1. Tu ne m'oublieras pas, hein ?

Avant-propos : Voici donc ma première fiction, basée sur une relation amoureuse entre deux hommes (tout propos intolérant sera de ce fait supprimé). Certains chapitres contiendront des scènes de violence et de sexe -> attention, je ne mettrai pas de TW parce qu'ils spoileraient certains événements. Je préfère vous prévenir dès le début pour que vous commenciez cette lecture en connaissance de cause.

Les paragraphes en italique seront des flashbacks.

C'est la première fois que je publie un récit que j'ai écrit donc j'espère qu'il vous plaira et n'hésitez pas à donner votre avis, ça m'aidera beaucoup :)

J'essaierai de publier au minimum un chapitre par semaine.

Bonne lecture !



KEI


« Le renouveau a toujours été d'abord un retour aux sources »

- Romain GARY


Lorsque Kei Néroni posa les pieds sur le quai de la gare, l'odeur de terre humide si caractéristique le ramena onze ans en arrière.

Voici déjà une chose qui n'a pas changé, songea-t-il.

Sa main gauche s'attarda sur sa nuque et il soupira en levant les yeux vers le ciel. Il avait dû pleuvoir pas plus d'une heure auparavant ; le ciel était balayé de tout nuage et les rayons du soleil faisaient scintiller les gouttelettes de pluie sur les arbres. Au loin, les sommets imposants des montagnes se détachaient nettement et semblaient entourer la ville d'une muraille protectrice. Combien de fois était-il allé crapahuter dans ces versants herbeux avec ses amis, jouant aux aventuriers et aux chasseurs ? Combien de fois s'y était-il réfugié pour fuir le foyer familial oppressant ?

Un sourire se dessina discrètement sur ses lèvres. Si l'adolescent fougueux et rebelle qui ne rêvait qu'à s'enfuir d'ici avait su qu'il y reviendrait de son plein gré onze ans plus tard, il lui aurait décoché un coup de poing suffisamment fort pour lui déboîter la mâchoire.

Réajustant le sac qui pesait sur ses épaules, il attrapa la poignée de sa valise et s'avança le long du quai caillouteux. Si tout se passait comme prévu, il devrait recevoir le reste de ses affaires après-demain au plus tard.

Face à la gare, des groupes de personnes faisaient la queue devant la station de départ du téléphérique.

Vraiment, les gens ont perdu l'habitude de marcher, grommela-t-il intérieurement.

Puis il se sermonna d'avoir eu cette pensée réactionnaire. Au fond, il pouvait comprendre qu'on préfère la petite cabine verte foncée s'avançant lentement sur les rails et offrant une vue panoramique sur la vallée au chemin sinueux et mal entretenu complètement exposé au soleil. La ville avait changé. Tout comme lui.

Il prit place à son tour dans la queue et laissa errer son regard autour de lui, listant tous les bâtiments qui n'existaient pas lors de son départ. Lorsque ses fesses se posèrent sur le blanc inconfortable du téléphérique, il appuya sa tête contre la vitre et admira l'infinité de champs qui se dévoilaient sous ses yeux. Malgré quelques nouveautés, le paysage était resté le même : de petites exploitations agricoles grignotaient les versants de la vallée, quelques hameaux s'érigeaient aux endroits où le soleil brillait le plus souvent et des restes épars de forêts subsistaient à l'invasion de l'homme. S'il plissait les yeux, il pouvait deviner les torrents qui dévalaient à flanc de montagne et se rappela avec tendresse ces après-midi remplies de rires où lui et ses amis partaient se baigner dans l'eau glaciale. Finalement, revenir ici n'était pas si terrible.

Le téléphérique monta encore de quelques mètres et Kei pu cette fois observer à loisir les rues de la ville, le long boulevard principal qui offrait un point de vue incroyable sur les montagnes et la place du palais de justice dont la fontaine de son enfance avait été remplacée par une majestueuse statue allégorique de la victoire.

A peine sorti de la petite cabine verte, il plongea la main dans sa poche et en retira un bout de papier froissé qu'il déplia.


26 avenue du château.


Si mes souvenirs sont bons, ce ne doit pas être très loin de l'ancien gymnase, se remémora-t-il en rangeant le papier dans sa poche.

Kei longea le parc central et traîna son regard le long des bancs abrités par des peupliers. Combien de filles avait-il ramené ici ? Combien de baisers langoureux avait-il échangé ? Il sourit en apercevant un jeune couple maladroitement enlacé sur l'un d'eux. Visiblement, certaines stratégies ne changeront jamais.

Lorsqu'il pénétra enfin dans l'avenue du château, il fut frappé par l'absence totale de bruit. Seuls le bruissement du vent et les chants des oiseaux venaient troubler le silence.

Il n'était jamais réellement venu dans cette partie de la ville. Le quartier était calme, assez éloigné du centre, sans trop de commerces, mais entouré par une multitude de jardins partagés. Le voisinage serait certainement agréable.

Au numéro vingt-six, une petite maison se dressait péniblement entre deux masures imposantes. Malgré sa différence de taille, le charme pittoresque de ses murs en pierres saillantes, la lourde porte couleur acajou et les deux grandes fenêtres ravirent Kei.

En revenant ici, il avait une idée précise de ce à quoi devait ressembler son nouveau foyer et il avait dû subir de longues heures de recherche fastidieuse avant de dégoter cette pépite dont l'ancienne propriétaire souhaitait quitter la ville. Et désormais il était là, campé sur le perron, insérant ses clés dans la serrure avec un mélange d'appréhension et d'excitation.

Le hall d'entrée était étroit, assez sombre, et sentait le renfermé. Kei fronça le nez et laissa sa valise dans l'entrée avant de s'avancer vers le salon. Cette fois, la pièce était vaste, pas très haute de plafond, mais éclairée par quatre fenêtres qui laissaient passer les rayons du soleil.

A gauche, à peine séparée du salon par un comptoir en bois vernis, une cuisine à l'américaine avait été installée juste avant que l'ancienne propriétaire ne parte.

Il va vraiment falloir que je me remette à cuisiner, se dit-il sans réelle conviction.

Kei se dirigea vers le fond du salon où un escalier en noyer montait en colimaçon jusqu'à l'étage supérieur. Il poussa la porte de droite et entra dans sa chambre, pas très grande, mais entièrement faite de bois et dotée d'une baie vitrée qui offrait une vue splendide sur les montagnes en arrière-plan. Il allait être bien. Pas de doute.

En face de la chambre, une petite pièce plus sobre, plus basique, lui servirait de bureau. Il bailla ostensiblement et songea aux litres de café qu'il engloutirait ici.

Il redescendit dans le salon et ouvrit la porte qui donnait sur un minuscule jardin ombragé par un immense pommier. Il s'assit par terre contre le mur et contempla avec nostalgie l'arbre imposant tandis que les souvenirs de son départ l'assaillaient.


Figé devant la porte et les poings serrés, Kei regarda sa mère placer le dernier carton à l'arrière du camion et soupirer de soulagement une fois l'action effectuée. Allait-elle venir lui dire au revoir ?

Par nervosité, il tourna ses doigts dans l'un des trous de son jean sans se soucier de l'agrandir. Il faisait froid. Le rude hiver de la montagne allait bientôt faire ses preuves et il sentait son nez rougir sous les bourrasques glaciales. Sa mère n'était pas assez habillée pour être dehors ; il avait envie de le lui dire, de lui demander si elle allait bien. Mais pouvait-il encore le faire ? Silencieux, il se contenta d'observer ses cheveux couleur ébène se balancer au gré du vent et dissimuler les traits de son visage. Était-elle heureuse de son départ ? Inquiète ? Soulagée ? La peau pâle de ses mains était désormais parsemée de petites gerçures dues aux efforts qu'elle avait fournis pour le déménagement. Elle avait toujours été particulièrement inadaptée aux tâches physiques.

Elle passa devant lui et s'approcha de la porte d'entrée.

Retourne toi maman, s'il te plaît, supplia-t-il mentalement.

La porte qui claqua derrière elle fut la seule réponse qu'il obtint à sa prière silencieuse. Ravalant la boule qui s'était douloureusement formée dans sa gorge, il fit volte face et partit en courant le long du chemin poussiéreux qui passait devant chez lui. Le vent glacial lui brûlait le visage, craquelait ses lèvres et s'infiltrait dans ses bronches. Mais peu lui importait. Il devait fuir, partir loin d'ici, ne jamais revenir.

Sans qu'il ne s'en rende compte, ses pas le portèrent jusqu'aux abords de la petite forêt où, enfant, il passait des journées entières. Juste là, à la lisière, un immense pommier se dressait fièrement, résistant à toutes les intempéries. Il s'en approcha et posa une main sur le tronc. Il ne restait de la cabane qu'il avait construite à ses sept ans que quelques planches éparses et vermoulues.

Alors c'est bien fini...Mon enfance tombe en ruines, réalisa-t-il avec émotion.

Réprimant le sanglot qui opprimait sa poitrine, il serra les dents et décocha un violent coup de poing dans l'écorce. La douleur ne fit qu'accentuer sa colère et il réitéra son action jusqu'à ce que ses phalanges ensanglantées ne l'empêchent de continuer.

Kei...

Une voix douce et empreinte d'inquiétude le fit se retourner en sursaut. Derrière lui, une jeune fille aux longues boucles rousses, au visage parsemé de tâches de rousseur et aux yeux émeraudes le fixait avec tristesse et appréhension. Un bonnet blanc couvrait le haut de sa tête et son manteau en laine avait été boutonné jusqu'à son menton.

Alice.

Kei laissa retomber ses bras le long de son corps et plongea son regard dans le sien.

Kei, répéta-t-elle en s'avançant vers lui.

Il serra les poings et détourna le regard. Que pouvait-il lui dire ? Que faisait-elle là ?

Je...Je suis venue te dire au revoir. Kei...Je ne peux pas croire que tu partes réellement.

Elle tenta de prendre ses mains dans les siennes mais il se dégagea d'un geste brusque. Il ne pouvait pas la regarder dans les yeux. Il n'avait pas la force. Il l'entendit prendre une grande inspiration. Elle devait certainement se retenir de pleurer.

Tu reviendras n'est-ce pas ? Je... Je t'attendrai Kei. Si tu me le demandes, je t'attendrai.

Qu'elle cesse de parler. C'était trop tard, bien trop tard.

On peut toujours s'écrire ou s'appeler. Je te rendrai visite si tu veux. Tu...Tu me feras découvrir ton nouveau chez toi.

Kei leva enfin les yeux et les posa sur le doux visage tordu par le chagrin. Sans réfléchir, il plaça délicatement sa main sur la joue de la jeune fille et caressa sa peau froide. Le geste laissa une trace de sang sur les tâches de rousseur et il se figea à nouveau. Pouvait-il exister une vision plus symbolique que celle-ci ? Encore une fois...Encore une fois il avait entaché la pureté d'un être. Il ne pouvait pas rester avec elle, il ne pouvait plus. Et elle le savait.

Alice prit les mains ensanglantées dans les siennes et les pressa gentiment. Une larme roulait le long de sa joue.

Tu ne m'oublieras pas hein ? Contacte moi si tu rentres, quel que soit le jour, le mois ou l'année. Ne m'oublies pas Kei, je t'en supplie.

Pendant qu'elle parlait, la neige avait commencé à tomber et les flocons s'accrochaient à ses longs cils. Kei se retint de la prendre dans ses bras. Il ne servait à rien de lui donner de faux espoirs. Il rejeta la tête en arrière et observa les longues branches du pommier qui se balançaient au gré du vent. C'était sous ce même arbre, quatre ans auparavant, qu'Alice et lui avaient échangé leur premier baiser. C'était sous ce même arbre qu'elle lui avait offert le bracelet en cuir rouge qui entourait toujours son poignet gauche. C'était sous ce même arbre qu'ils s'étaient promis de toujours être là l'un pour l'autre. Ce serait sous ce même arbre qu'ils se sépareraient, sans aucune explication ni aucune promesse de retour.


Kei secoua la tête en soupirant. Il se demandait ce qu'elle était devenue. Habitait-elle toujours dans cette ville ou s'était-elle à son tour échappée d'ici ? Pour la première fois en onze ans, il songea à elle et pria pour qu'elle soit enfin heureuse.

Une légère brise vint secouer ses cheveux et il ferma les yeux. Les souvenirs allaient continuer à l'envahir, c'était normal, il allait devoir s'y habituer. Et puis, il était en paix avec eux, n'est-ce pas ? Sa main droite plongea dans sa poche et il sortit un paquet de cigarettes à moitié entamé. Lorsqu'il en porta une à ses lèvres, il songea brièvement qu'il devrait peut-être se rendre à la maison familiale. Voir comment les choses avaient évolué. Peut-être. Un jour.

Les oiseaux chantaient à tue-tête sur le pommier. Kei Néroni s'étala par terre et inspira profondément l'odeur d'herbe mouillée émanant du jardin. La rentrée était dans quatre jours, il avait le temps de prendre ses marques.

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