14. Je peux rester chez toi ?


KEI


« Un jour, on prend une décision, on ne sait pas comment, et cette décision a sa propre force d'inertie. Avec chaque année qui passe, il est un peu plus difficile de la changer »

- Milan KUNDERA


— Tu es sûr que tu n'as rien oublié ?

Léo se gratta la tempe puis réajusta ses lunettes de soleil.

— Je ne crois pas, réfléchit ce dernier. Sinon, ce sera l'occasion pour toi de venir me ramener mes affaires à la capitale.

— Rêve.

Le soleil commençait à décliner derrière les montagnes, colorant la ville d'un magnifique camaïeu orange. Debout au milieu du quai, la silhouette de Léo paraissait d'autant plus fragile au milieu de ces lumières chatoyantes.

— Merci de m'avoir accueilli, déclara-t-il soudainement en se tordant les doigts entre eux, et... je suis vraiment désolé. Pour l'autre soir.

Kei sourit tristement et le prit dans ses bras en soupirant.

— Le principal c'est que tu ailles bien, souffla-t-il d'une voix douce. Mais promets-moi de faire attention quand tu rentreras. Ne te surmènes pas autant, promets-moi que tu feras passer ta santé avant tout.

— Je te le promets, acquiesça vigoureusement le concerné. Je t'appellerai au moindre problème.

— N'hésite jamais.

— Tu remercieras ton homme pour moi ?

— Ce n'est pas mon homme, rétorqua Kei en grimaçant.

— J'espère qu'il le deviendra, s'amusa Léo. Vous faites la paire. Il va t'en faire voir.

— C'est déjà le cas.

Léo sourit et se décolla de son ami. Il hissa sa valise dans le wagon et monta sur le marche-pied.

— Vous viendrez me rendre visite lorsque vous serez en couple ? insista-t-il d'un air taquin.

— Sachant que j'hésite à te balancer sur les rails, pas sûr qu'on ait l'occasion.

Léo pouffa et lui donna une dernière accolade.

— Prends soin de toi Kei, j'espère qu'on se reverra vite.

— J'espère aussi.

Il resta sur le quai jusqu'à ce que le train disparaisse à l'horizon.

Tu sais Léo, j'espère vraiment que j'aurai l'occasion de le remercier, soupira-t-il intérieurement.

Lorsqu'il posa ses fesses sur le banc inconfortable du téléphérique, Kei se rendit compte d'à quel point il était fourbu. Depuis que Léo était rentré à moitié inconscient deux soirs auparavant, il avait très mal dormi. Il avait été profondément choqué de voir son ex-conjoint dans un tel état, lui qui prenait tellement soin de lui et n'était absolument pas porté sur l'alcool. Il aurait pu lui arriver des tas de choses ; il était faible et naïf, jamais il n'aurait pu se sortir tout seul d'une situation dangereuse.

Il avait dû attendre le lendemain matin pour avoir une discussion avec lui, durant laquelle le jeune commissaire-priseur avait reconnu, en pleurs, ne plus être capable de suivre le rythme effréné de son travail. Ils avaient longuement parlé et Kei avait dû calmer les angoisses de Léo pendant des heures. Ils n'étaient passés à autre chose que lorsque son ami avait promis de se faire suivre par un psychologue dès son retour à la capitale.

Puis, au dernier moment, alors que Kei pensait que la discussion était terminée, Léo avait ajouté un détail, juste un petit détail.

Il a dit que mon bad boy l'avait ramené, se souvint-il.

S'il n'avait pas été difficile de comprendre à qui faisait référence cette appellation moqueuse, l'information était si inattendue que Kei n'avait pas tout de suite réagi. Nathaël l'avait aidé ?

Il s'était retenu de harceler Léo de questions et s'était contenté du strict minimum, bien qu'au fond de son cœur, une vague de reconnaissance l'avait envahi. Jamais il n'aurait cru que le jeune homme se donnerait autant de mal, et d'un autre côté, il ne pouvait pas dire que cela l'étonnait vraiment. Depuis le début, il savait que Nathaël jouait un rôle et n'était pas réellement le garçon rebelle et agressif qu'il s'efforçait de présenter aux autres.

Kei songea à cela tout le reste de la soirée et s'endormit convaincu qu'il pouvait percer au grand jour le secret de Nathaël.

Ce ne fut que trois heures plus tard que des coups timides contre sa porte le tirèrent des bras de Morphée. Il grimaça, s'étira, et tendit l'oreille pour être certain d'avoir bien entendu. Oui, quelqu'un frappait bien chez lui.

Il fronça les sourcils en voyant son horloge indiquer minuit et demie et s'avança d'un pas traînant vers l'entrée. Alors qu'il ouvrait la porte en baillant ostensiblement, il manqua de s'étrangler face à la vision qui s'offrit à lui.

Là, débout sur le perron, un sac de sport à la main et le sweat tâché de sang, Nathaël l'observait d'un regard fuyant, empli de gêne. Son visage était affreusement tuméfié : son arcade sourcilière droite était largement ouverte, du sang avait coagulé sur sa tempe et sa paupière, sa pommette gauche avait doublé de volume et un énorme hématome violet s'y étalait jusqu'à l'arête de son nez. Plusieurs bleus recouvraient son front et son menton et sa lèvre inférieure était à nouveau fendue en deux. De cette dernière, le sang ruisselait dans son cou et tâchait son sweat visiblement enfilé à la va-vite puisqu'il était à l'envers et dévoilait la moitié de son ventre.

Le jeune homme baissa la tête et serra les poings, comme s'il avait honte d'affronter le regard de Kei.

— Je...

Sa voix était inhabituellement rauque.

— Je peux rester chez toi... quelques jours ?

Le choc se dissipa enfin de ses membres et Kei se précipita en avant pour prendre le garçon dans ses bras. Ce dernier geignit de douleur mais ne le repoussa pas et le laissa entourer son corps de ses bras.

Son cœur battait à toute vitesse dans sa poitrine. Il avait envie de serrer Nathaël de toutes ses forces contre lui, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus jamais partir. Un mélange de peur et de fureur coulait dans ses veines et il ne savait pas s'il avait plus envie de prendre soin du blessé ou de tuer celui qui lui avait fait ça.

Encore incapable de parler, Kei attrapa d'une main le sac que tenait Nathaël et glissa ses doigts entre les siens de l'autre. Lorsqu'il referma la porte derrière eux, il s'autorisa à prendre une grande inspiration et s'interdit de trembler. Merde que se passait-il ?

Sans un mot, il emmena le garçon dans son salon et le fit s'asseoir sur le canapé. Ce dernier fuyait toujours son regard et paraissait mortifié de son état. Kei s'accroupit devant lui puis fit glisser ses doigts le long de sa joue, osant à peine l'effleurer, complètement effaré par les plaies qui parsemaient sa peau. Devait-il l'emmener à l'hôpital ? Et si ses blessures étaient plus graves qu'elles n'y paraissaient ? Et s'il avait un traumatisme crânien et ne s'en rendait pas compte ?

Kei s'obligea à se calmer avant de se lever pour aller chercher la trousse à pharmacie dans sa salle de bain. Il ne servait à rien de paniquer. D'abord soigner le blessé. Ensuite aviser.

Il versa du désinfectant sur une compresse et vint essuyer le sang qui tâchait le visage de Nathaël. Ce dernier ne réagissait toujours pas et gardait la tête baissée. La blessure à l'arcade était relativement profonde, mais moins que ce que laissait supposer la quantité de sang qui s'en était échappé. L'hématome sur la pommette préoccupait un peu plus Kei qui s'inquiéta de savoir si l'os était fendu. Jamais encore il n'avait vu un visage aussi tuméfié, au point qu'il aurait pu ne pas reconnaître le jeune homme s'il l'avait croisé dans la rue.

Il alla chercher une serviette propre et l'enroula autour d'un pain de glace trouvé dans son congélateur. Sans un mot, il posa la serviette sur la pommette enflée et Nathaël vint prendre le relais pour la presser contre sa peau. Kei ne savait que dire ni que faire. Il pansa l'arcade sourcilière, désinfecta la lèvre fendue et vérifia consciencieusement si d'autres blessures avaient échappé à son inspection.

Nathaël continuait de presser la serviette glacée contre sa joue sans lever les yeux. Kei finit par s'asseoir à ses pieds et tenta de croiser son regard.

— Tu peux rester autant de temps que tu veux, murmura t-il d'une voix qu'il espéra ne pas être trop étranglée. Fais exactement comme chez toi.

Il marqua une pause et se retint de caresser la joue épargnée du jeune homme.

— Quand tu le sentiras, je te montrerai la chambre. Je dormirai sur le canapé.

Nathaël consentit enfin à croiser son regard, mais Kei, décelant la lueur de désapprobation dans ses yeux, le devança.

— Ce n'est pas négociable.

Le garçon soutint son regard quelques secondes avant de hocher imperceptiblement la tête. Kei se releva et s'étira avec difficulté. Ok, il ne s'en sortait pas si mal. Il allait gérer la situation. Si seulement sa respiration pouvait cesser d'être aussi erratique.

— Est-ce que tu as prévenu ta famille ? reprit-il après s'être raclé la gorge. Que tu étais là, je veux dire.

— Non !

La réponse fusa, claire, catégorique. Le ton était agressif et pourtant, lorsque Kei plongea son regard surpris dans celui de Nathaël, il y décela de la peur. Non, pire. De la panique à l'état pur. De celle qui écarquille douloureusement les yeux et dilate les pupilles. De celle qui vous coupe le souffle et vous oppresse la poitrine.

— Tu... préfères garder le secret pour le moment ? hésita le plus âgé en passant une main dans son cou.

Le garçon en face de lui expira fortement et ferma les yeux.

— S'il te plaît.

Kei se gratta l'arrière de la nuque et observa le visage abîmé de l'homme qui lui plaisait tant.

Puis-je seulement lui refuser quoi que ce soit ? songea-t-il avec résignation.

— Ne t'en fais pas, je ne dirai rien, accepta-t-il. A une condition.

Nathaël releva la tête et fronça les sourcils. En dépit de la posture de faiblesse dans laquelle il se trouvait manifestement, son regard s'alluma à nouveau de cette flamme de provocation qui y brûlait si souvent et son visage retrouva son air farouche habituel.

Kei retint un rictus. Il avait envie de mordre cette mâchoire à la ligne si effrontée.

— Sois présent lorsque je me réveille demain matin.


NDA : Alooors ces retrouvailles entre Kei et Nathaël ? J'admets que les conditions ne sont pas des plus heureuses mais elles ont l'avantage d'enfin les rapprocher !

A votre avis, qu'est-il arrivé à Nathaël ?

N'hésitez pas à donner votre avis en commentaire :)

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