11. C'était une belle époque
KEI
« On se rappelle beaucoup mieux les bons moments ; alors, à quoi servent les mauvais ? »
- Boris Vian
Qu'avait-il espéré ?
Évidemment que Nathaël avait disparu lorsqu'il s'était réveillé ce matin, une boule d'appréhension serrant son estomac.
Les Velasco étaient rentrés aux alentours de onze heures et l'avaient prié de rester déjeuner. Lorsqu'Elio s'était joint à eux pour l'occasion, Kei n'avait pu se dérober. Il était donc resté là, pendant près de deux heures, à faire bonne figure et à expliquer à quel point tout s'était bien passé, alors que son cœur battait douloureusement et que ses pensées ne cessaient de tourner autour de Nathaël.
Quand il sortit enfin de la maison et se retrouva dans les ruelles du centre historique, il prit sa première grande inspiration de la journée et huma l'odeur de terre mouillée si caractéristique de la région. Cela ne servait à rien de se torturer ; Nathaël avait fui une nouvelle fois, il ne pouvait pas prétendre être étonné. Il fallait qu'il se concentre sur autre chose, il avait tant à faire chez lui.
Chez lui. Sa maison. Seul. Sans Nathaël.
Il poussa un grognement exaspéré et planta ses ongles dans ses paumes de main. Allait-il cesser de faire l'adolescent énamouré ?
Alors qu'il n'était plus qu'à quelques minutes de chez lui, son téléphone sonna dans sa poche et le mot « Léo » s'afficha en gros sur l'écran.
Merde, Léo ! Il avait complètement oublié qu'il avait appelé la veille. Si ce dernier savait que c'était lui qui avait été à l'origine de ce qu'il s'était passé avec Nathaël...
— Qu'est-ce que tu veux ? décrocha-t-il avec une voix faussement agressive.
— Alors comme ça on ignore mes appels ? Qu'est-ce qui peut bien te tenir si occupé au fin fond du monde ?
Kei sourit. La voix claire et joyeuse de Léo lui avait manqué. Il l'imaginait très bien attablé à la terrasse d'un café, un cappuccino à portée de main et un pavé de littérature russe sous le coude.
— Désolé, je travaillais mes cours, s'excusa-t-il. Alors, comment vas-tu ? T'en as mis du temps avant de daigner m'appeler !
— Ohlala j'ai été sursollicité ces derniers jours ! répondit Léo d'un ton volubile. Tu n'imagines pas le nombre d'enchères qui a été prévu pour ce mois-ci. J'ai l'impression d'avoir abaissé tellement de marteaux que mon poignet a doublé de volume.
— Sûrement un début de tendinite. Il est impensable que tu aies pris du muscle.
— Petit con.
Kei pouffa. Léo était un commissaire-priseur assez réputé dans la capitale, il passait des journées entières à faire l'inventaire et à estimer la valeur des biens de ses clients. Vers la fin de leur relation, son travail était devenu si prégnant qu'ils ne se voyaient qu'une heure par jour.
— Alors, ce retour chez les Cro-Magnon ? continua l'homme à l'autre bout du fil. Tu t'es réadapté à l'âge de pierre ?
— Assez facilement figure-toi. J'ai cessé de me raser, je vais à la fac à quatre pattes et je punis les élèves en leur lançant des silex dessus.
Léo éclata de rire à l'autre bout du téléphone.
— Plus sérieusement ?
— Honnêtement, ça se passe bien mieux que ce que j'aurais cru, confessa Kei en se grattant la nuque. J'ai eu un sentiment étrange les premiers jours, le temps de retrouver mes repères, mais finalement je pense que c'était une bonne idée de revenir ici. L'air de la montagne me fait du bien.
— Tu penses qu'il me ferait du bien à moi aussi ?
— Tu comptes m'honorer de ta visite ?
— Qui sait, si ta caverne est assez confortable pour deux, le taquina son ex.
Kei sourit avec amusement. Parler avec Léo lui avait manqué. Si cela faisait un moment que leurs sentiments respectifs s'étaient évanouis, ils se connaissaient par cœur et chacun savait que l'autre resterait toujours un soutien indéfectible sur lequel il pourrait compter. L'amour n'était plus là, mais la tendresse et le respect ne disparaîtraient jamais ; ils s'étaient vu évoluer, avaient avancé ensemble sur le chemin de la vie et s'étaient toujours tirés vers le haut. Ils avaient tellement changé... Kei se souvenait encore parfaitement de la première fois où ils s'étaient croisés, quelques années après son arrivée à la capitale.
Kei leva les yeux vers l'immense arche qui marquait l'entrée du bâtiment et laissa un sourire moqueur étirer ses lèvres. Quelle prétention !
Dans la galerie, des lustres en cristal brillaient de mille feux et projetaient des lueurs féeriques sur les toiles accrochées aux murs. Des centaines de personnes se pressaient autour de ces dernières, toutes mieux habillées les unes que les autres, une coupe de champagne dans la main.
Kei retint un petit rire nerveux et réajusta le col de sa chemise. Il n'aurait jamais dû accepter l'invitation de son collègue ; il n'avait rien à faire ici et il se sentait terriblement mal à l'aise. Résigné, il s'avança d'un pas incertain vers un grand tableau sur lequel était peint des traces colorées énervées et indisciplinées. Est-ce qu'on allait réellement vendre cela des milliers d'euros ?
Il porta la coupe de champagne à ses lèvres et plissa les yeux pour tenter de comprendre où résidait la beauté de l'œuvre. Il n'aurait pas dû tant sécher ses cours d'histoire de l'art.
— C'est affreux n'est-ce pas ?
Kei sursauta et se retourna. Juste derrière lui, un jeune homme élégamment vêtu d'un costume trois pièces observait la toile avec un petit rictus méprisant. Il était presque aussi grand que lui quoique bien plus mince, et ses cheveux blonds avaient été soigneusement séparés en deux au milieu de son crâne de sorte à retomber sur ses tempes.
— Dire qu'ils vont réussir à vendre ça hors de prix à un bourgeois un peu trop naïf, ricana l'inconnu.
Kei avala une nouvelle gorgée de son champagne avant de hausser les épaules.
— Honnêtement, je n'y connais rien.
Le jeune homme lui lança un coup d'œil et sourit avec amusement.
— Il est vrai que nous ne voyons pas souvent de tels physiques dans ce genre d'événements.
— Tu veux dire quelqu'un qui semble plus prêt à voler qu'à acheter ? railla Kei.
— Exactement.
L'inconnu éclata d'un rire cristallin et Kei admira ses dents blanches étincelantes ainsi que la petite fossette qui se forma sur sa joue gauche lorsqu'il sourit. Il n'avait jamais vu un homme qui eût l'air aussi pur et innocent. Pourtant, malgré son aspect quelque peu enfantin, son interlocuteur avait un regard assuré, un port de tête altier et une façon d'occuper l'espace qui prouvaient qu'il évoluait dans son milieu. Il finit d'ailleurs par tendre une main vers lui et Kei remarqua rapidement la finesse de ses doigts.
— Je m'appelle Léo. Léo Montegut.
— Kei Néroni.
Les deux hommes se serrèrent la main et Kei apprécia la douceur de la peau du jeune homme contre la sienne.
— Et bien Kei, que dirais-tu d'arpenter cette horrible exposition en ma compagnie ?
— Ma soirée ne pouvait connaître de tournant plus heureux.
Léo sourit doucement puis effleura son avant-bras pour l'inciter à le suivre. Son premier vernissage allait peut-être finalement se révéler bien plus intéressant que prévu.
Ils s'étaient revus très rapidement après cette première rencontre. Au-delà de son physique délicat, Kei avait apprécié la grâce, la douceur et l'érudition du jeune homme, bien loin de son caractère rebelle et borné. Malgré leurs différences, ils s'étaient immédiatement bien entendus et s'étaient initiés à l'univers de l'autre au point qu'au bout de trois mois, ils avaient décidé de se mettre en couple.
C'était une belle époque, songea Kei avec une certaine nostalgie.
Il garderait toujours de beaux souvenirs de ces six années passées ensemble ; Léo lui avait permis de comprendre et d'accepter qui il était, il l'avait écouté, tempéré, conseillé. Jamais il n'aurait pu atteindre un aussi haut niveau d'apaisement et de confiance en lui sans son ancien compagnon.
— Tu es le bienvenu quand tu veux, reprit Kei d'un ton enjoué. Je dépècerai un mammouth pour te faire le plus joli des lits.
— Que dirais-tu de dans deux semaines ? J'ai un petit creux dans mon emploi du temps et si je n'en profite pas, je vais finir par oublier à quoi ressemble un arbre.
— Dans ce cas, je vais me hâter de finir la décoration de mon antre.
— Ne me déçois pas ! s'écria joyeusement Léo.
NDA : Chapitre assez court (du moins pour moi), je l'admets, mais qui sert en quelque sorte de chapitre de transition.
Je posterai sûrement la suite rapidement parce qu'il ne s'est pas passé grand chose pour l'instant ahah
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