ de vision, mais, tout aussi vite, ils comprirent que quelque chose n'allait pas.
D'ordinaire si calme qu'il échappait souvent à l'attention des promeneurs, le lieu semblait aujourd'hui envahi d'une effervescence qui ne présageait rien de bon. Trois voitures étaient garées devant et des hommes couraient dans tous les sens en haussant la voix.
Tom et Nathaël se garèrent un peu en retrait et retirèrent leurs casques en promenant un regard inquiet autour d'eux.
— Bordel, mais qu'est-ce qu'il se passe ici ? jura Tom en fronçant les sourcils. C'est la troisième guerre mondiale ou quoi ?
Nathaël ignora son frère et serra les poings contre ses cuisses. Ses yeux ne cessaient de vagabonder entre chaque personne présente, tentant de déceler la chevelure bleue au milieu du lot. Il n'eut pas besoin de creuser davantage ses recherches ; alors qu'ils n'étaient plus qu'à quelques pas de l'entrée, une voix traînante retentit dans leurs dos.
— J'pensais pas qu'vous auriez les couilles d'rev'nir d'aussi tôt...
Les deux concernés se retournèrent d'un bond et tombèrent nez à nez avec deux yeux aussi bleus que l'océan. Ciel n'arborait pas d'émotion particulière. A vrai dire, il semblait encore plus impassible qu'à l'ordinaire et aucun signe de nervosité n'émanait de lui.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Nathaël pour éviter que la tension ne s'installe entre eux.
Les yeux bleus le fixèrent de longues secondes avant qu'une réponse ne lui parvienne.
— Ils se sont fait choper.
— Qui ? s'inquiéta Tom.
— Les gars qui en avaient après vous.
Le cœur de Nathaël loupa un battement , l'obligeant à inspirer profondément pour empêcher la panique de s'infiltrer dans ses veines.
— Comment ça ?
Ciel s'assit sur un rocher et fouilla dans les poches de son pantalon trop ample à la recherche de son paquet de clopes. Il prit le temps d'en allumer une avant de reporter son attention sur les deux frères au bord de la fébrilité.
— Y a eu une énorme baston en sortie d'boîte, expliqua-t-il d'un ton laconique. Trois de c'te bande étaient présents, complètement bourrés. Ils ont pas su courir assez vite quand les flics se sont ram'nés. Sauf qu'l'un d'entre eux avait d'la coke sur lui et visiblement pas assez d'couilles pour tenir la pression d'un interrogatoire. Il a balancé la moitié d'la bande. Et les autres ont à leur tour balancé les derniers.
Un silence pesant tomba entre les trois hommes. Nathaël sentait ses mains devenir moites et il peinait à aligner deux pensées. Jamais il n'aurait imaginé que la situation prendrait ce tournant ; ils étaient venus avec la peur que l'incident de la veille ne leur cause des soucis au sein de la bande, pas que ce dernier soit éclipsé par un événement bien plus inquiétant !
— Ça veut dire qu'ils nous balanceront avec plaisir...
L'intervention de Tom mit des mots sur la peur non formulée qui opprimait leurs poitrines. Nathaël comprit alors l'effervescence qui régnait autour du hangar : les gars essayaient de se débarrasser de toute marchandise ou pièce suspecte au cas où les flics décident de leur rendre visite.
— Tant qu'ils ont pas d'preuves, c'est pas très grave, éluda Ciel en tirant sur sa clope. Mais ouais. Les flics vont vite remonter à nous. Alors faut cleaner ça avant eux.
Les yeux bleus se posèrent sur Nathaël et ce dernier y vit une lueur inconnue.
— T'as d'bons potes, Nel. C'est bien. J'm'attendais pas à ça hier soir. J'casserais bien la gueule du bridé, mais il a pas tort, j'ai pas géré. J'suis désolé.
Ciel marqua une pause et tira une longue bouffée de sa cigarette.
— Mais maintenant y a plus important qu'ça. Faut vider c'putain d'hangar et j'ai b'soin d'tout l'monde. J'peux compter sur vous ?
Les deux frères échangèrent un regard. Évidemment qu'un simple « désolé » prononcé du bout des lèvres ne suffirait pas à effacer des mois d'angoisse. Évidemment que l'égoïsme de Ciel ne saurait être racheté par le semblant de solidarité dont il faisait désormais preuve à leur égard. Évidemment qu'il resterait toujours ce gars nonchalant et arrogant, pour qui seuls ses propres sentiments comptent et qui est incapable de réellement considérer autrui. Évidemment qu'il serait à jamais l'homme qui a fait pénétrer le danger dans leur vie. Mais tout cela ne comptait plus.
Aujourd'hui, il ne servait à rien de se prendre la tête pour savoir si ce type était sincère, tout comme il avait toujours été inutile d'essayer de le comprendre. Seul le salut des membres de la bande était primordial. Qu'importent les rancœurs et les querelles personnelles : désormais, il leur fallait être plus solidaires que jamais s'ils voulaient éviter que les erreurs du passé ne viennent condamner leur futur.
NDA : Je sais qu'en ce moment je ne sors pas des chapitres très longs mais c'est déjà un miracle que je parvienne à progresser un peu dans l'histoire. Je bloque encore sur 2-3 chapitres mais je sais où je veux en venir donc c'est déjà ça !
J'espère que ce chapitre vous aura plu et j'espère à très bientôt :)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top