3. A nos retrouvailles !


KEI


« Tout secret est une révolte »

- Salim BARAKAT


Les parents d'Elio n'avaient pas déménagé depuis leur arrivée dans la ville vingt-cinq ans auparavant. Malgré des souvenirs un peu vagues, Kei retrouva facilement le chemin jusqu'à leur maison et pressa le bouton de la sonnette à vingt heures pétantes.

De sa main gauche tenant la bouteille de champagne qu'il avait achetée pour l'occasion, il replaça le collier en argent qui s'était coincé dans le col de son t-shirt.

La porte s'ouvrit sur un visage poupin aux longs cils noirs et à la bouche délicatement rosée. La seconde d'après, une tornade de cheveux ébènes parfumés à la vanille vint recouvrir son visage et des bras s'enroulèrent autour de son cou. Kei sourit et enlaça à son tour la femme qui lui faisait face.

— Je suis si heureuse de te revoir Kei, comment vas-tu depuis tout ce temps ?

Yamini Velasco se décolla de lui et lui laissa enfin un peu d'espace pour respirer. Les années n'avaient eu que très peu d'emprise sur cette femme si belle qu'une lumière semblait toujours émaner d'elle. Ses longs cheveux noirs descendant jusqu'à sa taille étaient retenus en arrière par un serre-tête doré et ses grands yeux gris étaient soulignés par des traits de khôl remontant au coin de ses paupières. Elle n'était pas très grande, pas plus d'un mètre soixante, mais son charisme était tel qu'elle semblait faire le double. Sa peau était caramel, son nez long et fin, ses lèvres pulpeuses et ses sourcils épilés à la perfection. Elle portait une longue robe rouge accordée à ses boucles d'oreille provenant certainement de sa région d'origine, le Kerala.

Kei s'était toujours senti proche de cette femme qui, contrairement à sa génitrice, n'hésitait pas à montrer ses émotions et à le prendre dans ses bras. Tout au long de son adolescence, elle avait été une deuxième mère pour lui, celle qui l'encourageait et le félicitait, celle à qui il pouvait se confier et celle qui trouvait les mots justes pour le consoler.

— Je vais très bien Yamini, et toi ? Qui aurait cru que je remettrais les pieds ici onze ans plus tard ?

La femme sourit avec tendresse et s'écarta pour le laisser entrer.

— Entre vite, Elio et Mario sont dans la cuisine. Oh merci pour le champagne, tu n'aurais pas dû !

Spacieuse et lourdement décorée, la maison des Velasco était l'antithèse de la sienne et Kei ne put s'empêcher d'admirer chaque élément qui avait marqué son passé.

— Kei ! Alors ça par exemple !

Accompagnant la voix de ténor qui venait de retentir, une large silhouette aux épaules carrées et à la mâchoire puissante s'avançait vers lui. Le jeune professeur sourit et tendit une main amicale vers le nouvel arrivant.

— Mario, salua-t-il en rendant l'accolade que l'homme venait de lui donner. Dis donc le temps qui passe fait des dégâts ; tu n'aurais pas perdu du muscle ?

— Petit con !

L'homme éclata de rire, faisant sautiller la chaîne dorée accrochée à son cou. Mario Velasco était le portrait craché de son fils Elio, en plus âgé et plus trapu. Ses yeux noisettes brillaient d'amusement sous les sourcils bruns broussailleux, une barbe bien fournie cachait la moitié basse de son visage et sa peau déjà basanée avait foncé à force de travailler sous le soleil. Kei respectait cet homme ; il était parti de rien et avait réussi à monter sa propre entreprise de zingueur qui prospérait désormais. Il avait toujours pris soin de sa famille et Kei avait longtemps considéré les Velasco comme l'incarnation du foyer parfait, celui qu'il devrait s'efforcer de construire plus tard.

Pour la femme et les gosses, ça risque d'être un peu compliqué mon grand, railla-t-il dans sa tête.

Derrière lui, Yamini se tenait en retrait et baissait la tête. Sans qu'il ne sache pourquoi, sa personnalité s'était toujours évanouie face à celle de Mario et elle restait systématiquement silencieuse lorsqu'il était dans la pièce. Kei croyait que c'était sa façon de témoigner son respect envers son mari - valeur que ses parents n'avaient cessé de lui rabâcher - mais aujourd'hui, cette soumission docile le dérangeait un peu.

Il n'eut pas le temps de beaucoup plus y réfléchir qu'un nouveau tourbillon de cheveux vint entraver sa vision et des bras s'enroulèrent avec force autour de son cou. Il fronça les sourcils. Ce n'était certainement pas Elio.

— Kei...

Cette voix. Il connaissait cette voix.

Avec douceur, il repoussa la jeune femme qui s'était collée à lui et écarquilla les yeux lorsqu'il reconnut les longues boucles rousses et les yeux vert émeraude.

— Alice ? murmura t-il sous le choc.

— Sacrée surprise hein !

S'avançant avec assurance, Elio sourit et vint placer l'une de ses mains sur la taille de la jeune femme.

— Attendez... Vous êtes ensemble ?

Kei n'en revenait pas. Il se mordit l'intérieur des joues pour s'empêcher de rire. Elio avait toujours aimé Alice en secret mais cette dernière n'avait d'yeux que pour son meilleur ami. Le départ de Kei avait dû bénéficier à leur couple et il ne pouvait être sincèrement plus heureux pour eux. Pourtant, malgré le visage radieux qu'affichait Elio, Kei pouvait distinguer une étincelle d'appréhension dans ses yeux. Redoutait-il sa réaction ? Réellement ? Après toutes ces années ?

Crois moi mon frère, elle est bien plus heureuse et épanouie avec toi qu'avec moi, pensa-t-il avec une certaine ironie.

Kei prit un air taquin et frappa amicalement l'épaule d'Elio.

— Comme quoi, tes années de galère t'auront permis de décrocher le jackpot, lança-t-il en souriant.

Le visage d'Elio se détendit immédiatement et son regard plein de tendresse se posa sur Alice.

— Parfois je ne reviens pas de la chance que j'ai. Sept ans de pur bonheur.

— Et deux d'un troisième petit bonheur, ajouta la jeune femme.

Le jeune couple regarda son ami avec amusement pour voir s'il comprenait. Kei ouvrit la bouche de surprise.

— Petit bonheur... Vous êtes parents ?

— Et oui, on a notre petit Esteban depuis deux ans déjà, s'extasia Alice. Il dort dans la pièce d'à côté, tu pourras le voir à son réveil.

— Je suis impatient de voir de qui il a pris la beauté.

— C'est clairement le portrait craché de sa mère, assura Elio. Bon Kei, tu m'accompagnes ? On va ouvrir cette belle bouteille que tu nous as ramenée ?

L'interpellé suivit son ami et se laissa tomber sur l'un des tabourets rembourrés de la cuisine. Elio attrapa une bouteille de vin déjà ouverte et remplit deux verres avant d'en tendre un vers Kei.

— Honnêtement, j'avais un peu peur de ta réaction...

— Concernant Alice ?

— Oui... Je veux dire... Je sais que ça fait des années, mais vous étiez si proches que je me suis demandé si la revoir ne te ferait pas quelque chose.

— Honnêtement, je ne pouvais pas être plus heureux de la revoir qu'à tes côtés. Je sais que vous prendrez soin l'un de l'autre. Et beaucoup de choses ont changé en onze ans.

— Bien sûr, mais savoir que tu es heureux de nous voir ensemble me soulage quand même.

Kei attrapa son verre et tendit le bras vers son ami.

— A ta petite famille ?

— Et à nos retrouvailles !

Les deux hommes trinquèrent et prirent le temps de savourer le vin, puis Elio lança un coup d'œil à l'horloge en quartz accrochée au-dessus du four.

— Il est encore en retard, grommela-t-il.

Kei haussa un sourcil en sa direction. Elio soupira et prit une nouvelle gorgée de vin.

— Tu te rappelles de mon petit frère ? Nathaël ?

Un petit visage écorché aux grands yeux bleus se matérialisa partiellement dans son esprit.

— Hm... Pas vraiment, grimaça Kei. Il était bien plus jeune que nous non ?

— Il a sept ans de moins que moi donc neuf de moins que toi. Il n'avait pas vraiment d'amis, il passait son temps à dessiner et à jouer dans son coin.

Kei se remémorait vaguement le garçon. Contrairement à son frère qui avait toujours été un leader né, qui était bon dans tous les sports et qui excellait à l'école, Nathaël était un gamin réservé et solitaire qui ne soutenait pas les regards et rasait les murs. Il se rappelait que parfois, il les suivait de loin et se contentait de les fixer pendant des heures, ce qui avait le don d'énerver les deux amis.

Sans qu'il ne puisse exactement mettre le doigt dessus, Kei se souvenait que quelque chose le dérangeait chez ce garçon, quelque chose qui le mettait mal à l'aise et le forçait à le repousser dès qu'il s'approchait. Était-ce son corps qui était toujours tuméfié à cause de sa maladresse ? Son regard fuyant et pourtant si inconfortable ? Ou sa façon qu'il avait de toujours baisser la tête, toujours se soumettre, jamais se rebeller ? Kei n'aurait pu dire mais le souvenir qu'il gardait de ce gamin n'était pas mirobolant.

— Qu'est-ce qu'il devient ? demanda-t-il en forçant son intérêt.

— Oh tu verras, il n'a pas du tout changé.

A ces mots, la porte d'entrée claqua soudainement contre le mur et les deux hommes entendirent Mario crier.

— C'est à cette heure-ci que tu rentres ? Qu'est-ce que tu comprends pas dans « rendez-vous à vingt heures » ? Tu crois qu'on peut t'attendre indéfiniment ?

Aucune réponse ne lui parvint et, à la place, Kei vit une ombre se faufiler dans la cuisine.

— Hey Nel, regarde qui est là ! lança Elio.

Le nouvel arrivant fit demi-tour et, lorsque ses yeux croisèrent ceux de Kei, le cœur de celui-ci rata un battement.



NDA : Ca y est, apparition furtive du 2e protagoniste ! J'espère que le chapitre vous aura plu et rdv la semaine prochaine pour découvrir les débuts de la relation entre Kei et Nathaël :)

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